Dans un pays du Tiers-Monde, imaginez des abattoirs de volailles où les employés n’ont pas la permission d’aller à la toilette. Conséquemment, ils jugent approprié de restreindre leur consommation de liquides ou de porter au travail des couches dans lesquelles ils urinent et défèquent.
Plus tôt cette semaine, un rapport d’Oxfam-America révélait les résultats d’une recherche effectuée de 2013 à 2016 dans les abattoirs de volailles… des États-Unis. Parce que la situation évoquée plus tôt a lieu dans ce pays et non au Tiers-Monde.
Prospère, cette industrie emploie 250 000 personnes. Dans de nombreux cas, ceux-ci travaillent mal rémunérés dans un climat de peur et sont soumis à un risque élevé d’accidents de travail et de maladies occupationnelles.
Mais ce qui les humilie par-dessus tout, c’est le manque de pause leur permettant de satisfaire leurs besoins naturels. Dans de cas rares, les employés urinent dans leurs pantalons et se changent avant de retourner chez eux.
Aux États-Unis la viande de poulet ne coute pas cher. Avec les œufs, c’est la source de protéines animales la plus économique du pays. Mais ces bas prix s’expliquent par les conditions de travail des ouvriers.
La chaine de production est une succession de tâches précises comme celles sur des usines d’assemblage automobile;
• saignée du cou du poulet pour qu’il se vide de son sang, suspendu la tête en bas
• déplumage
• décapitation et coupe des pattes
• ouverture de l’abdomen et de la cage thoracique
• vidange de l’abdomen
• prélèvement des abats,
• etc.
Les ouvriers sont sur la chaine de production pendant quatre heures d’affilée et accomplissent leur tâche spécifique sur 35 à 45 volailles à la minute, soit un poulet en moins de deux secondes.
Les ouvriers sont polyvalents et peuvent accomplir plusieurs tâches, dont celle d’un collègue. Mais en pleine production, un ouvrier suffit à peine à accomplir la tâche qui lui est attribuée et ne peut donc pas se voir confier en plus la tâche de son voisin qui doit aller à la toilette.
Or aucune tâche ne peut être interrompue sans compromettre l’accomplissement de l’ensemble des autres. Si bien que les employés sont menacés de mesures disciplinaires, de congédiements ou de déportation s’ils s’absentent sans permission. Il faut parfois attendre près de 40 minutes avant qu’une permission soit accordée.
Et parce que les usines sont gigantesques, les toilettes sont situées loin des lignes de production. Le plancher pour s’y rendre est souvent glissant parce que mouillé ou souillé de gras animal.
Dans les usines où les employés sont syndiqués — le tiers des ouvriers dans cette industrie le sont — l’employeur a suffisamment de remplaçants disponibles pour permettre l’assouvissement des besoins naturels.
Un sondage réalisé auprès de 266 ouvriers d’une usine d’Alabama a révélé que 80% d’entre eux déclarent ne pas obtenir de permission lorsqu’ils en ont besoin.
Lors d’entrevues réalisées auprès des employés du Minnesota, 86% déclarent obtenir aussi peu que deux pauses-pipi… par semaine.
Aussi inquiétants que puissent être les cas mentionnés dans ce rapport, celui-ci manque de précision. À l’exception d’un sondage, tout le reste des ‘données’ est le fruit d’entrevues anecdotiques dont on ignore habituellement le nombre, sans précision de l’usine concernée, et sans savoir en quoi ces témoignages sont représentatifs de l’ensemble des travailleurs.
Toutefois, il documente ce néoesclavagisme qui affecte une partie inconnue de la classe moyenne américaine. Cela permet de comprendre une des causes de la colère des travailleurs de ce pays contre leurs élites politiques traditionnelles et ce, en dépit des nouvelles rassurantes publiées par les agences de presse (diminution du chômage, croissance boursière et augmentation du PIB).
Références :
Inégalités sociales aux États-Unis de 2000 à 2010
No Relief
U.S. poultry workers denied bathroom breaks, wear diapers at work: Oxfam report
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