La méritocratie poutinienne

Publié le 2 janvier 2025 | Temps de lecture : 4 minutes


 
Introduction

Le pouvoir d’un dictateur consiste à obtenir l’obéissance de ses sujets, généralement par l’usage de la force ou en suscitant chez eux la peur de sa répression.

Toutefois, un pouvoir totalitaire acquiert sa légitimité aux yeux de ses sujets lorsque ces derniers consentent spontanément à leur domination parce qu’ils y trouvent leur avantage.

Depuis son accession au pouvoir en Russie en 1999, le taux d’approbation de Vladimir Poutine n’est jamais descendu en bas de 60 %. À l’inverse, son taux de désapprobation n’est jamais allé au-delà de 38 %.

De nos jours, ils sont respectivement de 86 % et de 11 %.

Or au sein de la machine de l’État russe, les cadres sont le rouage de la domination consentie par le peuple. Voilà pourquoi la formation, le recrutement, et la gestion des cadres sont à la base de l’édification du pouvoir moscovite.

Les étapes de la création de la méritocratie russe

L’Académie des Sciences sociales

C’est en 1946 que fut créée l’Académie des Sciences sociales de l’Union soviétique. Les ‘sciences sociales’ dont il s’agit ici comprennent un vaste champ de recherche et d’enseignement qui inclut l’économie et les sciences politiques, entre autres.

Relevant directement du Comité central du Parti communiste, l’Académie formait les meilleurs éléments issus des hautes écoles réparties sur l’ensemble du territoire soviétique, auxquels elle délivrait un diplôme de troisième cycle après la soutenance d’une thèse de l’aspirant.

L’Académie de l’économie nationale

À ce dispositif s’ajoute en 1977 l’Académie de l’économie nationale et de l’administration publique. Née de la réunion de quinze établissements d’enseignement supérieur autrefois responsables de la formation des cadres du régime.

Depuis 2010, l’Académie relève directement directement du Conseil des ministres de Russie. D’où son surnom d’Académie présidentielle.

Son but est d’alimenter l’État russe en économistes, en gestionnaires à la tête des conglomérats et des grands groupes industriels du pays, de même qu’en hauts fonctionnaires.

L’Académie regroupe 61 laboratoires, cinq instituts et huit centres de recherche.

Elle accueille 230 000 étudiants, dont le quart à Moscou et le reste dans l’un ou l’autre de ses cinquante antennes réparties dans l’ensemble du territoire de la Fédération de Russie.

Son rôle est également d’offrir des programmes de formation continue d’une durée de 18, 36, 72 ou 144 heures (selon la discipline) à tous les cadres de la fonction publique russe. Ceux-ci sont tenus à ce rafraichissement de leurs connaissances aux trois ans.

De plus, elle a établi des partenariats avec 450 institutions à travers le monde. Des partenariats qui, ces jours-ci, en ne faisant pas de vagues, ont plutôt bien résisté aux aléas de la géopolitique.

Exemple : le déploiement en Crimée

Moins d’une semaine après l’annexion de la Crimée, le président russe (à l’époque, Dmitri Medvedev) crée une mission de formation des fonctionnaires criméens afin qu’ils puissent s’acquitter de la tâche d’être les nouveaux relais de Moscou.

C’est ainsi que 14 000 fonctionnaires criméens ont été formés dans l’antenne de l’Académie présidentielle située à Rostov-sur-le-Don, à 500 km de la capitale de Crimée.

Conclusion

En recrutant les meilleurs professeurs du pays, l’Académie présidentielle est de lieu obligé de la formation professionnelle de toute personne qui ambitionne de faire carrière dans la fonction publique russe.

En tissant des relations, et en multipliant les gages d’allégeance et de loyauté, les étudiants y développent la cohésion attendue au sein de l’élite russe. De plus, l’Académie présidentielle façonne chez eux une identité de caste au service du pouvoir et d’érudits au service du peuple.

Ouverte à tous les étudiants doués du pays (sans égard à leurs origines), l’Académie présidentielle contribue à l’acceptation de la domination du pouvoir moscovite sur la société russe puisque rares sont les familles (au sens large) qui n’ont pas un membre qui en fait partie.

Références :
Académie russe de l’économie nationale
L’Académie russe de l’Économie nationale et de l’Administration publique

Complément de lecture : États-Unis vs Russie : la classe politique

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5 commentaires à La méritocratie poutinienne

  1. André joyal dit :

    Qui s’instruit s’enrichit. Ce semble vrai en Russie comme au Québec des années 1960.

    • Jean-Pierre Martel dit :

      Cette comparaison entre la Russie actuelle et le Québec de la Révolution tranquille est juste puisque c’était à l’époque où le talent et la compétence étaient de formidables ascenseurs sociaux. Une époque bénie où les hauts fonctionnaires québécois étaient conscients d’être en train d’édifier un État-nation moderne et de façonner notre avenir.

      Peut-être retrouverons-nous cet optimisme en créant ici un pays bien à nous, fondé sur des bases nouvelles.

      L’autre comparaison, moins flatteuse, est celle qu’on peut tracer entre le pouvoir moscovite et celui d’Ottawa.

      Le premier a su résister à des sanctions financières draconiennes qui devaient, croyait-on, ruiner son économie (et provoquer un changement de régime, but de l’opération).

      Alors qu’à Ottawa, des fonctionnaires choisis en fonction de leur couleur de peau, de leur orientation sexuelle ou leur identité de genre sont chargés de lutter contre la crise du logement, celle de l’itinérance, des changements climatiques, et du manque de ressources en santé, en éducation, en transport en commun, etc.

      Un pays est voué à la décadence lorsqu’il est dirigé par des incompétents. Comme c’est le cas actuellement de l’Occident, gangrené par la corruption politique.

  2. Marsolais dit :

    Que notre pays soit dirigé par certains incompétents, je veux bien mais ajouter « gangrené par la corruption politique » dans le même article que le fonctionnement politique russe, là, ce n’est pas ce que l’échelle de Transparency International révèle: Canada 24 et Russie 74 …

    • Jean-Pierre Martel dit :

      Mme Marsolais, votre objection est très juste; la corruption est prévalente dans toutes les sphères de la société russe. Ce qui n’est pas le cas au Canada.

      Toutefois, la corruption que j’avais à l’esprit en écrivant cette réponse à André Joyal, est la corruption au niveau des décideurs publics.

      En Russie, n’importe quel préfet, maire ou gouverneur de province peut accepter des ‘faveurs’ (y compris en argent comptant) de la part d’un oligarque russe. Mais il finira ses jours dans une prison de Sibérie s’il accepte de l’argent de l’Étranger.

      En Occident, on ne verse pas d’argent comptant à des décideurs publics. Parce que dans l’esprit populaire, la corruption se fait exclusivement en acceptant une liasse de billets de banque dans une enveloppe brune.

      Mais si ce n’est pas de l’argent comptant, il n’y a aucune limite à la valeur des ‘cadeaux’ offerts à nos décideurs publics, y compris de la part d’entreprises ou de gouvernements étrangers.

      Comment peut-on justifier ce voyage d’une valeur de 11 705 $ offert en 2017 par Taïwan au député conservateur Pierre Poilièvre et à son épouse. Ou celui de 11 705 $ offert à la députée NPD Ruth-Ellen Brosseau, gracieuseté d’intérêts israéliens.

      Au total, seulement pour l’année 2017, c’est plus de 600 000 $ en voyages en première classe qui ont été payés à des parlementaires fédéraux par des gouvernements étrangers, soit directement ou par le biais d’ONG qu’ils financent.

      Pour ceux qui minimiserait tout cela en disant qu’après tout, Taïwan et Israël sont des pays ‘amis’, rappelons qu’à l’époque où il était député et ministre fédéral, John McCallum a effectué pour 73 000 $ de voyages en Chine, payés par ce pays.

      En Russie, une telle chose est inconcevable puisqu’accepter de l’argent de l’Étranger est une trahison.

      Référence : Corruption fédérale : les voyages forment la vieillesse

  3. Marsolais dit :

    Merci +++ Jean-Pierre; j’ignorais ces nuances de corruptions 🥴
    Bonne journée !

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