Sacs d’épicerie : l’étude bidon du CIRAIG

Publié le 15 avril 2025 | Temps de lecture : 5 minutes



 
Introduction

Dans un musée allemand de Potsdam, j’ai acheté en 2005 un sac de coton (de 37 cm de large par 39 cm de haut) qui m’a servi pendant des années. Environ une décennie plus tard, j’ai cessé de l’utiliser pour deux raisons.

Premièrement parce qu’il n’était pas suffisamment grand pour m’en servir comme sac d’épicerie. Et deuxièmement, parce qu’à force de le plier et de le déplier toujours de la même manière, il avait fini par se trouer par endroits.

Quelques années plus tard, j’avais été étonné de lire qu’il était préférable d’utiliser des sacs de plastique parce qu’une étude prouvait que ceux-ci étaient meilleurs pour l’environnement.

Je suis de formation scientifique. En dépit de cela, j’ai toujours été méfiant à l’égard des études qui ‘prouvent’ scientifiquement que l’herbe est bleue et que le ciel est vert.

Selon mon expérience, lorsqu’une étude en arrive à une telle conclusion, c’est toujours parce qu’elle est basée sur un protocole expérimental aberrant.

Donc il faut lire la méthodologie de ces études ‘bizarres’ et ne pas se contenter de l’introduction et la conclusion. Ce à quoi se limite l’immense majorité des chroniqueurs scientifiques parce que lire la méthodologie, c’est ennuyant.

L’étude du CIRAIG

En 2017, Recyc-Québec demandait au Centre international de référence sur le cycle de vie des produits, procédés et services (CIRAIG), basé à l’école Polytechnique de Montréal, d’effectuer une étude comparative de l’impact environnemental des sacs d’emplettes au Québec.

En résumé, l’étude avait conclu que les sacs minces d’épicerie — ceux bannis depuis un peu partout en Occident — étaient meilleurs pour l’environnement que leurs solutions de remplacement, notamment les sacs en coton.

Pour comprendre comment le CIRAIG en est arrivé à cette conclusion étonnante, il faut savoir que l’étude est basée sur un certain nombre d’aprioris.

Premièrement, les chercheurs ont présumé que les sacs en coton étaient lavés en moyenne à toutes des douze ou treize utilisations. Signalons que je n’ai jamais lavé le mien depuis vingt ans. Pourquoi ? Parce que j’ai évité de le salir.

Évidemment, si j’avais eu à le laver, j’aurais profité d’un brassin pour l’ajouter simplement à ma lessive.

Mais les chercheurs du CIRAIG estiment qu’il faut toujours laver son sac de coton séparément. Et donc faire un brassin spécialement pour lui.

Conséquemment, ils ont calculé le cout environnemental du savon, le cout de l’épuration de l’eau utilisée par la machine, et l’électricité acheminée sur les milliers de kilomètres pour la faire fonctionner.

Finalement, un des postulats majeurs de l’étude, c’est que les gens qui utilisent des sacs de coton ne font jamais leurs emplettes à pied, ni en transport en commun. Ils prennent toujours l’auto. C’est tellement plus pratique.

Or, selon les chercheurs, les utilisateurs de sacs de coton effectuent leurs emplettes dans des marchés d’alimentation situés entre 13 et 126 km de chez eux.

Lorsqu’ils oublient leur sac de coton, ils doivent parcourir un aller-retour qui peut atteindre 252 km (deux fois 126 km) pour aller chercher le sac de coton oublié.

Les silences de l’étude du CIRAIG

Vendredi dernier, une journaliste de La Presse a eu l’idée bizarre de remettre dans l’actualité cette étude qui, de nos jours, n’est plus pertinente; il est hors de question de retourner aux sacs de plastique à usage unique.

L’expert du CIRAIG interviewé par La Presse revient sur l’argument selon lequel il suffit de remplacer les sacs de coton par des sacs de plastique jetables pour prévenir la pollution causée par la culture du coton et son tissage industriel.

En supposant qu’il soit beaucoup plus polluant de cultiver du coton que d’extraire du pétrole pour en faire des sacs de plastique, l’argument selon lequel cesser de cultiver du coton prévient sa pollution n’est valable que si, par la suite, l’ancien champ de coton est laissé en friche.

Mais pour l’agriculteur, la culture du coton est une source de revenus. S’il cessait de faire pousser du coton et décidait de faire pousser du maïs ou du soya transgénique, serait-on plus avancé ?

L’étude du CIRAIG est muette à ce sujet.

Conclusion

Un cabinet d’avocats qui compte de grandes entreprises au sein de sa clientèle a l’obligation déontologique de refuser de plaider en faveur d’un syndicat.

De la même manière, un groupe de recherche comme le CIRAIG — qui a conclu des partenariats avec d’importants groupes industriels, dont la pétrolière française Total et le groupe chimique Solvay — est en conflit d’intérêts lorsqu’il s’agit de comparer l’empreinte environnementale de dérivés du pétrole avec des fibres naturelles.

On pourrait croire qu’il ne s’agit là que d’une apparence de conflit d’intérêts.

Malheureusement, à l’examen minutieux des aprioris très discutables des auteurs, on doit conclure que les chercheurs du CIRAIG — dont la compétence est indiscutable — ont manqué de jugement en acceptant cette commande de Recyc-Québec puisque ses conclusions portent atteinte à leur crédibilité.

Références :
Analyse du cycle de vie des sacs d’emplettes au Québec
Quel sac privilégier pour l’épicerie ?

Un commentaire

| Environnement | Mots-clés : , , | Permalink
Écrit par Jean-Pierre Martel