Le 3 février dernier, l’Union européenne adoptait un fonds d’aide de trois-milliards d’euros destiné aux réfugiés syriens en Turquie. Cette somme a été promise à la condition que la Turquie travaille à freiner la crise migratoire vers l’Europe.
À cette occasion, le vice-président de la Commission européenne, Frans Timmermans, a déclaré : « L’argent que nous mettons sur la table va directement bénéficier aux réfugiés syriens en Turquie. Il aidera notamment à améliorer leur accès à l’éducation et à la santé.»
Comme si les réfugiés quittaient la Turquie parce qu’ils ne sont pas satisfaits de l’éducation qu’y reçoivent leurs enfants…
Sur les 2,7 millions de Syriens que la Turquie a accueillis, seulement le huitième vit dans des camps de réfugiés installés le long de la frontière syrienne.
La grande majorité vit donc dispersée dans des villes turques.
Ils habitent des appartements souvent insalubres qu’ils partagent à plusieurs familles et qu’ils louent à la semaine. Les loyers sont augmentés arbitrairement d’une semaine à l’autre par les propriétaires turcs qui les exploitent.
Officiellement, ils sont interdits de travail. Dans les faits, environ 60% des familles syriennes en Turquie tirent des revenus du travail au noir. Ceux qui travaillent obtiennent une énumération insuffisante à combler leurs dépenses. Lorsque leurs économies atteignent un seuil critique, les réfugiés sont forcés à l’exil.
Dans ce contexte, confier à la Turquie la sous-traitance de la sécurité frontalière de l’Europe est un peu illusoire et on voit mal comment la Turquie pourra respecter ses engagements. Rusé, ce pays presse l’Europe de lui verser l’argent. Et pas fous, les commissaires européens attendent des résultats avant de payer.
Depuis novembre dernier, l’entrée en guerre de la Russie a bouleversé la situation dans l’ouest de la Syrie, le fief de Bachar el-Assad.
Comparable à du gruyère, ce fief était troué de poches aux mains de milices islamistes appuyées par l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie.
Les bombardements russes ont permis, pour la première fois depuis des années, la reconquête d’une partie du territoire par l’armée gouvernementale.
Comme tout bombardement en zone urbaine, ceux de la Russie causent des pertes civiles et poussent à l’exil une partie de la population.
Des milliers de Syriens frappent donc aux portes de la Turquie. Si ce pays est très accueillant à l’égard des Turkmènes syriens (dont la Turquie a toujours rêvé d’annexer le territoire), elle l’est maintenant moins pour les autres minorités linguistiques de Syrie.
Face aux 30 000 réfugiés syriens bloqués à la frontière turque, des pays européens (dont l’Allemagne) ont pressé la Turquie pour qu’elle leur ouvre ses portes.
Cette intervention a irrité les dirigeants turcs.
« Vous demandez à la Turquie de contenir le flux de réfugiés vers vos pays et maintenant vous nous appelez à ouvrir grand notre frontière aux réfugiés. Vous nous prenez pour des idiots ? » s’est emporté lundi le vice-premier ministre, Yalçın Akdoğan.
M. Akdoğan a tout à fait raison.
Obliger ce pays à ouvrir ses frontières à tout réfugié syrien, c’est incohérent. Cela se justifie par les bons sentiments creux qu’affichent des politiciens européens soucieux de leur image publique.
Mais dans les faits, il n’y a pas d’issue à la crise migratoire sans paix.
Et si on veut laisser l’Arabie saoudite, le Qatar et la Turquie soutenir la rébellion islamiste, il faut ériger des murs, des murs et encore des murs, ce qui signifie la fermeture des frontières.
Il est impossible pour la Turquie de respecter ses engagements à endiguer le flot migratoire sans cela.
Toute guerre est cruelle. Dans ce cas-ci, la fermeture des frontières est devenue un remède boiteux à un gâchis inqualifiable dans une partie du monde que nos gouvernements ont mis à feu et à sang sous de beaux grands principes.
Références :
Ankara et Berlin vont faire appel à l’OTAN
Crise migratoire : pas d’issue sans paix
Erdoğan, le premier ministre turc, est une nuisance
La Turquie redoute d’avoir jusqu’à 600 000 nouveaux réfugiés syriens
L’UE d’accord sur un fonds de 3 milliards pour la Turquie
Paru depuis :
Syrian refugees in Turkey are pawns in a geopolitical game (2016-02-15)
From war to sweatshop for Syria’s child refugees (2016-05-06)
Compléments de lecture :
L’ABC de la guerre syrienne (1re partie)
L’ABC de la guerre syrienne (2e partie)
L’ABC de la guerre syrienne (3e partie)