Le marketing improvisé du Plan nord

Publié le 12 janvier 2012 | Temps de lecture : 6 minutes

Même dans les pays communistes où l’État contrôle à peu près tout, personne ne planifie l’économie au-delà de cinq ans. De la même manière, dans nos économies libérales, aucun dirigeant d’entreprise n’oserait essayer de prévoir les bénéfices de sa propre compagnie au-delà d’une année.

C’est donc au risque d’être la risée du monde occidental, que le gouvernement Charest fait la promotion ces temps-ci du Plan Nord, un plan vague de développement du Grand-nord québécois s’étendant sur une période de vingt-cinq ans.

L’idée est simple, presque simpliste. Devenue le centre manufacturier de la planète, la Chine possède actuellement un appétit gargantuesque pour ce qui lui est nécessaire soit l’énergie et les métaux. Or justement, le nord du territoire québécois renferme un grand nombre de richesses naturelles, plus précisément de très nombreux gisements miniers. Pourquoi ne pas sauter sur l’occasion pour développer le nord du Québec ?

Toutefois, une des règles du développement minier au Québec, c’est qu’une mine qui s’installe dans le Nord doit tout payer et plus particulièrement les routes pour s’y rendre. Mais voilà que l’exploitation de ces mines n’est pas rentable puisqu’elles sont trop éloignées.

Le gouvernement Charest a donc eu l’idée de transférer sur le dos des contribuables tous les frais qui empêchent ces mines de générer des profits afin que cette partie du territoire québécois devienne une fourmilière d’activité industrielle.

C’est ainsi que le gouvernement Charest est en discussion avec la multinationale Goldcorp afin de partager les frais de construction d’un tronçon de 60km qui relirait le site d’une nouvelle mine au réseau routier québécois.

Autre exemple : pour permettre à Stornoway Diamond d’accéder à des diamants dont la valeur brute est évaluée à 5,4 milliards$, il est nécessaire de prolonger la route 167 sur une distance de 240km. Normalement, cela coûterait 330 millions$ à l’entreprise. Mais grâce au Plan Nord, sa contribution est plafonnée à 4,4 millions$ par année pendant une décennie, ce qui ne couvre même pas les frais d’intérêt de l’emprunt : le reste (y tout dépassement de coût) sera assumé par les contribuables.

Le problème, c’est que les redevances que paient les industries minières — 360 millions$ pour une valeur extraite annuellement avoisinant les 8 milliards$ — sont à peine supérieures aux frais de restauration des sites que les minières abandonnent lorsqu’elles font faillite. Peu importe : le Plan nord prévoit que nous devrions payer en totalité ou en partie les routes, les lignes de chemin de fer, un port en eau profonde à Kuujjuarapik (sur les rives de la baie d’Hudson), la construction ou la mise à niveaux d’aéroports, et l’extension du réseau hydro-électrique afin de les desservir. Bref, il ne manque que le caviar et le champagne à volonté.

Uniquement d’ici 2016, Québec prévoit dépenser 1,2 milliard pour développer des infrastructures qui serviront d’abord aux entreprises qui souhaiteront y exploiter des ressources non renouvelables au bénéfice de leurs actionnaires. Rappelons que les richesses naturelles du Québec appartiennent aux Québécois et non à ceux qui obtiennent des concessions minières. Pourtant, dans l’esprit de ces derniers, il suffit d’obtenir le permis d’exploitation d’une mine pour devenir le propriétaire exclusif de tout ce qu’elle renferme.

De plus, les minéraux seraient exportés tels quels, sans transformation qui aurait pu en augmenter la valeur ajoutée au Québec. Forcer la transformation du minerai ici serait même néfaste pour le Québec, soutient sans sourciller le Ministre délégué aux Ressources naturelles. Par conséquent, le modèle de développement industriel proposé par le Parti libéral se confond avec celui qu’avait le Québec il y a soixante ans, sous la gouverne de Maurice Duplessis.

En contrepartie des sommes colossales qu’on transfèrera sur le dos des contribuables, le gouvernement Charest se refuse à exiger la transformation du minerai ici : ce serait du protectionnisme, souligne-t-il. Mais nous sommes assez stupides pour construire à nos frais un ou deux ports en eau profonde (et les centaines de km de routes qui y mèneront) afin de permettre l’exportation du minerai vers ses lieux de transformation. En d’autres mots, nous allons subventionner la création d’emplois de transformation quelque part ailleurs sur la planète.

En somme, on est sur le point d’ajouter des sommes pharaoniques à la dette publique québécoise (plus de 47 milliards$) sans avoir la moindre idée des retombées positives pour les contribuables.

Au cours d’une conférence de presse tenue dimanche dernier, le Premier ministre a affirmé qu’un emploi dans le nord du Québec en générait deux dans le sud. Vraiment ? Sur quoi se base-t-on pour affirmer cela ? Sur rien. Aurait-on reçu des études économiques qui le prouvent ? Pas du tout. Ce qui n’a pas empêché le Premier ministre de marteler cette affirmation comme s’il suffisait de répéter n’importe quoi pour que cela devienne un peu plus vrai à chaque fois qu’on le dit.

Références :
Baie-James vs Plan Nord
Charest veut redoubler d’efforts pour rallier les Québécois au Plan Nord
Forcer la transformation du minerai ici serait néfaste pour le Québec
Le Plan Nord : l’œuf de Pâques de Monsieur Charest
Le projet de l’année 2011 – Le Plan Nord
Plan Nord – Clément Gignac compare le Nord aux pays émergents
Plan Nord – Québec confirme des discussions avec Goldcorp pour la construction d’une route
Route 167 – Québec assumera seul tout dépassement de coûts
Québec s’apprête à dévoiler son plan Nord

Parus depuis :
Consternation à Matane
Les redevances minières, un secret bien gardé
Plan Nord – La vache à lait
Plan Nord – Québec renonce à la transformation du diamant
Une avocate à la fois émissaire de Québec et lobbyiste (2012-03-23)
240 kilomètres vers une mine fermée (2024-11-23)

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