Le conflit indo-canadien

Publié le 17 octobre 2024 | Temps de lecture : 9 minutes

Introduction

Dans les années 1940, émergea en Inde un mouvement en faveur de la création du Khalistan, un pays encastré situé dans le nord du territoire indien actuel et où les personnes de confession sikhe seraient majoritaires.

Ce mouvement prit de l’ampleur à la suite de l’attaque en 1984 du Temple d’Or (un temple sacré) où s’étaient réfugiés des militants Sikhs armés. Cette attaque avait été ordonnée par Indira Gandhi, première ministre de l’Inde. À la suite de quoi, ses gardes du corps Sikhs l’ont assassinée.

Les 770 000 Canadiens de confession sikhe forment la plus importante communauté sikhe hors de l’Inde. Et c’est au sein de cette diaspora qu’on trouve les personnes les plus dévouées à la cause indépendantiste du Khalistan.

Fêter le meurtre d’Indira Gandhi

Selon le calendrier sikh, c’est en avril qu’on célèbre la fête de la Moisson qui, dans l’hémisphère sud, survient à cette période de l’année.

En 2008, à Surrey, en Colombie-Britannique, la parade de cette fête comprenant une célébration de l’assassinat d’Indira Gandhi.

À la suite des protestations du gouvernement indien à ce sujet, le Canada a répondu que la célébration de la violence politique était compatible avec la liberté d’expression garantie par la constitution du pays.

En juin 2023, un défilé sikh à Brampton (en Ontario) mettait en vedette un char allégorique où cet assassinat politique était de nouveau représenté. Cela provoqua d’autres protestations de l’Inde, également rejetées du revers de la main par le Canada.

Le 6 juin dernier, à l’occasion de manifestations sikhes devant le consulat de l’Inde à Vancouver, on célébra de nouveau cet assassinat. Nouvelles protestations de l’Inde : nouveau haussement d’épaules d’Ottawa.

L’assassinat ciblé de Hardeep Dingh Nijjar

En 2007, un attentat survenu dans une salle de cinéma de la ville indienne de Ludhiana a fait six morts et quarante-deux blessés. Selon les autorités, les suspects arrêtés ont allégué que l’attentat était financé et dirigé par le Canadien Hardeep Dingh Nijjar.

En 2016, les médias indiens révélaient que M. Nijjar était soupçonné d’avoir dirigé, à partir du Canada, un attentat terroriste au Pendjab.

Si bien qu’Interpol a émis deux mandants d’arrestation (en 2014 et en 2016) contre M. Nijjar. Deux mandats auxquels le Canada n’a pas donné suite.

Au sud-est de Vancouver, M. Nijjar organisait des camps d’entrainement des Tigres du Khalistan, où les inscrits apprenaient le maniement des armes.


Aparté : En 2018, à l’occasion du voyage de Justin Trudeau en Inde, le Haut-commissariat canadien à New Delhi a organisé un diner d’honneur où était invité Jaspal Atwal, un extrémiste Sikh qui a été condamné à vingt ans de prison en 1986 pour la tentative d’assassinat d’un ministre indien en visite au Canada.

En 2019, Sécurité publique Canada — qui regroupe depuis 2003 toutes les agences fédérales responsables de la sécurité nationale — considérait que l’extrémisme sikh figurait au cinquième rang des menaces terroristes au pays. Toutefois, les députés fédéraux sikhs obtinrent que toutes les mentions de l’extrémisme sikh soient purgées de la version officielle du rapport.

Rappelons que le pire attentat terroriste de l’histoire canadienne, survenu en 1985, est l’explosion du vol 182 d’Air India, en partance de Montréal. Au cours de cet attentat, 329 personnes ont trouvé la mort, dont le pharmacien Gaston Beauchesne, de Hull. À ce jour, cet attentat sikh est demeuré essentiellement impuni.

En 2022, l’Agence de renseignement de l’Inde a accusé M. Nijjar d’avoir dirigé la tentative d’assassinat au Pendjab du prêtre hindou Kamaldeep Sharma.

Ces allégations sont basées sur les déclarations assermentées de suspects arrêtés en Inde. Toutefois, la World Sikh Organization of Canada (WSO) rejette ces allégations qui, selon elle, auraient été obtenues sous la torture.

Il faut noter ici que pour défendre sa cause contre M. Nijjar, l’Inde a dû partager sa preuve avec le Canada alors que la WSO n’a eu qu’à prétendre que cette preuve avait été obtenue sous la torture pour être crue sur parole par Ottawa.

En juin 2024, le quotidien torontois Globe and Mail révélait avoir obtenu des enregistrements de sermons de M. Nijjar où, en 2021, il en appelait à l’utilisation de la violence armée pour créer le Khalistan.

Depuis 1987, le Canada et l’Inde sont liés par un traité d’extradition.

Toutefois, le Canada a rejeté deux demandes d’extradition contre M. Nijjar afin de ne pas indisposer l’important communauté sikhe canadienne, très politisée, au sein de laquelle M. Nijjar était une personnalité respectée.

Las de l’inertie canadienne, l’ambassade l’Inde au Canada a procédé en juin 2023 à l’assassinat ciblé d’Hardeep Dingh Nijjar. Depuis ce temps, les relations entre le Canada et l’Inde se sont détériorées.

Les assassinats ciblés

Couramment, la Russie tue à l’Étranger ses dissidents politiques, autrefois à la ricine, de nos jours au Novitchok.

Le Canadien Gerald Bull, expert en balistique, a été tué à Bruxelles par le Mossad (israélien) en 1990. De nos jours, Israël procède à des assassinats ciblés contre des dirigeants ennemis réfugiés au Qatar, en Syrie ou en Iran. Et il les tuerait ailleurs s’ils s’y trouvaient.

En octobre 2018, le dissident politique Jamal Khashoggi a été dépecé à la tronçonneuse par un commando saoudien en Turquie.

Le même commando a été intercepté quelques jours plus tard à l’aéroport d’Ottawa. Un agent a trouvé suspect que ces personnes, prétendant effectuer un voyage touristique au Canada, apportaient dans leurs valises des instruments de dissection.

Leur victime devait être Saad Aljabri, ancien numéro deux des services de renseignement saoudiens, réfugié au Canada.

Les tueurs étaient accompagnés d’un diplomate saoudien qui a poursuivi sa route et qui n’a pas été expulsé par le Canada comme il aurait dû l’être. De plus, cet incident n’a pas suscité l’indignation de Justin Trudeau.

Parmi la multitude de leurs assassinats ciblés, les États-Unis ont assassiné en 2020 le général Qassem Soleimani à Bagdad.

Bref, l’assassinat ciblé est pratiqué par tous les pays qui en sont capables.

Conclusion

Le Canada représente pour l’Inde ce que l’Afghanistan représentait pour les États-Unis au moment des attentats du 11 septembre 2001; la base arrière d’extrémistes, voire de terroristes ennemis.

Tant qu’Ottawa se montrera indifférent aux préoccupations sécuritaires de l’Inde et refusera de s’attaquer au tabou canadien de l’extrémiste sikh, l’Inde sera tentée de se faire justice.

Ce qui est d’autant plus facile que le Canada est dirigé par un gouvernement dysfonctionnel, incapable de s’acquitter de ses responsabilités.

Ceci étant dit, le monde de demain sera celui de l’Indo-Pacifique.

Or le bilan diplomatique de Justin Trudeau est un désastre; il a réussi à se mettre à dos, entre autres, la Chine et l’Inde, piliers des BRICS.

En 1970, Pierre-Elliott Trudeau avait été un des tout premiers dirigeants occidentaux à reconnaitre la Chine communiste. Son fils a gaspillé le capital de sympathie amassé par son père en participant au rapt de Meng Wanzhou (une dirigeante de Huawei). Depuis, le Canada et la Chine sont à couteaux tirés.

En 2020, le Canada s’est mêlé des affaires intérieures de l’Inde en appuyant officiellement les manifestations de fermiers (principalement Sikhs) contre trois lois agricoles du gouvernement de Narendra Modi.

Et voilà que Justin Trudeau crée une crise diplomatique majeure autour d’un banal assassinat ciblé.

Sa réaction outrée, c’est celle qu’aurait n’importe quel chef d’État si on assassinait un de ses ministres. Pas un simple citoyen. Dans ce dernier cas, une indignation feinte suffit.

Au pouvoir depuis 2015, Justin Trudeau n’a pas encore compris que la scène internationale est le théâtre de la brutalité des nations. Le jour où il l’aura compris, il sortira enfin de l’adolescence.

Références :
Air India serial bomb threats: Why is it significant amid Canada tensions?
Canada’s Assassination Claim Further Divides Its Indian Diaspora
Canada’s Justin Trudeau backs farmers’ protest; India says remarks ‘ill-informed’
Des assassins saoudiens ont été envoyés à Ottawa
Des « ateliers » sur les normes juridiques du Canada pour des fonctionnaires indiens
Droit international et géopolitique (deuxième partie)
Général iranien tué : comment Donald Trump a pris la décision
Gerald Bull
Hardeep Singh Nijjar
India angered by apparent Sikh parade float in Canada portraying assassination
India complains to Canada about controversial images at Sikh parade
Jamal Khashoggi
Khalistanis burn Indian flag, celebrate Indira Gandhi’s assassination in Canada
L’affaire Huawei : dure pour le Canada, la vie de caniche américain
Le chef du Hamas inhumé au Qatar, « jour de colère » contre Israël
Le multiculturalisme et la guerre des diasporas au Canada
Pro-Khalistan Canadians glorify Indira Gandhi assassination; wield sword, burn Indian flag in Vancouver
The Nijjar enigma
Novitchok
Trudeau en Inde: un voyage diplomatique qui tourne au fiasco
Vol Air India 182
Who was Canadian Sikh leader Hardeep Singh Nijjar?
Who was Hardeep Singh Nijjar, the Sikh activist whose killing has divided Canada and India?

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Écrit par Jean-Pierre Martel