Le scandale de la dioxine et le Canada

Publié le 26 janvier 2011 | Temps de lecture : 6 minutes
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Quand on nourrit les animaux avec n’importe quoi…

Depuis des années, dans les fermes industrielles, on ajoute des viandes cadavériques et des graisses animales à la moulée d’herbivores et de granivores dans le but d’en augmenter le rendement.

On estime que bétail européen se nourrit en moyenne aux deux tiers de matières premières (blé, fourrage, paille, herbe) et à un tiers d’aliments composés par des industriels. Toutefois, cette proportion varie beaucoup d’une espèce animale à l’autre ; un porc ou une volaille peut se nourrir à 100 % de produits transformés.

En novembre et décembre 2010, des milliers de fermes avicoles et porcines de plusieurs länder allemands — plus particulièrement en Basse-Saxe, dans le nord du pays — ont reçu accidentellement des moulées contaminées par la dioxine, une substance cancérigène.

Cette contamination remonte loin. Elle origine d’une livraison, par la société de biocarburants allemande Petrotec, de vingt-cinq tonnes d’huile contaminée à la dioxine. Ce biodiésel était exclusivement destiné à usage industriel et non alimentaire.

Toutefois, l’entreprise allemande Harles und Jentzsch — qui vient de se déclarer en faillite — a utilisé un de ces lots pour fabriquer 3 000 tonnes de graisses destinées à l’alimentation animale. Cette marchandise a été livrée à 25 fabricants de fourrage. À partir de ces graisses contaminées, ceux-ci ont fabriqué 150 000 tonnes de fourrage qui fut distribué à des fermes avicoles et porcines.

Au départ, l’huile contaminée contenait 123 nanogrammes de dioxine par kilo (ng/kg). Diluée dans le fourrage, la concentration n’était pas dramatiquement supérieure aux normes permises. Toutefois, puisque la dioxine s’accumule dans la chaine alimentaire, des analyses de laboratoire ont trouvé des taux 10 à 77 fois supérieurs à la norme recommandée (qui est de 0,75 ng/kg) dans des œufs et des graisses animales. En moyenne, les œufs contaminés contenaient 16 ng/kg de dioxine.

Un millier de sites d’élevage de poules, de dindes et de porcs, situés pour la plupart en Basse-Saxe, ont stoppé leurs livraisons après détection de dioxine. Le 4 janvier, la Basse-Saxe a commencé à rendre publics les codes des œufs contaminés pour qu’ils puissent être retirés des magasins.

Environ 136 000 œufs, en provenance d’un élevage contaminé, avaient été livrés au début de décembre à Barneveld, aux Pays-Bas : conséquemment, le 5 janvier, le gouvernement néerlandais a ordonné leur saisie. La Slovaquie a bloqué la mise sur le marché de 365 000 œufs importés d’Allemagne dans la première semaine de janvier.

Le vendredi 7 janvier, 4 709 exploitations agricoles (sur les 375 000 que compte le pays) avaient été fermées en Allemagne à titre préventif dans l’attente de résultats de tests. Le lundi suivant, il n’en restait plus que 1 635. Entretemps, 8 000 poules avaient été abattues.

Hier, la Russie (un acheteur important de produits agricoles allemands) a interdit temporairement ses importations d’œufs et de volaille d’Allemagne.

Le paradis canadien

En dix ans, plusieurs scandales à la dioxine ont frappé l’Union européenne : en Belgique (en 1999 et en 2006), en Irlande (2008), en Italie (Seveso en 1976), aux Pays-Bas (en 2006). Pour l’Allemagne, il s’agit du cinquième cas de contamination à la dioxine (2003, 2004, 2006, 2010 et 2011, selon Der Spiegel).

Les retombées de ce scandale sont lourdes de conséquences pour l’Allemagne, un des principaux pays producteurs de viande au monde. Selon la fédération agricole allemande, les pertes s’élèvent déjà à 100 millions d’euros.

Aucun scandale à la dioxine n’a ébranlé le Canada jusqu’à ce jour. Pourquoi ? Tout simplement parce que la surveillance exercée par Santé Canada sur nos aliments est quasi-inexistante. L’industrie agroalimentaire s’auto-règlemente admirablement bien, semble-t-il.

Tellement bien qu’on entend jamais parler de rappels d’aliments au pays sauf à la suite d’empoisonnements manifeste (viande avariée et fromage sale). Les contaminations qui ne donnent aucun symptôme dans l’immédiat — comme c’est habituellement le cas avec la dioxine — ne sont jamais l’objet de rappels.

Oui, on entend bien parler d’aliments contaminés ailleurs mais jamais ces aliments n’atteignent les comptoirs de nos épiceries. Ce qui prouve bien comment Dieu (ou Allah ou Bouddha, c’est selon) aime notre beau pays.

Contrairement aux producteurs d’Europe, les producteurs d’ici ne sont soumis à aucune politique de traçabilité autre que les mesures américaines destinées à lutter contre le bioterrorisme (une lubie coûteuse et inutile).

Conséquemment, il est presqu’impossible pour le consommateur québécois de savoir la provenance de ce qu’il mange.

Certaines chaines d’épiceries font de leur mieux pour nous en informer : Loblaws en est un bon exemple. Mais ses efforts se buttent au mutisme de l’industrie agroalimentaire.

À mon épicerie Métro, c’est le désert au chapitre de l’information au consommateur. Par exemple, des olives sont présentées comme un produit canadien. À ma connaissance, le climat canadien ne permet pas la culture de l’olive : toutefois les olives sont probablement importées en baril et transvidées dans des pots plus petits au Canada, ce qui suffit à leur valoir la citoyenneté canadienne — le pays étant un modèle de multiculturalisme alimentaire.

De manière générale, des tonnes d’aliments sont « Fabriqués pour Briska », sans aucune mention du pays d’origine. Ou alors c’est « Fabriqué au Canada à partir d’ingrédients canadiens et importés », ce qui signifie probablement que le contenant est canadien mais le contenu vient de quelque part sur Terre. À la télévision, Oasis essaye de nous faire croire que son jus d’orange est aussi québécois que la Grande muraille de Chine est chinoise. N’importe quoi.

Si l’Allemagne veut écouler ses œufs, il suffit de nous les passer dans ses délicieux biscuits et gâteaux. Nos douaniers aiment tellement les pâtisseries que je serais surpris qu’ils nous privent du plaisir d’en manger.

Bref, si vous faites de l’insomnie à l’idée de consommer des aliments contaminés à la dioxine, la meilleure solution est sans doute une tisane calmante, en espérant qu’elle ne le soit pas contaminée à quelque chose…

Références :
Alerte à la dioxine en Allemagne
Dioxine (Futura sciences)
Dioxine (Wikipédia)
Dioxine/Allemagne: pas de « danger »
Dioxine : l’Allemagne abat tous les animaux contaminés
Dioxine: la Russie interdit les importations de volailles d’Allemagne
Pas bon – Gigantesque scandale à la dioxine en Allemagne

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Le néo-libéralisme des gaz de schiste

Publié le 16 janvier 2011 | Temps de lecture : 3 minutes

À la demande du Ministère de la Santé et des Services sociaux, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) a effectué une analyse l’état des connaissances sur les risques d’atteinte à la santé associés au gaz de schiste.

Dans un rapport préliminaire rendu public vendredi, l’Institut conclut qu’il n’existe pas suffisamment de données scientifiques actuellement pour tirer une conclusion à ce sujet.

Ce qui m’a intéressé, c’est la réaction de la ministre des Richesses naturelles du Québec. Celle-ci déclarait : « Écoutez, une vache émet plus de CO2 dans l’atmosphère qu’un puits ».

A-t-on dit à la ministre que dans le schiste, on veut extraire des gaz combustibles et non du gaz carbonique ? Sait-elle la différence entre les deux ? Sinon, elle risque de sous-estimer vachement les dangers de cette industrie.

De plus, son ministère s’est empressé d’ajouter que l’exploration des gaz de schiste permettra de combler le manque de données scientifiques à ce sujet. Cela est faux.

L’exploration des gaz de schiste n’a pas pour but de mesurer l’impact de cette activité industrielle sur l’environnement ou la santé. Si soudainement l’eau potable d’une ville devenait contaminée, on connait déjà la réaction de l’industrie : c’est de nier le rapport entre ses activités et la contamination observée. En somme, l’exploration a pour unique but de d’explorer, c’est-à-dire de déterminer où se trouve la ressource.

Le modèle de développement retenu par le gouvernement Charest relativement aux gaz de schiste est de privatiser la ressource mais d’étatiser les risques.

En principe, les richesses naturelles du Québec appartiennent à la nation québécoise. Même le sous-sol du terrain sur lequel votre maison est construit e ne vous appartient pas : il appartient à la province. Si l’industrie y découvre quelque chose et que Québec donne le feu vert à l’exploitation, c’est gratuit. Elle peut prendre ce qu’elle veut : il suffit de verser à l’État une redevance insignifiante de 2 % — non pas des ventes, mais des profits — alors que le reste sera distribué aux actionnaires répartis autour du globe. Bref, un pillage organisé de nos ressources naturelles orchestré par le gouvernement Charest.

Mais qu’arrivera-t-il si la nappe phréatique d’une municipalité devient impropre à la consommation en raison de la pollution par des gaz de schiste ? L’entreprise n’a qu’à fermer portes et les contribuables québécois seront pris à acheminer l’eau potable par camion-citerne pour l’éternité aux citoyens de cette municipalité ou, à défaut, à construire un aqueduc de plusieurs km afin de les approvisionner de nouveau en eau potable.

Bref, je ne suis pas contre l’exploitation de nos ressources naturelles. Mais pas selon le marché de dupes établi par le gouvernement Charest en faveur de ses amis libéraux à la tête de cette industrie.

Références :
Comme vous avez raison, Mme Payette!
Émanations de gaz de schiste
État des connaissances sur la relation entre les activités liées au gaz de schiste et la santé publique : rapport préliminaire
Gaz de schiste: trop de risques non évalués, dit la Santé publique
Impossible d’évaluer le risque du gaz de schiste
Je me sens seule

Paru depuis :
Carte interactive des forages d’hydrocarbures en sol québécois depuis 1860 (2013-04-21)

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Fuite des puits de gaz = amateurisme

Publié le 5 janvier 2011 | Temps de lecture : 2 minutes

D’après un document daté du 7 décembre 2010 et rendu public aujourd’hui dans La Presse, on apprend que sur trente et un puits de gaz de schiste inspectés par le Ministère des ressources naturelles, dix-neuf sont sujets à des fuites.

Compagnies Puits défectueux Taux de défectuosité
Talisman Energy 11/11 100 %
Gastem 2/2 100 %
Canbriam Energy 4/6 66 %
Questerre Energy 1/1 ou 1/2 50 ou 100 %
Canadian Forest Oil 1/1 ou 1/2 50 ou 100 %
Junex 0/9 0 %
TOTAL 19/31 61%


 
Aucun des neuf puits de Junex inspectés par le ministère ne présente de fuites. Toutefois, les bassins de rétention de trois d’entre eux étaient défectueux.

Au total, seuls six des 31 puits inspectés ne présentaient aucun problème apparent.

Je peux comprendre facilement que de vieilles installations industrielles puissent être délabrées. Mais comment peut-on justifier qu’une industrie neuve, à la fine pointe de la technologie, puisse s’être dotée d’installations déficientes ? De plus, selon son importance, toute fuite de gaz naturel représente un risque d’incendie ou d’explosion.

De plus, ces fuites ne sont que la pointe de l’iceberg. Avec seulement trois inspecteurs pour surveiller l’ensemble de l’industrie minière, il est douteux que le Ministère ait remué ciel et terre pour trouver ces fuites : ce sont très certainement des fuites en surface.

Si on avait cherché les déficiences plus profondes, celles susceptibles de contaminer les nappes phréatiques, qu’aurait-on trouvé ?

Références :
Gaz de schiste: zéro assurance contre l’eau polluée
Gaz non-conventionnels – Attention danger !
La majorité des puits inspectés ont des fuites
La plupart des puits ont des fuites
Questions complémentaires du 20 octobre 2010

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Pollution et gaz de schiste : c’est pas moi, je le jure

Publié le 9 décembre 2010 | Temps de lecture : 2 minutes

En août dernier, deux familles de Parker (un comté du nord du Texas) se sont adressées aux autorités pour se plaindre que l’eau de leur puits artésien avait changé de goût. Une enquête fut menée conjointement par la Commission des chemins de fer du Texas et l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA).

On découvrit que leur eau était contaminée, entre autres, par du méthane et du benzène. Les soupçons se sont portés sur Range Resources, une compagnie qui fait de l’exploration des gaz de schiste dans ce comté.

L’agence fédérale américaine, qui a les pouvoir d’intervenir, ne le fait pas habituellement, laissant le soin aux autorités locales d’agir. Mais les autorités texanes refusent d’agir puisque la compagnie a effectué des tests qui prouvent, selon elle, qu’elle n’est pas responsable de cette contamination.

Si bien que depuis des mois, ces deux familles ne peuvent pas boire leur eau, le benzène étant cancérigène et le méthane explosif.

Mardi dernier, l’EPA donnait 48 heures à Range Resources pour fournir gratuitement de l’eau potable aux familles affectées et pour résoudre le problème, sous peine d’une amende quotidienne de 16,000$.

Les autorités du Texas condamnent cette décision qu’ils trouvent prématurée puisque la responsabilité de Range Resources n’est pas établie hors de tout doute.

Référence :
Range Resources Must Repair Texas Gas-Well Leak, EPA Says

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Écrit par Jean-Pierre Martel


Impressions de Chine (3e partie) : La pollution

Publié le 11 janvier 2010 | Temps de lecture : 4 minutes
Parc olympique de Beijing, le 7 octobre 2009 à 11h04

Quel choc ! Je savais que Beijing était pollué mais rien jusqu’ici dans ma vie ne m’avait préparé à ce que j’allais voir dans la capitale chinoise : un smog inodore, laiteux, qui laisse un film de poussière sur les voitures, sur la végétation et sur toute surface plate, qui permet de regarder le soleil de face pendant plusieurs secondes sans empreinte sur la rétine, et qui prive presque les gens de leur ombre.

À titre d’exemple, la photo ci-dessus n’a pas été prise peu après la levée du jour (alors que le soleil n’aurait pas eu le temps de dissiper les brumes de l’aurore), mais plutôt à 11h05 du matin.

À mon retour, si on m’avait prêté une Bible, j’aurais juré avoir connu trois jours de smog continu à Beijing. Lorsque je regarde mes photos et mes vidéos, elles me contredisent : il semble que le soleil a percé ça et là mais je n’en ai conservé aucun souvenir. En fait, l’air n’est véritablement devenu propre qu’au sixième jour de mon voyage, le matin du départ de Xi’an : cette nuit-là, un vent de Sibérie a fait chuter les températures et a nettoyé l’air.

Aux actualités, lorsqu’on nous montre des Chinois portant un masque, nous pensons qu’ils sont atteints de la grippe ou, au contraire, qu’ils souhaitent s’en protéger. Il ne nous vient pas à l’esprit que ce puisse être dans le but de se protéger de la pollution. Mais lorsqu’on est sur les lieux, la raison paraît évidente. Ceci étant dit, moins de 5% des Pékinois portent un masque.

Notre guide de Chongqing nous a déclaré que certains citoyens de cette ville n’ont jamais vu de ciel bleu de leur vie.

Au sujet de la pollution spectaculaire de Beijing, ce qui me rassure, c’est que les dirigeants chinois et leurs familles la respirent. Je ne vois pas de meilleure motivation que l’état de santé de leurs enfants pour les inciter à travailler à améliorer la qualité de l’air de leur ville.

La montée des eaux du Yangzi, causée par le Barrage des Trois gorges, a englouti des centaines de villages riverains. Des millions de tonnes de matière organique sont en suspension dans l’eau de ce fleuve et de ses affluents. Dans quelques années, toutes ces particules se seront déposées au fond du fleuve, mais pour l’instant l’eau du Yangzi est vert laiteux.

Par contre, des parties de la Chine m’ont apparues comme des paradis inviolés. Lors d’une croisière sur la rivière Li, on pouvait voir des bateliers faire la récolte d’algues. Non pas ces algues laineuses brunes verdâtres comme celles des rivières polluées du Québec, mais des algues lustrées filiformes qu’on nous sert au restaurant. Je vous invite à voir la vidéo Chine16 — La rivière Li qui montre la pureté exceptionnelle des eaux de ce cours d’eau.

Compléments de lecture :
Des millions d’internautes chinois se rebiffent contre la pollution
Pollution record à Pékin

Parus depuis :
La Chine injecte 275 milliards pour combattre la pollution de l’air (2013-05-25)
En Chine, la mégalopole Harbin paralysée par la pollution (2013-10-21)
Schoolchildren ordered indoors as air pollution cloaks Shanghai (2013-12-06)
Nouvel épisode d’«airpocalypse» à Pékin (2014-01-16)
Pourquoi l’action climatique de la Chine nous concerne tous (2021-11-01)

Détails techniques de la photo : 
Panasonic GH1, objectif Lumix 14-45mm — 1/250 sec. — F/5,6 — ISO 100 — 16 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel