Importance géostratégique de la Syrie
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Au Moyen-Orient, qui dit guerre dit hydrocarbures.
Situés de part et d’autre du Golfe persique, le Qatar est rival de l’Iran dans l’exploitation d’un des principaux champs gaziers du monde, situé à cheval entre ces deux pays.
Le projet ‘sunnite’ du Qatar (en rouge sur la carte)
Le Qatar projetait la construction d’un gazoduc partant de ce pays et qui aurait traversé l’Arabie Saoudite, la Jordanie, la Syrie et la Turquie afin d’approvisionner l’Europe en gaz naturel.
Au Proche et au Moyen-Orient, ce trajet n’aurait traversé que des pays dont la population est majoritairement musulmane sunnite.
Désireuse de bénéficier des retombées économiques de la construction d’un gazoduc traversant son territoire et soucieuse d’avoir l’Europe à sa merci, la Turquie soutenait le projet qatari. De plus, cela lui aurait permis de s’affranchir de la Russie, responsable de 60% de ses approvisionnements en gaz naturel.
Le projet ‘chiite’ de l’Iran (en vert sur la carte)
De son côté, afin d’acheminer le gaz de ce même gisement à partir de son territoire, l’Iran projetait la construction d’un gazoduc traversant plutôt l’Irak et la Syrie. Le gaz naturel liquéfié aurait finalement atteint l’Europe par bateau, sans passer par la Turquie.
Ce projet ne traversait que des pays dont les dirigeants sont des musulmans chiites.
À l’époque où le président syrien Bachar el-Assad dirigeait son pays avec une main de fer, ces deux projets concurrents de gazoducs attendaient son approbation.
Le feu vert en 2010
Bachar el-Assad aurait pu autoriser les deux. Mais à la fin de 2010, son gouvernement décida de ne permettre qu’un seul projet, celui de son allié iranien. Cette décision était également un pied de nez à la Turquie, avec laquelle la Syrie entretient des relations conflictuelles depuis plus d’un demi-siècle.
Ce fut une grave erreur.
Cumulativement, au cours de la durée totale de son fonctionnement, le gazoduc qatari devait rapporter des revenus de l’ordre de centaines de milliards de dollars au Qatar. Furieux du refus syrien, les dirigeants de cette pétromonarchie décidèrent de renverser le régime de Bachar el-Assad.
À la merci de la Russie pour son approvisionnement en gaz naturel, l’Europe occidentale ne gagnait rien à se libérer de la Russie si c’était pour devenir dépendante du gaz iranien. Voilà pourquoi, les pays occidentaux, avec la complicité de la Turquie, décidèrent de soutenir discrètement les visées subversives des pétromonarchies.
Le printemps arabe en 2010-2011
Quelques semaines après le feu vert donné au projet de gazoduc iranien, éclate un événement totalement imprévu dont l’importance historique est considérable : le Printemps arabe.
Déclenchée en Tunisie le 17 décembre 2010, cette révolte se solde par la démission du chef d’État tunisien moins d’un mois plus tard, le 13 janvier 2011.
En janvier et février 2011, une série de manifestations d’une ampleur inégalée se déroulent en Égypte. Les manifestations les plus importantes de déroulent le vendredi — le jour de la prière chez les Musulmans — au sortir des mosquées.
En effet, l’Arabie saoudite utilise son influence sur le clergé égyptien pour transformer les prêches du vendredi en discours incendiaires où les imams incitent les fidèles à la révolte. Le 11 février 2011, le chef de l’État égyptien démissionne.
Comme une trainée de poudre, le Printemps arabe atteint la Syrie en mars 2011. Les premières manifestations antigouvernementales y sont organisées. Celle de Deraa, le 23 mars, est la première réprimée dans le sang; 50 à 100 opposants sont tués.
Le vendredi suivant, le 25 mars, le clergé sunnite de Syrie appelle les fidèles à la révolte; c’est le Jour de la colère. Quatre jours plus tard, le gouvernement syrien présente sa démission au président Bachar el-Assad (qui lui, demeure en poste).
Dans les mois qui suivent, les manifestations se succèdent, toujours réprimées brutalement par l’armée. Parallèlement, dès le mois d’avril, on assiste à l’apparition de groupes rebelles armés.
La guerre en Syrie
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Alors que le Printemps arabe piétine en Syrie, les pétromonarchies se voient obligées d’adopter une autre stratégie; celle d’y transformer ce début de guerre civile, en guerre par procuration où des milices financées par elles — provenant de n’importe où — combattront le régime de Bachar el-Assad.
En 2011, s’il était possible de parler de rebelles ‘modérés’, cela n’est plus possible aujourd’hui. Comme dans toute guerre qui s’éternise, les scrupules et principes de départ ont fait place depuis longtemps à une haine impitoyable; tous les moyens sont bons pour tuer l’ennemi.
À l’époque de la répression du Printemps arabe, la grande majorité des pertes civiles ont été causées par le régime de Bachar el-Assad. Cet argument a souvent été utilisé pour prouver la barbarie de ce dernier. En réalité, cela ne faisait que refléter la supériorité militaire du régime en ce début de guerre.
Si les avions, les bombes et les gaz toxiques de l’armée syrienne avaient été aux mains des rebelles — notamment ceux qui se sont ultérieurement joints à Al-Qaida ou à l’État islamique — ce serait eux qui auraient causé la majorité des morts parmi la population civile dès le début de la guerre.
Territoires contrôlés par les forces en présence
De nos jours, chaque fois qu’une ville ou qu’un village syrien tombe entre les mains des rebelles islamistes dits ‘modérés’, les Alaouites (le groupe confessionnel auquel appartient Bachar el-Assad) y sont systématiquement massacrés.
Contrairement à ce que soutient la propagande officielle de nos pays, la guerre en Syrie n’oppose pas le méchant régime de Bachar el-Assad à de bons rebelles luttant pour la démocratie parlementaire; elle oppose un régime brutal à des mercenaires étrangers pires que lui.
En excluant Al-Qaida et l’État islamique (dont on connait bien l’idéologie barbare), les autres milices rebelles, si elles prenaient le pouvoir, se proposent toutes d’implanter la charia (autrement, elles ne seraient pas financées par l’Arabie saoudite) et d’exterminer les Alaouites, soit 12% de la population syrienne (c’est-à-dire deux millions de personnes).
Évidemment, dans une telle éventualité, beaucoup d’Alaouites fuiraient à l’étranger. Mais ceux restés sur place seraient l’objet d’un génocide.
Dans un pays divisé — non pas par des rivalités interconfessionnelles — mais plutôt par des haines interconfessionnelles (attisées par des pays étrangers), la seule manière de pacifier ce pays est de le soumettre au joug d’un régime brutal. Or ce régime existe déjà, c’est celui de Bachar el-Assad.
En claquant des doigts, si on pouvait faire cesser cette guerre et tenir des élections demain, Bachar el-Assad serait réélu facilement parce que les dirigeants des milices rebelles sont soit des étrangers ou de parfaits inconnus.
Les pays occidentaux le savent très bien. Impuissants le renverser militairement, ils insistent pour que Bachar el-Assad quitte volontairement ses fonctions. Un vœu que le dirigeant syrien a ignoré jusqu’ici.
On peut remplacer l’homme. Mais remplacer son régime autoritaire signifie livrer le pays au chaos, à l’anarchie et au carnage.
Références :
Declassified Department of Defense Report (2012-07-30)
La Syrie, pays de tous les enjeux
Qatar-Turkey pipeline
Révolution tunisienne de 2010-2011
Syria’s Pipelineistan war
Parus depuis :
If the Castle Falls: Ideology and Objectives of the Syrian Rebellion (2015-12-21)
“Échanges entre militaires” : les révélations de Seymour Hersh sur la Syrie (2015-12-28)
Report on Syria conflict finds 11.5% of population killed or injured (2016-02-11)
Russia is the big winner in Syria’s flawed ‘truce’ (2016-02-12)
Des rebelles islamistes accusés de crimes de guerre (2016-07-05)
Revealed: the £1bn of weapons flowing from Europe to Middle East (2016-07-27)
Les forces françaises ont tué au moins 2 500 djihadistes de l’EI en Irak et Syrie (2016-12-13)
Syrie : la guerre des intérêts (2017-04-10)
DGSE, Espions, Secrets des Affaires, Crises mondiales (vidéo) (2018-04-07)
Coudon, M. Martel, avec tout ce que vous racontez, il y a de la matière plus que suffisante pour faire des films avec beaucoup d’action et de suspense genre Mission Impossible et James Bond.
Il n’y a pas à dire on comprend que le citoyen ordinaire, d’ici ou de la-bas, puisse se trouver perdu en tentant, bien assis dans son salon, d’analyser la situation ou en la vivant in situ.
Vous et moi sommes bombardés d’informations contradictoires qui, à la longue, finissent par nous convaincre que les conflits au Moyen-Orient sont d’une complexité telle que seuls des experts peuvent s’y retrouver.
Mon but est d’analyser tout cela, de comprendre ce qui se passe, et une fois cela fait, rendre le tout simple sans être simpliste.
Pourquoi le gouvernement Harper a-t-il justifié les bombardements du Canada en Irak en soulignant l’importance de protéger les femmes yézidis du viol par les miliciens de l’État islamique (ÉI) alors que l’armée canadienne protège les violeurs dans ses propres rangs et décourage les soldates violées de porter plainte contre leurs agresseurs ?
Puisque les soldats de l’ÉI sont des barbares que seuls les Kurdes réussissent à affronter sur le terrain, pourquoi les bombardements turcs contre les Kurdes sont applaudis par les puissances occidentales qui, pourtant, disent appuyer les Kurdes victimes de ces mêmes bombardements ?
Pourquoi la coalition contre l’ÉI bombarde peu les sites d’extraction pétrolière du califat alors que c’est là sa principale source de revenus ?
La clé pour comprendre ces contradictions est de savoir que tous les États tiennent un double discours (un euphémisme pour dire qu’ils mentent). Une fois qu’on les juge à ce qu’ils font et non à ce qu’ils disent, tout devient clair.
Pour le lecteur qui accepte de lire attentivement mes textes en s’abandonnant à leur logique propre, la récompense est de découvrir que tout cela est compréhensible.
Après une telle lecture, il a donc le choix entre demeurer fidèle à mes explications ou, au contraire, retourner aux versions officielles et incompréhensibles des États et croire de nouveau être un imbécile…
UNE HAINE IMPITOYABLE… UNE GUERRE…
Franchement, c’est de plus en plus compliqué pour Moi !
Une guerre née d’un Printemps arabe qui a contaminé, comme une traînée de poudre, la Syrie. Le clergé sunnite appelle les fidèles et, on voit apparaître des groupes rebelles armés… La guerre piétine… il faut tuer l’ennemi.
On est toujours dans l’opposition de l’Etat et de l’Eglise où les scrupules et principes de départ ont fait place depuis longtemps à une haine impitoyable.
A force de lire, on éclaircit les choses et je crois pouvoir comprendre que cette guerre s’oppose à un régime brutal pire que celui de Bachar el-Assad.
Si je comprends bien : c’est une guerre qui a pour but d’éviter l’implantation de la Charia… pour éviter le génocide.
Est-ce-que je me trompe ?
Si on prend du recul par rapport au conflit syrien et qu’on examine l’ensemble du monde arabe dans une perspective géostratégique, on observe deux grands phénomènes.
Le premier est une stratégie occidentale qui vise à priver la Russie de ses alliés régionaux (l’Irak de Saddam Hussein, la Libye de Mouammar Kadhafi et la Syrie de Bachar el-Assad).
Pour ce faire, les Occidentaux s’allient aux pétromonarchies qui, de leur côté, veulent remplacer ces régimes musulmans séculaires (où on a séparé l’État de l’Église) par des régimes musulmans fondamentalistes (où la charia a force de loi).
Jusqu’à maintenant, cette stratégie a mené au désastre. La Libye est livrée à une anarchie qui menace la stabilité de son voisin tunisien. L’Irak est en guerre civile. En Syrie, c’est la catastrophe.
Dans ce dernier pays, l’étincelle fut le refus de Bachar el-Assad d’autoriser le gazoduc qatari à traverser le territoire syrien.
Profitant du Printemps arabe, l’Arabie saoudite manipule de clergé sunnite pour qu’il incite les Syriens sunnites à se révolter contre Bachar el-Assad (chiite).
Devant l’échec de cette révolte, les pétromonarchies (avec la complicité de la Turquie) arment tous les bandits de la région pour qu’ils tentent de renverser Bachar el-Assad.
Et les pays occidentaux, toujours aussi myopes, ne réalisent pas que les rebelles financés par l’Arabie saoudite sont des terroristes animés par une idéologie semblable à celle de l’État islamique (ce que révèle ce matin le quotidien The Guardian).
En somme, l’État islamique disparaitrait maintenant que ce vide serait comblé immédiatement par d’autres milices qui continueraient la lutte contre Bachar el-Assad afin d’implanter un régime islamiste où la charia aurait force de loi.
En résumé, avec Bachar el-Assad, pas de charia et pas de génocide des minorités syriennes. Sans Bachar el-Assad (ou quelqu’un d’autre de son clan), un régime islamiste s’installe en Syrie et les minorités syriennes sont persécutées, sinon exterminées.