Ingérence étrangère : les demi-mesures du Groenland

Publié le 4 février 2025 | Temps de lecture : 6 minutes

L’ingérence des États-Unis

Pour étendre ou consolider leur hégémonie, les États-Unis pratiquent depuis des décennies l’ingérence dans les affaires intérieures des autres pays.

En Amérique latine

Dans les années 1960, la CIA avait couvert l’Amérique latine de dictateurs d’extrême droite, n’hésitant pas à faire assassiner Salvador Allende, pourtant élu démocratiquement à la présidence du Chili.

À Cuba, les États-Unis ont tenté 638 fois d’assassiner Fidel Castro en plus d’échouer en 1961 à le renverser par une invasion de mercenaires à la baie des Cochons.

Dans les années 1980, la CIA finançait les Contras dont le mandat était de susciter, par des actes terroristes, le mécontentement de la population contre le gouvernement du Nicaragua.

En Ukraine

Plus près de nous, les États-Unis ont secrètement orchestré en 2014 le massacre de la place de l’Indépendance de Kyiv afin de faire basculer définitivement l’Ukraine dans le camp occidental.

En Géorgie

Depuis trois mois, les États-Unis et leurs alliés alimentent le climat insurrectionnel en Géorgie en répétant faussement que les dernières élections législatives y auraient été l’objet d’une fraude massive.

En Roumanie

Le mois dernier, l’élection présidentielle en Roumanie a été annulée parce que les électeurs y ont voté pour un candidat critique de l’Union européenne et de l’Otan.

Les dirigeants pro-occidentaux du pays ont pris cette décision inusitée parce que, selon eux, le peuple roumain s’est trop laissé influencé par la propagande russe sur les médias sociaux.

En Slovaquie

Robert Fico, premier ministre de la Slovaquie, est reconnu pour son opposition à l’aide à l’Ukraine, pays situé immédiatement à l’Est du sien.

Après avoir échappé à une tentative d’assassinat le 15 mai 2024, il affronte ces jours-ci d’immenses protestations déclenchées par sa rencontre avec Poutine, le 22 décembre dernier, au sujet de l’approvisionnement slovaque en gaz fossile russe.

Selon les services de renseignement slovaque, environ le tiers des protestataires sont des personnes transportées gratuitement par autobus et par train à partir de l’ouest de l’Ukraine, fief des groupes néonazis de ce pays.

Puisque l’État ukrainien est en faillite depuis des années, on voit mal qui pourrait financer cette couteuse opération sinon, indirectement, les États-Unis.

On comprendra donc la nervosité des dirigeants du Groenland à l’approche de leurs élections législatives, prévues le 6 avril prochain.

La nouvelle loi groenlandaise

Le 16 janvier dernier, le site Euractiv rapportait que des influenceurs pro-Trump sont arrivés des États-Unis par avion dans la capitale groenlandaise, distribuant des billets de 100 dollars et des casquettes MAGA à la sortie des supermarchés.

Dans cette ville de vingt-mille habitants, leur venue n’est pas passée inaperçue.

Plus tôt aujourd’hui, le gouvernement provincial du Groenland a adopté une nouvelle loi sur le financement politique afin de se prémunir contre l’ingérence ‘étrangère’ (lisez : américaine).

Exception faite du Québec, le financement politique en Occident est de la corruption légalisée.

Chez nous, seuls les citoyens du Québec peuvent verser de l’argent à une formation politique. Cela est donc interdit aux syndicats, aux ONG et aux entreprises, qu’elles soient ‘québécoises’ ou non.

Au Québec, la contribution individuelle maximale est de 100 $ par année en temps normal. Un maximum porté à 200 $ les années où se tiennent des élections. De plus, la moindre contribution doit être déclarée.

En tant que Québécois, on est ahuri en voyant les sommes colossales qui peuvent être versées secrètement et en toute légalité à une formation politique en Europe et aux États-Unis puisque la déclaration n’y est obligatoire que lorsque la contribution politique dépasse un seuil élevé.

Alors quelles sont les règles dont le Groenland s’est doté ?

Dorénavant, les politiciens groenlandais ne pourront plus accepter des contributions ‘étrangères’ ou anonymes. Sont étrangers, les donateurs qui résident ou sont domiciliés en dehors du Groenland.

Les formations politiques devront tenir un registre où sera inscrit chaque versement par une association, une ONG, une entreprise, etc.

Dans le cas des particuliers, c’est différent. L’inscription au registre sera obligatoire pour les dons individuels qui dépassent mille couronnes danoises (soit 134 € ou 200 $Can). En deçà de cette somme, la contribution pourra demeurer secrète.

Dans tous les cas, la contribution politique d’un citoyen ne pourra pas dépasser vingt-mille couronnes (soit 2 680 € ou 4 000 $Can).

Selon le quotidien Le Monde, « aucune formation ne sera autorisée à recevoir plus de 200 000 couronnes (27 000 euros) de donateurs privés, dans la limite de 20 000 couronnes par contributeur.»

Ce qui suggère qu’il n’y a pas de limite quant aux versements des entreprises. Du moment qu’elles ne sont pas ‘étrangères’. Ce qui n’empêche pas, par exemple, une association ou une ONG authentiquement groenlandaise de servir de paravent à du financement politique étranger.

Le maximum québécois, limité à 100 ou 200 $, a été fixé très bas afin d’éviter les prête-noms. C’est une précaution que le Groenland n’a pas prise.

Imaginons qu’un candidat reçoive une liste de noms de donateurs accompagnée d’une enveloppe brune pleine de billets de banque.

Pourquoi ce candidat prendrait-il l’initiative de s’assurer que ces gens ne sont pas des prête-noms quand la loi ne lui impose aucune obligation à ce sujet et que, de toute manière, leur contribution peut demeurer secrète puisqu’aucun d’entre eux n’a versé plus de mille couronnes selon la liste fournie ?

En conclusion, la nouvelle loi groenlandaise au sujet du financement politique demeure une passoire, mais dont les trous sont plus petits qu’avant.

Références :
Ces 638 fois où la CIA a voulu se débarrasser de Fidel Castro
Contras
Débarquement de la baie des Cochons
En direct de Nuuk : les YouTubeurs et les casquettes MAGA envahissent le Groenland
La Géorgie sur la voie d’un coup d’État (1re partie)
Le Groenland se mobilise contre les risques d’ingérences étrangères
L’Ukraine sous le respirateur artificiel américain
Manifestations massives en Slovaquie contre la position de Fico envers la Fédération de Russie
Poutine s’entretient avec Fico, lors d’une rare visite à Moscou d’un dirigeant de l’UE
Roumanie : des milliers de personnes protestent contre l’annulation de l’élection présidentielle
Tentative d’assassinat de Robert Fico
Ukraine : l’histoire secrète de la révolution de Maïdan

Paru depuis : Olaf Scholz critique l’ingérence des Américains, après le discours de J. D. Vance (2025-02-15)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La tentation groenlandaise de Trump

Publié le 1 février 2025 | Temps de lecture : 7 minutes
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Introduction

Contrairement à ce qu’on pense généralement, Charles Chaplin n’était pas juif.

À l’époque du tournage du Great Dictator (ci-dessus), ses amis l’avaient supplié : « Ne fais pas un film qui se moque d’Hitler: c’est sur nous, les Juifs, qu’il se vengera

La réaction européenne

Depuis que Donald Trump a fait savoir qu’il veut annexer une partie du royaume de Danemark, on aurait pu s’attendre à ce que l’Europe se dresse contre le président américain.

Après tout, l’Union européenne (UE) s’est mobilisée quand la Russie a envahi l’Ukraine (qui n’est pas membre de l’Union). Comment justifierait-elle son indifférence face à une invasion du royaume de Danemark qui, lui, est membre de l’UE ?

Après une conversation téléphonique orageuse (et demeurée secrète) avec Trump, la présidente danoise a entrepris une brève tournée des capitales européennes.

De manière générale, les dirigeants européens se partagent en deux camps.

Il y a ceux qui en appellent au respect des frontières sans oser préciser ce qu’ils feraient si Trump passait à l’acte.

Et il y a ceux qui refusent de croire que Trump est sérieux. Ceux-ci préfèrent donc faire le mort en attendant que les envies de Trump lui passent.

Techniquement, les dirigeants de l’Union européenne (UE) pourraient invoquer que si le Danemark ‘continental’ est membre de l’Union — et, conséquemment, a le droit d’être protégé par elle — ce n’est pas le cas du Groenland qui s’est retiré de l’UE en février 1982.

À l’Otan, la présidente danoise s’est fait dire que l’Alliance atlantique s’en lave les mains.

En juillet 1974, la Turquiye (membre de l’Otan) s’est emparée de 38 % de l’ile méditerranéenne de Chypre qui, jusque-là, appartenait en totalité à la Grèce (également membre). L’Otan ne s’en est pas mêlée.

Ici la victime ne pouvait pas menacer de quitter l’Otan puisqu’en pareil cas, l’agresseur aurait toute l’Otan de son côté. Donc la Grèce a rongé son frein.

Le Danemark ferait de même s’il était attaqué par les États-Unis.

Une occasion unique

Du premier mandat de Donald Trump, au-delà des déclarations incendiaires, il reste peu de chose. Exception faite de la mise au point des vaccins à ARN messager, de la remise en question des droits des femmes et des minorités, et du pivotement de la politique étrangère américaine vers le Pacifique.

Même si son second mandat devait être une suite de conflits commerciaux stériles, Donald Trump passera à l’histoire s’il annexe (ou achète) le Danemark.

La superficie de son pays passerait alors de 9 631 419 km² à 11 797 505 km², soit une augmentation de 22,5 %.

Or Donald Trump est dans une situation idéale pour ce faire.

En temps normal, les pays européens n’ont déjà pas la puissance militaire pour s’opposer à une invasion américaine au Groenland.

À l’occasion de la guerre en Ukraine, ils ont épuisé une bonne partie de leurs réserves d’armement en approvisionnant généreusement Kyiv.

Pour les remplacer, les armes sophistiquées qu’ils achètent proviennent à 80 % des États-Unis : c’est de l’armement que le Pentagone peut inactiver à distance lorsque des pays clients décident de s’en servir contre ses soldats.

Bref, les pays de l’UE sont faits comme des rats.

Arrivant à peine à s’approvisionner cet hiver en hydrocarbures, ils ne peuvent se permettre d’indisposer un fournisseur comme les États-Unis. Un fournisseur qui a l’audace de les menacer de sanctions s’ils ne consentent pas à accroitre leur vassalisation.

L’eldorado groenlandais

Toutes les puissances hégémoniques salivent à l’idée d’annexer n’importe quel territoire qu’ils croient plein de richesses.

Contrairement à ce qu’on dit partout, le potentiel minier du Groenland est largement inconnu. Mais avec ses 2 166 086 km², le territoire de l’ile doit nécessairement receler plusieurs filons intéressants.

Sur une année, la moyenne des températures est de +5°C en Alaska et de -21°C au Groenland. Annexé par Trump, le Groenland deviendrait le meilleur endroit aux États-Unis pour installer des fermes de minage de cryptomonnaie, des centres de données et des serveurs dédiés à l’intelligence artificielle.

Parce que la puissance de calcul des ordinateurs augmente lorsque la température baisse.

La population du Groenland est composée à 98 % d’Inuits. Ceux-ci sont très majoritairement hostiles à l’annexion de leur pays aux États-Unis.

Mais les États-Unis n’ont pas eu besoin de la permission des Canadiens pour nous envahir en 1812 (et d’échouer à nous conquérir).

Ils n’ont pas eu besoin non plus de la permission des Cubains pour envahir l’ile en 1898; il a suffi de la mystérieuse explosion d’un navire américain dans le port de La Havane pour qu’ils invoquent leur droit à la légitime défense.

Or, qui sait la perfidie dont les Groenlandais seraient capables pour provoquer la colère de Trump…

Contrer une menace surfaite


 
Parmi les arguments invoqués par Donald Trump pour annexer le Groenland, il y a la nécessité de protéger le monde libre contre la présence croissante de la Russie et de la Chine dans l’Arctique.

Ce que les agences de presse pro-occidentales négligent de dire, c’est que cette présence accrue est limitée à l’Arctique russe, habituellement le long de la rive arctique de la Fédération de Russie.

Une proportion appréciable du territoire de celle-ci se trouve au-delà du cercle polaire. Le développement économique de cette région nécessite des injections de capitaux. Ce qui, en soi, n’a rien de répréhensible.

Quant à elle, la Chine cherche à améliorer les installations portuaires russes qui sont susceptibles d’accueillir sa marine marchande le long de la Route polaire de la soie.

Cette route maritime est importante pour la Chine puisque c’est la seule qui ne soit pas contrôlée par les États-Unis.

Aux yeux de Washington, il est intolérable que la Chine puisse tenter d’échapper à sa domination. D’où l’idée de menacer la Route polaire de la soie en construisant de nouvelles bases militaires au nord du Groenland.

Une menace à la paix

Indépendamment du fait que l’annexion américaine légitimerait l’expansionniste d’autres puissances, cela menacerait la paix mondiale.

Une des grandes leçons de l’Histoire, c’est qu’il faut éviter que des pays ennemis soient voisins. Comme il est imprudent, au réveillon du temps des Fêtes, de placer côte à côte deux beaux-frères qui se détestent.

Dans le cas des pays ennemis, il est toujours préférable qu’ils soient séparés par des pays-tampons lorsque cela est possible.

C’est une leçon que Washington a ignorée en manipulant le peuple ukrainien de manière à lui faire croire qu’il était dans son intérêt de devenir un ennemi militaire de son redoutable voisin. Avec les conséquences qu’on sait.

C’est une erreur que les États-Unis veulent répéter au Groenland. En agrandissant leur territoire au plus près de la Russie, ils augmentent le risque d’une guerre mondiale.

Références :
Acquisitions territoriales des États-Unis
«Grave et potentiellement très dangereux» : entretien «houleux» entre le Danemark et Donald Trump, qui veut racheter le Groenland
Guerre canado-américaine de 1812-1815
Invasion turque de Chypre
La nouvelle Théorie des dominos
La géopolitique de l’Arctique
Le climat à Alaska, États-Unis
Le climat à Groenland
Occupation américaine de Cuba

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Écrit par Jean-Pierre Martel


La géopolitique de l’Arctique

Publié le 13 janvier 2025 | Temps de lecture : 9 minutes


 
Une région essentiellement vierge

L’Arctique est la région entourant le pôle Nord comprise à l’intérieur du cercle polaire.

Les territoires de huit pays franchissent le cercle polaire et s’étendent donc jusqu’en Arctique : d’ouest en est, ce sont les États-Unis (par le biais de l’Alaska), le Canada, le Danemark (par le biais du Groenland), l’Islande, la Norvège, la Suède, la Finlande et la Russie.

Les zones économiques exclusives (ZÉE) de la Russie et du Canada couvrent la majeure partie de l’Arctique. Des deux, c’est la Russie qui a le plus prospecté le potentiel économique de sa ZÉE.

À partir de ce qu’on en sait, l’Agence internationale de l’énergie estime que le sous-sol de l’Arctique contient 13 % des réserves mondiales de pétrole et 30 % des réserves mondiales de gaz fossile encore inexploitées.

À 95,6 % dans le cas du pétrole et à 98,4 % dans le cas du gaz fossile, ces réserves se trouvent dans les ZÉE des pays riverains de l’océan Arctique.

De la même manière que la Chine décrite par Marco Polo faisait rêver les Européens de son temps, les richesses minérales de l’Arctique d’aujourd’hui sont l’objet de spéculations.

Même si plusieurs mines sont déjà en activité à l’intérieur du cercle polaire, on aurait tort de croire que le potentiel minier de l’Arctique est bien connu.

Lorsqu’on affirme que l’Arctique est riche de tel minerai, c’est que ce minerai est exploité quelque part dans la région. Est-ce que ce minerai se trouve ailleurs en Arctique ? Le trouve-t-on un peu partout à l’intérieur du cercle polaire ? Généralement, personne ne le sait.

Toutefois, ce qu’on sait, c’est que cette région renferme des terres rares. Comment le sait-on ? Parce que, contrairement à ce que suggère leur nom, les terres rares ne sont pas rares du tout; on les trouve en très petite concentration partout sur terre

En Arctique comme ailleurs, ce potentiel est sous-exploité pour deux raisons. Premièrement, à cause de leurs procédés de raffinement encore très polluants. Et deuxièmement, parce que la Chine vend ses terres rares à des prix tellement compétitifs que cela dissuade l’ouverture de mines concurrentes ailleurs dans le monde.

Un passage

Au-delà du fantasme des puissances à la recherche de métaux stratégiques, l’Arctique occupe une position importante en tant que voie de navigation maritime durant la saison chaude.

Sur une représentation aplatie du globe terrestre, relier la Chine à l’Europe par l’Arctique est légèrement plus court qu’effectuer le détour par le canal de Suez.

Sur un globe terrestre, cette distance est nettement inférieure. Même si, pour ce faire, il faut passer par le détroit de Béring.

Par exemple, la distance maritime entre Shanghai et le port néerlandais de Rotterdam est de 20 700 km lorsqu’on passe par le canal de Suez, et de 15 000 km lorsqu’on passe par la Route polaire de la soie. Le passage par cette dernière prend même deux jours de moins que par la plus rapide Route terrestre de la soie (celle qui traverse la Sibérie).

De plus, en longeant les côtes de la Fédération de Russie, cette route est la seule voie maritime importante qui n’est pas contrôlée par les États-Unis.

La Russie y voit un moyen d’exporter ses hydrocarbures aux marchés asiatiques par le biais de ses ports sibériens.

La Russie possède déjà la plus importante flotte de brise-glaces, composée de 55 navires actifs. Certains d’entre eux sont les plus puissants au monde, capables de naviguer dans une banquise de 2,8 mètres d’épaisseur.

D’ici 2030, ils seront suivis par une nouvelle classe de brise-glaces à propulsion nucléaire, capables de fendre lentement une banquise épaisse de quatre mètres et de naviguer à 19 km/h au travers d’une banquise de deux mètres d’épaisseur.


 
L’avantage de la Russie est que la banquise d’été de l’Arctique permet davantage la navigation maritime du côté russe que du côté canadien. En d’autres mots, sans l’aide de brise-glaces, la Route polaire de la soie est navigable plus longtemps que le Passage du Nord-Ouest canadien.

Lorsqu’on s’inquiète de l’augmentation de la présence chinoise en Arctique, on doit savoir que tout cela est limité à l’Arctique russe; la Chine cherche à améliorer les installations portuaires qui sont susceptibles d’accueillir sa marine marchande le long de la Route polaire de la soie.

Autrefois, cette présence accrue concernait également quelques projets miniers et aéroportuaires au Groenland que les pressions américaines sur le Danemark ont fait avorter.

La Chine ne s’est jamais considérée comme une puissance arctique (ce qui serait ridicule) et n’a jamais eu la prétention de l’être.

Pour prouver les ambitions nordiques de la Chine, on répète souvent que la Chine a demandé (et obtenu) le statut d’observateur au Conseil de l’Arctique, un forum international voué à la promotion du développement durable de l’Arctique en matières sociales, économiques et environnementales.

Toutefois, on oublie de préciser que treize autres pays ont obtenu ce statut d’observateur dont la Suisse, l’Italie et l’Inde, trois pays aussi peu nordiques que la Chine.

D’autre part, le vieillissement des installations de NORAD — ce système de détection canado-américain essentiel à la protection de l’Amérique du Nord — peut certainement justifier de nouveaux investissements.

Mais les justifier au nom de la menace chinoise grandissante en Arctique relève du néo-maccarthysme; la Chine investit en Arctique russe pour assurer la liberté de son commerce avec l’Europe et non pour menacer notre sécurité nationale.

L’Arctique canadien

Le Canada a toujours considéré que le passage au travers des iles canadiennes de l’Arctique faisait partie de ses eaux territoriales. En conséquence, le Canada exige que les bateaux étrangers qui l’empruntent lui en demandent la permission.

Les États-Unis ont toujours refusé de reconnaitre la souveraineté du Canada à ce sujet. Pour ne pas perdre la face, le Canada délivre les autorisations nécessaires aux navires américains sans qu’ils en fassent la demande.

Avec le réchauffement climatique, on assiste à une augmentation du transport maritime en Arctique. De 2011 à 2024, le nombre de navires qui ont navigué dans l’Arctique canadien a augmenté de près de moitié.

Aussi impressionnant que cela puisse paraitre, il s’agit en fait de 466 navires l’an dernier, comparativement 319 il y a plus d’une décennie. En somme, c’est un ou deux bateaux par jour durant la belle saison. On est loin des dizaines de milliers de navires qui empruntent annuellement le canal de Suez.

Libres de prospecter le Grand Nord canadien sans études d’impact rigoureuses, les minières ont découvert un petit nombre de gisements intéressants qui ont mené à l’ouverture de mines.

Si bien que de 2013 à 2023, ce sont des vraquiers — transportant du minerai brut — qui représentent essentiellement l’augmentation du trafic maritime dans l’Arctique canadien, notamment dans sa partie orientale (le Nunavut).

Conclusion

De toutes les cibles militaires situées en sol québécois, le complexe hydroélectrique de La Grande est la cible potentielle la plus nordique. Or celle-ci se trouve à 5,2 mille kilomètres des côtes arctiques de la Russie, soit environ une fois et demie la distance entre Montréal et Vancouver.

Ce complexe n’est pas hors de portée d’un missile intercontinental ennemi. Toutefois, en raison des conditions climatiques qui règnent dans cette partie du monde, cette région est le plus improbable théâtre d’une guerre.

En effet, les chars d’assaut, les fantassins et même l’aviation de belligérants perdraient un temps précieux à traverser une région inhospitalière dépourvue d’importance stratégique. De plus, cette longue traversée à découvert priverait cette attaque de tout effet de surprise et favoriserait l’anéantissement des troupes qui y participeraient.

Contrairement à un pays comme la Norvège — dont le littoral arctique est beaucoup plus développé que le Grand Nord canadien puisqu’environ dix pour cent de la population de ce pays y habite — la militarisation de l’Arctique devrait être la moindre des priorités militaires du Canada, à l’exclusion de la protection contre des missiles intercontinentaux.

D’autre part, les compagnies minières s’emploient ces jours-ci à alimenter les journalistes et les chroniqueurs de rapports complaisants qui présentent l’Arctique comme un eldorado moderne, riche en minerais essentiels à notre développement économique.

Ce qu’on néglige de dire, c’est que toute exploitation des ressources minières de l’Arctique n’est compétitif — en comparaison avec des mines concurrentes situées ailleurs dans le monde — qu’au prix de subventions étatiques colossales.

Références :
Augmentation du trafic maritime dans l’Arctique canadien en 2024
China’s new technology achieves ‘unprecedented’ rare earth production speed
Conseil de l’Arctique
De plus en plus de navires circulent dans le passage du Nord-Ouest
Géopolitique de l’Arctique : une région sous haute tension
How the Pentagon Countered China’s Designs on Greenland
Implications of a melting Arctic
La géopolitique de l’Arctique, entre fantasmes et réalité
La Russie lance son second brise-glace de combat
L’obsession pas si folle de Trump pour le Groenland
The US is picking a fight with Canada over a thawing Arctic shipping route

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Écrit par Jean-Pierre Martel