Les 965 millions$ gaspillés par la CAQ dans Nemaska Lithium

Publié le 19 septembre 2025 | Temps de lecture : 8 minutes

La filière batterie

On appelle intégration verticale la stratégie industrielle qui consiste, pour une entreprise, à posséder ou à contrôler les diverses étapes de la production ou de la distribution de ses biens ou de ses services.

Par exemple, le constructeur automobile qui achète l’entreprise qui fabrique les parebrises qui équipent ses voitures procède à une intégration verticale en plaçant ce fournisseur sous son autorité.

La création de ‘grappes industrielles’ par le gouvernement du Québec obéit à la même logique.

Cette stratégie consiste à susciter la création (ou à attirer chez nous) les ‘chainons manquants’ nécessaires à une intégration verticale volontaire qui va (idéalement) de l’extraction de la matière première au produit fini sans que toute cette chaine de production appartienne aux mêmes intérêts financiers.

La ‘filière batterie’ est une grappe industrielle que le gouvernement Legault a créée à partir d’un noyau fort, Hydro-Québec, auquel se sont greffées diverses entreprises.

Cette grappe industrielle comprend les éléments suivants :
Hydro-Québec, producteur étatique d’hydroélectricité.
Nemaska Lithium, dont nous reparlerons dans quelques instants.
Northvolt, une jeune pousse aujourd’hui en faillite, dans laquelle le Québec a investi 470 millions$ dans le capital-actions de la maison mère suédoise et un prêt de 240 millions$ destiné à acheter le terrain sur lequel devait être construite son usine québécoise (fermée avant d’avoir été complétée).
EcoPro BM, fabricant de matériaux de cathodes dont la maison mère sud-coréenne s’est placée à l’abri de ses créanciers. La succursale québécoise jouissait d’un prêt de 322 millions$ de Québec.
Ultium CAM, producteur des matériaux nécessaires à la fabrication des cathodes (auquel le gouvernement a accordé un prêt de 150 millions$). Sa maison mère sud-coréenne a été créée en 1968.
Solutions énergétiques Volta, dont la compagnie mère sud-coréenne, créée en 1959, fut la première à développer des feuilles de cuivre pour batterie. La filiale québécoise a reçu un prêt de 150 millions $ du gouvernement québécois.
La compagnie électrique Lion, un fabricant d’autobus scolaires à essence depuis 2008 mais dont le virage électrique s’est avéré désastreux. Dans les opérations financières qui ont permis à Lion d’éviter de peu la faillite, le gouvernement a perdu 227 millions $.
Taiga Motors, un constructeur québécois de motoneiges et de motomarines électriques, fondé en 2015, qui a évité la faillite grâce à son rachat par Vita Power. Québec a perdu 18 millions $ dans l’opération.

Dès novembre 2023, l’économiste Frédéric Laurin critiquait sévèrement la stratégie industrielle du gouvernement à ce sujet. Son principal reproche était l’absence d’activités d’innovation et de R et D puisque les investissements annoncés ne concernaient que des usines d’assemblage ou d’extraction minière.

Mais la CAQ a préféré croire les démarcheurs de l’industrie qui faisaient miroiter d’extraordinaires retombées économiques pour le Québec si l’État et ses sociétés investissaient massivement dans ce domaine.

Les limites de la spéculation

Depuis la création du Fonds des générations, l’État québécois a pris la détestable manie de spéculer en bourse avec l’argent du peuple.

Cette manie est illustrée par le cas de Nemaska Lithium. La CAQ y a investi 965 millions de dollars. Ce qui en fait son plus important investissement à ce jour, toutes catégories confondues.

Minée par les retards et les dépassements de couts, Nemaska Lithium, autrefois cotée en Bourse, s’était placée à l’abri de ses créanciers à la fin de 2019.

Le gouvernement Legault a participé à sa relance en devenant propriétaire de la moitié de l’entreprise, transformée en société à capital fermé.

L’argent investi par l’État québécois représente la moitié du capital-actions de l’entreprise. L’autre moitié est détenue par la minière Rio Tinto.

Nemaska Lithium possède une mine de lithium à Whabouchi, à 300 km de la baie James. Son minerai sera transporté à ses installations de Bécancour où il sera concentré et transformé en hydroxyde de lithium. Cette deuxième usine ouvrira ses portes d’ici 2026.

Toutefois, d’autres investissements seront nécessaires. En effet, Rio Tinto prévoit qu’à maturité, le projet aura nécessité des investissements de 3,6 milliards de dollars.

En supposant que la CAQ laisse la minière investir seule l’argent complémentaire pour pousser ce projet maturité, la CAQ aura investi deux-millions de dollars pour chacun des 500 emplois qui seront créés.

Au contraire, si le gouvernement du Québec veut demeurer propriétaire à 50 %, il devra débourser 800 millions de plus (soit la moitié des 3,6 milliards$ nécessaires). Ce qui fera que l’État québécois aura déboursé 3,6 millions$ pour chaque emploi créé.

Y a-t-il une limite à cette folie ?

Demandons-nous quel sera le retour sur cet investissement.

Comme toutes les minières canadiennes, Nemaska Lithium détournera ses profits vers des paradis fiscaux. En d’autres mots, même si le gouvernement québécois demeurait propriétaire à 50 %, l’entreprise ne lui déclarera que des profits faméliques, le reste ayant été détourné ailleurs.

Le seul moyen pour l’État de récupérer son investissement, c’est par l’impôt payé par les employés de l’entreprise. D’où les deux questions suivantes.

Premièrement, combien faudra-t-il d’années avant que chaque travailleur de Nemaska Lithium ait payé deux-millions$ d’impôts ?

Et deuxièmement, pendant combien d’années utilisera-t-on encore du lithium dans les batteries des voitures électriques ?

La domination chinoise

L’Agence internationale de l’énergie a été créée sous les auspices de l’OCDE. Son plus récent rapport annuel indique qu’à lui seul, le marché chinois représente 11 des 17 millions de voitures électriques vendues dans le monde en 2024.

Des six millions restants, les constructeurs chinois en fabriquent 62 %. Et ce, en dépit des taxes douanières imposées par une bonne partie des pays occidentaux.

Le plus important fabricant chinois de voitures électriques porte le nom de BYD. Fondé en 1995, il s’agissait au départ d’un fabricant de batteries.

Mais en 2003, il a fait l’acquisition d’un carrossier au bord de la faillite. Et c’est depuis que BYD fabrique avec succès des autos… dans les usines les plus robotisées de l’industrie.

Ses 120 000 ingénieurs (le dixième de sa main d’œuvre) déposent 45 brevets par jour, loin devant la concurrence occidentale. Si bien que l’entreprise possède environ 60 % de tous les brevets relatifs à la voiture électrique.

Indépendamment du professionnalisme de Northvolt, cette compagnie était condamnée à un retard technologique impossible à rattraper… à moins d’adopter des technologies chinoises et conséquemment, à payer aux entreprises chinoises des droits d’utilisation de leurs brevets. Ce qu’on lui aurait rapidement reproché.

Cette domination technologique est le fruit d’un choix politique. Pendant que les pays occidentaux investissement massivement afin de conserver leur suprématie militaire, la Chine investit des sommes tout aussi considérables afin d’accentuer sa suprématie économique en temps de paix.

On ne sera donc pas surpris d’apprendre que des chercheurs chinois ont mis au point une batterie où le sodium remplace le lithium. Normalement, il faudra moins d’une décennie pour voir apparaitre des voitures équipées de telles batteries.

À partir de son inauguration (idéalement) en 2026, on doit donc anticiper le rapide déclin de Nemaska Lithium dès l’apparition des batteries au sodium jusqu’à sa faillite, un peu plus tard, soit bien avant que les investisseurs aient récupéré les 3,6 milliards injectés dans l’entreprise.

Dans la guerre économique qui oppose la Chine aux pays occidentaux, la mise au point de la batterie au sodium est prioritaire puisque par ce moyen, la Chine affaiblit ses rivaux. Des rivaux qui auront investi des sommes colossales à financer un développement économique basé sur une technologie sans avenir.

Références :
120 000 ingénieurs, 45 brevets déposés… par jour ! Comment le chinois BYD va balayer la concurrence dans l’électrique
Du sable dans l’engrenage chez Nemaska Lithium
Filière batterie au Québec
François Legault doit-il revoir son approche?
Global EV Outlook 2025
Intégration verticale
La Compagnie électrique Lion
Le Fonds des générations ou Quand l’État spécule à la bourse
Lion électrique ressuscitée par un groupe d’investisseurs du Québec
Northvolt
Pendant ce temps en Chine : la construction automobile
Québec investit encore dans Nemaska Lithium, portant le total à près de 1 milliard $
Troisième arrêt pour un projet phare
Une critique économique du mode de développement de la filière batterie au Québec
What EV market share do Chinese OEMs have overseas?

Parus depuis :
Deux gros projets de la filière batterie tombent à l’eau à Bécancour (2025-10-16)
Filière batterie : Lithion Technologies se protège de ses créanciers (2025-10-30)

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Écrit par Jean-Pierre Martel