Les résultats de l’élection législative en Géorgie

Publié le 27 octobre 2024 | Temps de lecture : 6 minutes


 
Introduction

C’est hier qu’avaient lieu les élections législatives en Géorgie, un pays de Transcaucasie peuplé d’environ cinq-millions de personnes (en rose sur la carte ci-dessus).

Parmi la multitude des formations politiques en lice, c’est le parti au pouvoir (Rêve Géorgien) qui a obtenu le plus de votes, soit 54,1 %.

Cette victoire est d’autant plus remarquable que les quatre principaux partis d’opposition n’ont recueilli qu’un total de 37,6 % des votes. Et ce, alors que Rêve Géorgien est au pouvoir depuis plus d’une décennie.

Les lecteurs de ce blogue qui ont lu le troisième volet de la série consacrée à l’histoire récente de la Géorgie ne seront pas surpris de voir à quel point l’usure du pouvoir semble si peu avoir affecté la popularité de ce parti.

Nous y reviendrons.

La couverture médiatique en Occident

Comme c’est habituellement le cas lorsqu’une consultation populaire ne donne pas le résultat espéré par l’Occident, cette victoire a été rapportée négativement.

De Londres, The Guardian titre « L’opposition pro-européenne de Géorgie en appelle à protester contre les résultats électoraux ‘truqués’ ».

Faisant fi des guillemets qui nuancent la manchette du Guardian, CNN affirme : « L’opposition pro-européenne de Géorgie crie au scandale pendant que le parti au pouvoir soutient avoir gagné l’élection ».

La manchette de la BBC est presque identique; « L’opposition pro-européenne de Géorgie dénonce des élections volées alors que le parti au pouvoir revendique la victoire ».

Chez nous, Le Devoir parle d’un scrutin émaillé d’actes de violence.

Radio-Canada titre : « Après la victoire du parti au pouvoir, la Géorgie s’éloigne de l’UE ». Toutefois, l’article coiffé de ce titre relativement neutre reprend essentiellement les accusations des autres médias occidentaux.

Tout cela est basé sur les allégations trumpiennes des partis d’opposition.

Qu’en est-il véritablement ?

Le scrutin a effectivement été émaillé d’actes de violence.

De plus, des observateurs occidentaux ont raison d’affirmer vaguement qu’il y a eu des ‘inégalités entre les candidats, des pressions et des tensions’.

L’inégalité entre les candidats signifie que ceux dont la caisse électorale est mieux garnie ont davantage été enclins à acheter des votes.

Un peu comme Elon Musk organise aux États-Unis une loterie quotidienne d’un million de dollars en faveur de ceux qui s’engagent à voter pour Donald Trump.

Quant aux pressions, elles concernent les rappels aux fonctionnaires de voter du ‘bon bord’ (ce qui ne veut pas dire que, dans l’isoloir, ils cèdent à ces menaces).

Les mœurs politiques en Géorgie sont plus ‘viriles’ que les nôtres. C’est ainsi qu’il arrive que les députés en viennent aux coups lorsque les esprits s’échauffent au parlement.

Lors de l’élection législative précédente, après la réélection de Rêve Géorgien, un incident a été passé sous silence par nos médias.

Le 7 novembre 2020, le directeur de la Commission électorale d’un arrondissement de la capitale géorgienne a été assassiné après avoir refusé un pot-de-vin de 50 000 $US offert par deux militants de l’opposition pour qu’il prétende faussement que les élections législatives avaient été truquées.

En Géorgie, 50 000 $US représentent une somme considérable que seuls des organismes financés de l’Étranger peuvent se permettre.

Il faut donc prendre garde de la vision en blanc et noir de la propagande occidentale.

Les bousculades provoquées cette année par des agitateurs ne doivent pas nous impressionner. Ils ont pour but d’entacher la légitimité d’une élection perdue d’avance et de permettre aux partis d’opposition de faire en Géorgie ce que Trump fait depuis sa défaite électorale de 2020.

Les raisons de la victoire de Rêve Géorgien

Dans son émission de ce matin sur CNN, le chroniqueur Fareed Zakaria soutenait que, de nos jours, les partis politiques américains ne s’opposent plus en fonction de leurs politiques d’intégration raciale ou de la répartition de la richesse.

L’électorat se divise maintenant en fonction de fractures sociales et de divisions culturelles.

Du côté démocrate, on aura davantage de diplômés d’études post-secondaires, des personnes urbanisées, des partisans de la laïcité, des femmes, et des électeurs de ‘gauche’.

Du côté républicain se retrouvent davantage de personnes moins instruites, de personnes provenant de milieux ruraux, de fervents croyants, des hommes et des électeurs de ‘droite’.

La même chose se rencontre en Géorgie.

Dans la capitale et, dans une moindre mesure, dans les villes de province, les jeunes branchées épousent avec enthousiasme la défense des minorités de genre et les causes à la mode en Occident.

Toutefois, la moitié du peuple géorgien vit sur de petites exploitations agricoles où sont partagées des valeurs traditionnelles, soit celles soutenues par le clergé orthodoxe.

Pour ces personnes, un sermon dominical rappelant l’importance des valeurs chrétiennes a plus d’influence que n’importe quel message posté sur un média social américain.

Or justement, la campagne électorale du parti au pouvoir s’est axée sur la défense des ‘valeurs géorgiennes’ : le travail, la foi, la famille (traditionnelle) et la condamnation des mœurs occidentaux, jugés décadents.

Divisés entre eux par leurs politiques économiques et sociales, les partis d’opposition n’ont pas su faire valoir autre chose que leur accusation simpliste contre le Rêve Géorgien d’être à la solde de Moscou.

Ce qui est extrêmement réducteur aux yeux des Géorgiens eux-mêmes qui, comme leurs dirigeants, voient en Ukraine ce qui arrive quand un pays limitrophe de la Russie choisit de devenir son ennemi militaire.

Bref, aussi anti-russes soient-ils (depuis la guerre russo-géorgienne de 2008, qui a duré neuf jours), les Géorgiens ont choisi la prudence plutôt que la témérité d’une jeunesse branchée qui s’empressera de fuir à l’Étranger si la guerre devait éclater dans leur pays.

Références :
Après la victoire du parti au pouvoir, la Géorgie s’éloigne de l’UE
Elon Musk’s daily $1 million giveaway to registered voters could be illegal, experts say
En Géorgie, une bagarre au Parlement pendant la discussion sur les « agents de l’étranger »
Georgia’s pro-EU opposition calls for protest over ‘rigged’ election result
Georgia’s pro-EU opposition cries foul as ruling party claims election victory
Georgia’s pro-EU opposition says vote stolen as ruling party claims victory
Two Detained on Bribing, Threatening Late District Election Commission Head

Pour consulter en ordre chronologique tous les textes de cette série consacrée à l’histoire récente de la Géorgie, veuillez cliquer sur ceci.

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4 commentaires à Les résultats de l’élection législative en Géorgie

  1. democ-soc dit :

    Le clivage est peut etre plus un clivage générationnel qu’un clivage ville/campagne. Je ne sais pas ce qu’il en est en 2024, mais du temps de Saakachvili, paradoxalement, Tbilisi était d’ailleurs un fief de l’opposition quand les campagnes étaient plutot pro-occidentales. Du coup, les médias occidentaux qui faisaient passer le MNU pour le parti de la modernité, bof, bof…

    La génération qui a fait la révolution des roses a connu la guerre de 2008, la libéralisation à outrance, et le dépeuplement du pays suite aux difficultés économiques. Ça a dû la vacciner. Pour la génération qui vient, ça reste à faire!

    • Jean-Pierre Martel dit :

      Il est évident que les manifestations auxquelles on assiste depuis des années en Géorgie sont le propre de jeunes mobilisés sur les médias sociaux, c’est-à-dire de jeunes manipulés par l’Occident.

      Quant au sentiment pro-occidental, il est très largement diffusé; environ 80 % des Géorgiens sont pro-occidentaux et plus spécifiquement favorables à l’adhésion à l’Union européenne, longtemps perçue comme un Eldorado (mais dont les difficultés économiques actuelles ternissent l’éclat).

      Par contre, les Géorgiens pro-russes se rencontrent dans deux des trois provinces sécessionnistes (l’Ossétie du Sud et l’Abkhasie). Conséquemment, ils ne votent pas aux élections géorgiennes.

      Évidemment, on trouve bien, çà et là, des vieillards qui ont la nostalgie de l’époque soviétique parce qu’appauvris depuis l’indépendance. Mais ils sont très minoritaires.

      Sous Saakachvili, il est vrai que la capitale était un fief de l’opposition, non pas parce que ses citoyens étaient pro-russes, mais parce qu’il a abolit les postes de 60 000 fonctionnaires et de 30 000 agents de la circulation (exclusivement employés dans des villes).

      Le parti Rêve Géorgien a toujours été pro-occidental. S’il le pouvait, la Géorgie serait déjà membre de l’Union européenne.

      Mais l’exemple ukrainien lui montre le prix à payer pour un pays limitrophe de la Russie lorsqu’il décide de devenir un ennemi militaire de son redoutable voisin. Ce parti préfère maintenant l’ambigüité stratégique, à l’exemple de la Türkiye.

      Cette prudence est partagée par l’immense majorité des adultes d’âge mûr. D’où le caractère plausible des résultats officiels.

  2. André joyal dit :

    « De plus, des observateurs occidentaux ont raison d’affirmer qu’il y a eu des ‘inégalités entre les candidats, des pressions et des tensions’.»

    On croirait à vous lire que vous étiez sur place. Anyway, vous avez de bonnes références.

    Merci pour cet effort.

    Une suggestions : ne manquez pas le colloque de l’IRQ ce samedi, à l’UQAM, 200 Sherbrooke O.

    • Jean-Pierre Martel dit :

      Merci pour votre commentaire.

      Je n’ira pas au colloque de l’Institut de recherche sur le Québec du 2 novembre prochain, portant sur la loi 21 (au sujet de la laïcité).

      Au sujet de celle-ci, j’ai une position ambivalente.

      À l’époque où cette loi était à l’étape de projet de loi, j’ai pris position en faveur de l’interdiction du port de signes religieux aux détenteurs des pouvoirs répressifs de l’État, soit les policiers, les soldats, les gardiens de prison et les juges. Et non à l’ensemble des personnes en position d’autorité.

      De plus, je suis d’accord avec la fourniture de services de l’État à visage découvert, à la fois pour ceux qui les donnent et ceux qui les reçoivent. Et je me suis toujours opposé au prosélytisme de n’importe employé du secteur public (dont les professeurs).

      Une fois le projet de loi adopté, je me suis rallié à la majorité de la population, favorable à la loi 21, sans avoir changé d’idée.

      Si je me suis porté à la défense de celle-ci, c’est que le Canada anglais s’est déchainé contre elle en l’accusant de violer des droits fondamentaux, ce qui est faux, et en insinuant que cette loi était une preuve de notre xénophobie.

      Bref, même si j’estime cette loi excessive, elle demeure démocratiquement acceptable puisque des lois analogues en Europe ont été validées par les plus hautes instances juridiques.

      Mais de là à assister à ce colloque…

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