Mer Noire : vers une Troisième Guerre mondiale ?

Publié le 22 mai 2022 | Temps de lecture : 9 minutes


 
Introduction

Les guerres entre deux belligérants sont toujours des occasions d’affaires pour des pays tiers.

Afin de ne pas être considérés comme des cobelligérants, les pays fournisseurs évitent de faire en sorte que leurs soldats à eux soient directement impliqués dans les opérations.

L’exemple afghan

De 1979 à 1989, la première phase de la guerre en Afghanistan opposa les Moudjahidines — en gros, les ‘ancêtres’ des Talibans — soutenus par les États-Unis, le Royaume-Uni, le Pakistan et l’Arabie saoudite, au régime communiste afghan soutenu par l’URSS.

Pour les Américains, il s’agissait d’attirer l’URSS dans un piège similaire à celui dans lequel les États-Unis étaient tombés au Vietnam; faire de cette guerre un gouffre financier qui affaiblit l’envahisseur.

Débutée sous le président Jimmy Carter et renforcée sous Reagan, cette stratégie fonctionna tellement bien qu’elle entraina en 1991 l’effondrement de l’URSS. Le facteur déclenchant fut la révolte du Mouvement Solidarité en Pologne. Mais la cause profonde fut l’implication militaire ruineuse de la Russie en Afghanistan.

Tout cela est admis publiquement aujourd’hui. Mais à l’époque, l’appui de la CIA à la guérilla afghane était ultrasecrète. Par exemple, les armes fournies par les États-Unis étaient principalement de modèle soviétique (achetées de Chine, d’Égypte et de pays de l’Est) afin de ne pas prouver l’implication des États-Unis.

Pour les Américains, le cout annuel de l’opération passa d’environ 25 millions de dollars en 1980 à 630 millions en 1987, pour un cout total compris entre trois et vingt-milliards de dollars.

La guerre russo-ukrainienne

Après avoir décrété un blocus financier contre la Russie, les États-Unis ont officiellement offert une aide militaire de quarante-milliards de dollars à l’Ukraine.

L’armement américain n’est pas acheminé directement, mais passe par des pays de l’Otan limitrophes de l’Ukraine.

De plus, même si c’est un secret de Polichinelle, les États-Unis nient fournir à l’Ukraine des données de géolocalisation destinées à suivre à la trace des troupes russes au sol. Ce qui permet aux Ukrainiens de monter des opérations militaires d’une redoutable précision.

Toutefois, jusqu’ici, l’Otan a soigneusement évité que des militaires de l’alliance atlantique participent sur le terrain à des opérations aux côtés des forces ukrainiennes.

De manière à éviter un casus belli, c’est-à-dire à un incident justifiant une déclaration de guerre. Comme ce fut le cas en 1914 lors de l’attentat de l’héritier de l’Empire austro-hongrois à Sarajevo.

Ce fait divers entraina l’entrée en guerre de presque tous les pays européens. Et ce, en raison de tout un réseau d’alliances militaires qui, tel un jeu de dominos, les fit entrer en guerre les uns contre les autres.

La prudence de l’Otan jusqu’ici tire à sa fin puisque l’alliance atlantique a décidé de déployer des navires de guerre en mer Noire. Ce qui augmente considérablement le risque de déclenchement d’une Troisième Guerre mondiale.

La mer Noire et l’ordre mondial

On estime que 12 % de toutes les calories alimentaires sur Terre — blé, orge, betterave sucrière, pommes de terre, soja, maïs, huile de tournesol, etc.— sont produites à partir des sols fertiles d’Ukraine et de Russie.

L’agriculture russe n’est pas affectée par la guerre. Il en est autrement en Ukraine, un pays qui importe ses engrais chimiques de Russie.

Non seulement la mobilisation générale en Ukraine diminue d’autant la main-d’œuvre agricole et compromet les récoltes à venir, mais le blocus maritime de la Russie en mer Noire empêche l’Ukraine d’écouler ses réserves de grains récolés antérieurement.

C’est par les ports d’Odessa (en mer Noire) et de Marioupol (en mer d’Azov) que l’Ukraine exportait une bonne partie de ses produits agricoles et de sa production industrielle.

Leur importance s’est accrue depuis la perte de la Crimée, où se trouvait environ le tiers des terminaux de conteneurs du pays.

L’Ukraine exportait cinq-millions de tonnes de céréales par mois avant la guerre. Elle n’en exportait plus que 200 000 tonnes en mars 2022, puis 1,1 million de tonnes le mois dernier. C’est par bateau que l’Ukraine exporte 90 % de ses céréales.

Ce pays ne peut pas les exporter autrement parce que les chemins de fer en Ukraine — tout comme ceux en Finlande, ancien duché russe — ont un écartement différent du standard occidental. Ce qui signifie qu’aux frontières vers l’Europe, on doit transborder le grain dans des trains différents.

D’autre part, lorsque les navires de guerre russes confisquent le blé que l’Ukraine tente d’exporter d’Odessa, et lorsque l’armée russe vide les silos de céréales des villes ukrainiennes conquises, ce n’est pas parce que la Russie craint de ne pouvoir nourrir sa propre population; c’est pour servir de monnaie d’échange avec les pays sous-développés qui, privés des produits alimentaires ukrainiens, pourraient connaitre des famines, des révoltes et probablement des renversements de gouvernement.

En somme, le blocus maritime de la Russie en mer Noire compromet l’ordre mondial.

C’est ce qui explique que la croisade américaine contre la Russie a suscité l’adhésion des pays riches d’Occident, mais a été accueillie très froidement ailleurs.

Transformer la mer Noire en poudrière

Le désir de l’Otan de faire lever ce blocus et de protéger l’ordre mondial est donc parfaitement légitime.

On peut y arriver par deux moyens.

Le moyen le plus sage aurait été d’utiliser des moyens diplomatiques pour faire cesser cette guerre.

Ce qui signifie enlever à la Russie sa motivation principale à la déclencher, soit la crainte que l’Ukraine se dote de missiles nucléaires dirigés contre Moscou.

Le texte ‘L’engrenage ukrainien’ explique les mécanismes qui ont conduit à la guerre russo-ukrainienne.

En résumé, de la même manière que la décision cubaine de se doter de missiles hostiles envers les États-Unis a déclenché la guerre des missiles de 1962, l’adoption en septembre 2020 de la stratégie ukrainienne de sécurité nationale qui prévoyait le développement d’un partenariat en vue de l’adhésion de ce pays à l’Otan est la cause directe de la guerre avec la Russie.

Signalons que la guerre russo-géorgienne a cessé quand la Géorgie a renoncé à son intention d’adhérer à l’Otan.

Apparemment, les États-Unis ont choisi une stratégie beaucoup plus risquée; s’attaquer au blocus maritime russe.

Depuis des années, l’Otan se livre à des exercices militaires dans les eaux territoriales des trois pays membres qui bordent la mer Noire : la Roumanie, la Bulgarie et la Turquie.

Ces jours-ci, des navires de l’Otan se trouvent stationnés à la base roumaine de Constanța — à 150 km des frontières ukrainiennes — où des soldats alliés se préparent à un conflit direct avec la Russie.

Afin de casser le blocus maritime russe, les États-Unis veulent fournir aux Ukrainiens certains des plus puissants missiles antinavires.

Or ceux-ci ne peuvent être tirés du rivage. En d’autres mots, ils doivent être lancés à partir de navires ukrainiens.

De plus, il ne s’agit pas d’un équipement qu’on peut expédier accompagné d’un manuel d’instruction; des techniciens américains devront installer eux-mêmes ces missiles à bord des navires ukrainiens.

En supposant que les États-Unis prennent soin de faire en sorte que l’installation se fasse en Roumanie, le chemin que devront emprunter les navires ukrainiens pour s’y rendre sera surveillé par les sous-marins russes.

Puisque la Roumanie et l’Ukraine sont des pays limitrophes, si une erreur de géolocalisation amène un sous-marin russe à torpiller un de ces navires dans les eaux territoriales de la Roumanie, nous sommes alors en présence d’un casus belli, susceptible donc de déclencher une guerre mondiale.

Pour parler simplement, quand un couple est en train de se quereller, ce n’est pas le temps d’aller jouer aux cartes à côté d’eux; on risque de recevoir une taloche par mégarde.

Conclusion

Ceux qui croient que nous sommes déjà entrés dans une nouvelle guerre mondiale ne savent pas de quoi ils parlent.

Une Troisième guerre mondiale, c’est une guerre russo-ukrainienne sur les stéroïdes. La Deuxième Guerre mondiale s’est soldée par la mort 70 millions de personnes. En Ukraine, nous en sommes très loin.

Depuis 1945, plusieurs pays se sont dotés de l’arme nucléaire.

On peut estimer qu’une Troisième Guerre mondiale pourrait amener l’espèce humaine au bord de l’extinction, non seulement en raison des pertes occasionnées par l’explosion de milliers d’ogives nucléaires, mais également à cause de l’augmentation des cas de cancer là où la radioactivité rendrait certains territoires impropres à la vie humaine.

Bref, que vaut la Démocratie si les gens qu’on élit laissent aux va-t-en-guerre de l’Otan toute la liberté de nous entrainer en guerre sans que nous ayons un seul mot à dire ?

Références :
Aide de Washington à l’Ukraine : l’industrie militaire américaine craint la surchauffe
Attentat de Sarajevo
Exclusive: U.S. aims to arm Ukraine with advanced anti-ship missiles to fight Russian blockade
Face à la Russie, la mer Noire reste le “maillon faible” de l’Otan
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Ports de la mer Noire bloqués : Washington accuse Moscou d’utiliser la faim comme une arme
Programme afghan
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Un deuxième navire canadien déployé dans le cadre d’une mission d’appui à l’OTAN

Parus depuis :
Russian fighter jet ‘released missile’ near RAF plane due to malfunction, MPs hear (2022-10-20)
Attaque de navires en Crimée : Moscou blâme Londres et évoque l’implication d’Ottawa (2022-10-30)

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

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