La monarchie canadienne
À l’époque napoléonienne, Bonaparte décernait le titre de roi à des membres de sa famille placés à la tête de pays conquis par ses armées.
Dans ses colonies, le parlement anglais procédait différemment.
Chaque fois qu’il jugeait opportun de doter l’une d’elles d’une administration relativement autonome, Londres préservait le lien qui reliait cette colonie à la couronne britannique.
Si bien que le roi Charles III est non seulement roi de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, mais également le monarque des autres royaumes du Commonwealth (dont celui du Canada).
En effet, notre pays est un royaume. Plus précisément, c’est une monarchie constitutionnelle dirigée par Charles III. Ce dernier dispose ici des mêmes pouvoirs régaliens que dans son pays natal dont, théoriquement, celui de rendre justice.
Voilà pourquoi les avocats qui portent plainte devant les tribunaux canadiens sont dits ‘avocats de la Couronne’, apposés donc aux avocats de la défense (de l’accusé).
C’est par une loi britannique adoptée par Londres en 1867 — le British North America Act — que le Canada a obtenu son autonomie gouvernementale.
Première puissance mondiale, la Grande-Bretagne se considérait à l’époque comme le modèle devant servir d’exemple à l’humanité tout entière.
Du coup, elle ne s’est pas contentée de maintenir le cordon ombilical monarchique; elle a carrément modelé le gouvernement du Canada sur son exemple.
Comme la Grande-Bretagne, le Canada est doté d’un parlement bicaméral, c’est-à-dire un parlement composé de deux chambres législatives sous l’autorité symbolique du monarque britannique.
Un parlement bicaméral
Ce parlement bicaméral est d’abord une chambre haute — appelée Sénat — sur le modèle de la Chambre des Lords britannique. Et une chambre basse, appelée Chambre des communes, comme à Londres.
La seconde est dite ‘basse’ parce qu’elle est soumise à l’autorité de la chambre haute. Aucune des lois votées par la Chambre des communes ne peut réellement entrer en vigueur sans son adoption par la chambre haute du pays.
En gros, la chambre basse, c’est celle du peuple. Et la chambre haute, celle des possédants.
La chambre haute
La Chambre des Lords fut créée au XIVe siècle.
À l’époque, la moitié de la population anglaise était serf. Ce qui signifie qu’on était tenu au travail forcé pour son seigneur (appelé Lord en anglais).
Puisque le domaine seigneurial est un bien héréditaire, une partie des Lords anglais se transmettaient ce titre de père en fils.
Pendant des siècles, les Lords anglais étaient donc de riches propriétaires terriens issus de la noblesse ou du haut clergé. Leur fortune était telle qu’ils avaient les moyens de lever une armée et de menacer l’autorité du roi.
Leur offrir au parlement une assemblée dotée d’un droit de véto lorsque les élus du peuple menaçaient leurs intérêts, c’était non seulement du réalisme politique, mais également une manière de les associer au pouvoir royal (puisque c’était le roi qui les nommait).
En somme, le roi récompensait les nobles qui lui mangeaient dans la main.
Dans son zèle à modeler le gouvernement du Canada sur son exemple, la Grande-Bretagne a tenu à imposer au pays un Sénat semblable à la Chambre des Lords britannique.
Selon la constitution de 1867, on ne peut être nommé au Sénat que si on possède des terres d’une valeur minimale de 4 000 piastres (sic) dans la province ou le territoire que l’on représente ainsi que des propriétés mobilières et immobilières d’une valeur minimale de 4 000 autres piastres en sus de toutes ses dettes et obligations.
Ces exigences ont été reconduites dans la Canadian Constitution de 1982.
De nos jours, Ottawa estime que pour être nommé au Sénat, on doit être un propriétaire libre de dettes et posséder un actif supérieur à 8 000$ sur son passif.
Cette interprétation littérale du British North America Act n’en respecte pas l’esprit.
En 1867, l’intention du législateur anglais était de créer au Canada une chambre haute sur le modèle de celui en Grande-Bretagne, c’est-à-dire qui perpétuait les inégalités sociales héritées du Moyen-Âge. En réalité, ce surplus de l’actif sur le passif représente 160 000 dollars (en dollars d’aujourd’hui).
Si un jour, Ottawa devait menacer de faire invalider toutes les lois du Québec parce que certains députés québécois n’ont pas prêté serment au roi d’Angleterre, Québec pourrait répliquer en menaçant de faire invalider toutes les lois fédérales parce viciées en raison de leur adoption par certains sénateurs qui n’étaient pas suffisamment fortunés…
Dans les faits, le sénat canadien, tout comme son modèle anglais, est un club de riches; même ceux qui peuvent clamer leurs origines modestes sont en réalité des parvenus.
La chambre basse
L’élection des députés canadiens au suffrage universel date de 1960. En effet, les femmes durent attendre jusqu’en 1918 pour obtenir le droit de vote au fédéral. Et finalement, les Autochtones n’eurent ce droit qu’en 1960.
Contrairement à ce qui se passe en France ou aux États-Unis, les citoyens du Canada n’élisent pas directement le premier ministre. On vote pour son député. Et le chef du parti qui en fait élire le plus devient premier ministre.
Les élus ne deviennent officiellement députés qu’après avoir prêté serment d’allégeance au roi d’Angleterre. D’où vient cette coutume ?
Après des siècles de guerre civile entre Catholiques et Protestants, on institua en Angleterre le serment du Test. Comme son nom l’indique, ce serment était un test pour empêcher les Catholiques d’occuper n’importe quelle charge politique, judiciaire et administrative de l’État anglais.
Par ce serment, on prêtait allégeance au roi d’Angleterre (chef de l’Église anglicane), on rejetait l’autorité du pape, et on déclarait ne pas croire à la transsubstantiation (un dogme catholique rejeté par l’anglicanisme).
Pour que ce test soit encore plus explicite, on lui ajouta en 1678 la réprobation du culte de la Vierge et des saints comme étant une forme d’idolâtrie.
Toutefois, en raison de la Révolution américaine (1775-1784), La Grande-Bretagne jugea bon adoucir ce serment afin de ne pas inciter les ‘Canayens’ — le nom donné aux Francophones catholiques du Québec — à se révolter eux aussi contre la Couronne britannique.
Le serment du Test fut donc remplacé par un nouveau serment exigeant seulement l’allégeance à la couronne britannique, sans référence explicitement anticatholique.
En se dotant d’une nouvelle constitution en 1982, le Canada avait une belle occasion d’abandonner cette coutume vieillotte.
En réalité, la motivation première d’Ottawa à doter soudainement le pays d’une nouvelle constitution était de contrer les dispositions de la Loi 101 du Québec, adoptée cinq ans plus tôt, qui proclamait le droit collectif d’assurer la pérennité de la langue française au Québec.
Obsédés par cette ‘menace’, les procureurs chargés de rédiger le nouveau texte constitutionnel canadien ont oublié de corriger cette situation ridicule qui consiste à obliger les élus du parlement canadien à prêter allégeance à un roi étranger plutôt qu’au peuple canadien.
Quant aux élus de l’Assemblée nationale du Québec, peuvent-ils ou non être dispensés de cette coutume arriérée ? Le Parti Québécois le croit. D’autres en doutent.
N’ayant pas lu les avis juridiques des experts constitutionnels consultés par le PQ, je me contenterai de tirer une conclusion évidente; le Canada fait dur.
Références :
La Canadian Constitution de 1982 : une constitution verrouillée
Chambre des lords
La monarchie constitutionnelle canadienne vieillit mal
Loi électorale du Canada
Serment du Test
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