En janvier dernier, ceux qui avaient tendance à trouver des justifications à la tuerie de Charlie Hebdo doivent se rendre à l’évidence; les victimes d’attentats terroristes ne méritent jamais leur sort.
Les personnes tuées hier soir à Paris étaient des gens comme vous et moi, attablés paisiblement à des terrasses de café ou écoutant un concert rock.
L’horreur de cette barbarie nous aide à comprendre pourquoi des millions de Syriens quittent à regret leur pays natal afin de tenter de trouver refuge ailleurs; cette barbarie, ils la quittent après l’avoir vécue quotidiennement depuis des semaines, des mois et parfois, des années.
En vue de l’attentat d’hier soir, les terroristes ont été capables de la planifier soigneusement et de la coordonner sans que les forces de l’ordre aient l’ombre d’un soupçon de ce qui allait arriver.
Et ce, en dépit du fait que la France possède un des meilleurs services de renseignements au monde.
Dans une série d’articles intitulés La tuerie de Charlie Hebdo : les lacunes du renseignement, je disais en substance que les seuls attentats terroristes évités jusqu’ici l’ont été par des moyens conventionnels; à la suite d’une dénonciation, grâce à la perspicacité d’une douanière ou à cause de l’implication physique des passagers d’un train.
Dans les faits, l’utilité des forces de l’ordre est donc de forcer les terroristes à choisir des cibles plus faciles ou de faire cesser les attentats en cours.
Hier soir à Paris, les cibles n’étaient pas ces sites touristiques très bien protégés, mais plutôt les terrasses de restaurants et une salle de concert.
De tels attentats pourraient se répéter partout où on peut se procurer aisément quelques armes automatiques.
Je crois deviner qu’au Stade de France, les kamikazes se sont fait exploser à l’extérieur parce qu’il n’ont pas réussi à y pénétrer.
Tous les moyens militaires et technologiques mis en œuvre pour combattre le terrorisme (autres que l’inspection des bagages) n’ont jamais démontré leur efficacité.
Ils servent à donner l’impression que les autorités font tout pour nous protéger; dans les faits, ils n’ont pas prévenu les attentats de New York, de Madrid, de Londres, de Copenhague et maintenant de Paris.
Pour prévenir les attentats terroristes, il faut aller à la cause de ceux-ci. Or cette cause est idéologique. En d’autres mots, ce que nous devons craindre, ce ne sont pas les armes que possèdent les terroristes; c’est la haine qui les habite.
Mais de quoi se nourrit cette haine ?
Le contentieux entre Musulmans et pays occidentaux est connu depuis longtemps. Il s’articule autour de deux pôles : la guerre coloniale d’Israël en Palestine et la multiplication des guerres suscitées par les pays occidentaux dans des pays musulmans.
Il est fini le temps où les pays producteurs d’armements pouvaient semer la mort et la désolation à l’Étranger sans que cela ait des répercussions chez eux. La prévention du terrorisme passe donc par la revision de notre politique extérieure.
Plus précisément, les citoyens que nous sommes doivent réclamer la fin de la connivence de nos gouvernements avec ce qu’il est convenu d’appeler le complexe militaro-industriel. Répandre effrontément la mort à l’Étranger parce que cela crée des emplois, c’est inévitablement la voir surgir sournoisement chez nous.
Cette prévention passe également par la répression des idéologies qui diabolisent la modernité. Le combat contre le terrorisme est fondamentalement un combat idéologique.
Après l’effondrement du rideau de fer, l’Humanité a quitté un monde binaire où s’opposaient le communisme et le capitalisme, pour entrer dans un autre monde binaire où s’opposent le totalitarisme religieux et la liberté de conscience.
Ce totalitarisme religieux, ce n’est pas l’Islam. En Indonésie, au Liban, en Tunisie et en Turquie, l’Islam est compatible avec la Démocratie parlementaire. Et ce, il est vrai, avec les mêmes risques de dérive autoritaire (en Turquie, notamment) que ceux auxquels les Canadiens viennent d’échapper grâce à la répudiation du gouvernement despotique de Steven Harper.
Le totalitarisme religieux qu’il faut combattre, c’est celui de l’Arabie saoudite et des mouvements djihadistes qu’il finance au Moyen-Orient.
L’Arabie saoudite est littéralement la Mecque du terrorisme international. Grâce à Wikileaks, nous savons — de l’avis des ambassadeurs américains — que l’Arabie saoudite est la plaque tournante du financement du terrorisme.
Tout comme l’Autriche l’a déjà fait, il faut interdire le financement de la construction et du fonctionnement des mosquées par des intérêts étrangers (visant par là le financement par des pétromonarchies).
Quand un imam autoproclamé réussi à convaincre plusieurs de ses disciples d’aller combattre pour l’État islamique, c’est le signe que le dispositif sécuritaire mis en place a des lacunes.
Voilà pourquoi il faut rendre illégale la promotion de l’État islamique et de toute idéologie qui ressemble à la sienne, dont le wahhabisme (la religion d’État de l’Arabie saoudite).
De plus, il faut séculariser le Moyen-Orient. Ce que cette partie du monde a besoin, ce n’est pas d’abord la Démocratie parlementaire. Ce qui est prioritaire, c’est la séparation entre l’État et l’Église.
Au Moyen-Âge, les pays européens ont été le théâtre d’innombrables guerres civiles. Ils l’ont été aussi longtemps que l’appareil répressif de l’État a été au service du pouvoir religieux et, en contrepartie, tant que la foi a été utilisée pour justifier la rapacité des puissants.
Quand les pays occidentaux auront le courage de menacer d’interdire le retour chez eux de tous leurs citoyens qui effectuent le pèlerinage à la Mecque à moins que l’Arabie se sécularise, le Moyen-Orient sera le théâtre de guerres civiles financées par ses pétrodollars.
Et ces guerres incessantes propageront une misère qui se répercutera chez nous sous forme de vagues migratoires et d’attentats terroristes.
Quel défi à relever, misère de misère de misère !
Il n’y a pas à dire, un diagnostic précis est nécessaire. Votre approche, M. Martel, devrait y contribuer. Quant à moi, je me sens dépassé par ce problème titanesque. Bonne journée.
Merci infiniment pour le soutien !
J’étais à Paris aussi récemment qu’il y a deux semaines.
Et j’ai encore en mémoire les visages de ces jeunes, beaux et souriants, attablés aux terrasses des restaurants, à l’image de ceux que les barbares ont fauchés.
Très intéressante analyse. Merci beaucoup.
Pour une hypothèse concernant la responsabilité précise des attentats de Paris du 13 novembre 2015, voir le texte Les attentats de Paris du 13 novembre 2015.
N.D.L.R.- Le blogue de M. Tremblay est devenu indisponible depuis la publication de son commentaire.
J’ai pris connaissance de votre texte et je l’ai trouvé intéressant. Toutefois, je ne partage pas votre analyse. Permettez-moi d’y répondre ici plutôt que d’exprimer mes réserves devant vos lecteurs.
Lorsque l’État islamique (ÉI) revendique un attentat, je présume qu’il dit vrai. Aussi avide de publicité qu’il soit, l’ÉI ne l’est pas encore au point de revendiquer des actes commis par d’autres.
Dans le cas de l’avion russe qui transportait un engin qui a explosé en vol au-dessus de l’Égypte, l’hésitation des autorités russes et égyptiennes à reconnaitre la véracité de cette revendication vient du fait que cela bouscule notre conception de la capacité organisationnelle de l’ÉI.
Jusqu’ici ce qui distinguait Al-Qaida et l’ÉI, c’est que le premier entrainait des combattants à commettre des attentats à l’étranger (ce qui n’était pas le cas jusqu’ici de l’ÉI), tandis que ce dernier a besoin de posséder un territoire afin d’assoir son califat (ce que n’a jamais cherché à faire Al-Qaida).
Pendant longtemps, les menaces d’attentats de l’ÉI en Occident étaient des ‘menacettes’; c’était ni plus ni moins que des appels à des sympathisants qui avaient échoué à se rendre en Syrie d’essayer — sans aucune préparation, par leurs propres moyens — de nuire à leur pays d’origine. Bref, ce n’était pas fort.
Aujourd’hui, ce n’est plus vrai.
Quant à l’hypothèse que carnage du 13 novembre 2015 à Paris aient été exécutés par l’ÉI à la demande du régime de Bachar el-Assad, cette hypothèse me semble hautement fantaisiste.
Je suis d’accord pour dire que c’est une aubaine pour ce régime, qui peut ainsi dire : « Vous voyez, je ne suis pas si méchant que ça, dans le fond. »
Mais entre nous, est-ce si faux que cela ?
Au texte La guerre civile syrienne et ses enjeux (dans lequel je prédisais la crise migratoire syrienne, sans en soupçonner l’ampleur), j’ajouterais ceci.
En Syrie, nous n’assistons pas à un affrontement entre des bons et des méchants. Nous sommes en présence de méchants (le régime de Bachar el-Assad) et des pires que lui.
Les rebelles ne sont rien de moins que des bandits appointés et armés par les pétromonarchies afin qu’ils tuent, pillent et abattent le régime de Bachar el-Assad.
Si ces groupes prennent le pouvoir, ils se proposent tous, sans exception, d’exterminer les Alaouites (environ 12% de la population syrienne). Un carnage des milliers de fois pire que Paris.
Des élections en Syrie sont impossibles dans le contexte actuel. Mais si, en claquant des doigts, on pouvait faire cesser les combats et tenir une élection, la vaste majorité de la population syrienne voterait pour Bachar el-Assad.
Qui peut nommer les noms des chefs de seulement deux groupes de rebelles ? Ce sont de parfaits inconnus, même pour les Syriens. Donc, ils n’ont aucune crédibilité.
Cessons donc de fantasmer sur les ‘bons’ rebelles syriens. Cela n’existe pas. Ce sont des barbares, eux aussi.
Seuls les Kurdes méritent qu’on les appuie, mais pas au point de prendre le contrôle de tout le pays.
UNE GUERRE… UNE MISERE…
Comment prévenir une haine qui habite les terroristes ?
La foi peut-elle justifier la rapacité des puissants ? (pour ceux qui croient l’être)
Croyez-vous qu’il faille interdire le retour de nos citoyens qui effectuent le pèlerinage à la Mecque ?
Apprenant les infos au petit-déj du samedi matin, j’ai, vite, au cours de la journée, repensé à vos phrases en me disant qu’on revient, toujours, à la séparation de l’Etat et de l’Eglise.
Cher J.Pierre,
Hier, en fouillant mes vieux journaux, à la recherche de Sudokus, je suis tombée sur le dossier de la semaine « Attentats de Paris, ce qu’ils en pensent…». Le nom du journal est « Hebdo… », du 23 novembre : trois petits points pour le numéro du département… celui qui colle à ma peau, celui qui va bien avec mon Fantôme !
Des paroles tournées dans des phrases d’un certain Stéphane Hasté (Ecrivain, philosophe, enseignant). Alors voici :
Wittgenstein disait : « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire ». Comment parler de ceux qui ne sont plus ? Comment parler de la douleur de ceux qui ont perdu un être aimé dans la barbarie de vendredi soir à Paris ? Comment parler de la peur honteuse que nous avons ressentie quand les attentats ont été annoncés et que, immédiatement, nous avons pensé d’abord à un fils, un parent, un ami qui vit là-bas, qui était susceptible d’être parmi les victimes ? Et les autres ? Nous y avons pensé après, une fois rassurés quant à la situation du fils, du parent, de l’ami. Réaction bien naturelle, dira-t-on, mais nous en voulons aussi à ces assassins pour nous avoir obligés à nous avouer nos faiblesses, nos limites. Que faire après ce bouleversement, que faire de nous qui sommes encore là, que faire pour que, nous qui continuerons à vivre, ne soyons pas indécents face à ceux qui sont morts ?
Se taire parce que l’on ne peut plus parler, n’est-ce-pas encore parler et dire, depuis le silence par les bourreaux arraché : « Nous sommes vaincus », « Nous reconnaissons votre victoire » ? Ce serait trop simple s’il suffisait de dire : allons-y, parlons, nous montrerons ainsi qu’ils n’ont pas gagné, que la vie est plus forte. Ce serait trop simple, car ils ont gagné sur ceux qu’ils ont assassinés, ils ont gagné sur ceux dont ils ont brisé l’insouciance et la joie d’être au monde, ils ont gagné, et cela fait mal de le dire, sur l’innocence et le bonheur de ceux qui les ont vus, les on sentis, les ont craints, les ont haïs.
Depuis vendredi, ma conscience est embuée, les pourquoi ne parviennent même pas à être entendus, et je ne veux pas les entendre. Je refuse la sagesse de Spinoza : « Ne pas railler, ne pas maudire, mais comprendre ». Comment comprendre de tels actes, comment ne pas maudire les auteurs, comment ne pas railler leur imbécile fanatisme ? Entamer une réflexion et, pour cela, quitter l’émotion devant ces morts et blessures me semblerait être une injure à celles et ceux qui sont encore, par leurs souffrances et leurs cris, dans l’événement. Je veux aller au bout de mon émoi, au bout de ma capacité de compassion, au bout de ma révolte et de ma sidération. Depuis vendredi, les mots de la philosophie sonnent creux et ne m’apaisent pas. Je relis Baudelaire, pas Descartes : « L’espoir, vaincu, pleure, et l’angoisse atroce, despotique, sur mon crâne incliné plante son drapeau noir ».
Il est étrange qu’un philosophe renonce à penser et en reste à l’émotion, voire revendique d’en rester à l’émotion. La raison ne doit-elle pas prendre le dessus, surmonter le pathos et l’effroi, retrouver le lent chemin du concept ? Peut-être plus tard, pas maintenant. L’émotion a sa force et sa nécessité, il ne faut pas systématiquement la répudier, la bloquer. Plus elle nous emportera au profond du réel, fut-il le pire, plus elle nous contraindra, ensuite, à mieux le penser. C’est pourquoi je dirai, pour reprendre Wittgenstein et m’en séparer : « Ce dont on ne peut parler, il faut le vivre.»
Pour conclure : je ne sais toujours pas pourquoi, je cours après les Ecrivains… Encore, Merci !