La définition de l’IHRA
L’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste — mieux connue sous son sigle anglais d’IHRA — est une organisation fondée en 1998. Elle regroupe des représentants de 35 pays membres.
Il existe déjà plusieurs définitions de l’antisémitisme. En 2016, l’IHRA a adopté la sienne, qui se lit comme suit :
L’antisémitisme est une certaine perception des Juifs qui peut se manifester par une haine à leur égard. Les manifestations rhétoriques et physiques de l’antisémitisme visent des individus juifs ou non et/ou leurs biens, des institutions communautaires et des lieux de culte.
Telle quelle, cette définition qualifie d’antisémitisme toute manifestation rhétorique (ce qui veut dire toute opinion verbale ou écrite) qui critique une personne juive (ex.: Benjamin Netanyahu) ou une institution juive (ex.: l’armée israélienne).
Cette définition est accompagnée de onze exemples destinés à faciliter son interprétation.
L’endossement des gouvernements occidentaux
Depuis 2016, de nombreuses organisations juives ont fait pression sur leurs gouvernements respectifs pour qu’ils adoptent cette définition.
C’est ce qu’a fait la Grande-Bretagne. Dès l’adoption par la Chambre des Communes, le gouvernement britannique a demandé à ses ministères, à ses agences et aux organismes paragouvernementaux de tenir compte de cette définition dans leur interprétation de ce qui constitue l’antisémitisme.
La France dispose d’une institution, appelée Académie française, dont le rôle est précisément de définir le sens des mots. Mais cela ne suffit pas.
Conséquemment, à la suite du parlement européen, l’Assemblé nationale française a adopté elle aussi la définition de l’IHRA par un votre de 154 voix pour et de 72 voix contre.
Plus de 350 députés n’ont pas voulu participer au vote en raison de la controverse qu’elle a suscitée.
Même s’il s’agit d’une résolution non contraignante (c’est-à-dire qui n’a pas force de loi), cela ne veut pas dire qu’elle est sans effet.
Au sein de l’administration publique française, on a fait savoir que cette résolution a été adoptée « afin de soutenir les autorités judiciaires et répressives dans les efforts qu’elles déploient pour détecter et poursuivre les attaques antisémites.»
Ici même au Canada, le parlement canadien a adopté la définition de l’IHRA sans toutefois modifier le Code criminel en conséquence.
En juin 2021, une motion à ce sujet a été soumise à l’Assemblée nationale du Québec par le gouvernement Legault. Toutefois, pour être recevable et débattue, il fallait le consentement unanime des députés. Or Québec Solidaire s’y est opposé. Ce qui fait que le Québec n’a jamais adopté cette définition, contrairement à la plupart des autres provinces canadiennes.
Précisons que les États-Unis pourraient être le premier pays à inscrire la définition de l’IHRA dans sa législation.
L’an dernier, la Chambre des Représentants américaine a adopté le projet de loi intitulé Anti-Semitism Awareness Act of 2023 par un votre de 320 voix pour et 91 voix contre. Ce projet de loi vise à incorporer la définition de l’IHRA au chapitre VI de la Loi sur les Droits civiques de 1964.
Il reste encore à ce projet de loi de recevoir l’assentiment du Sénat et la signature présidentielle pour entrer en vigueur.
La liberté d’expression
Le 24 octobre 2023, le ministre français de l’Intérieur annonçait que des poursuites pénales seraient intentées contre ceux qui nient la décapitation des bébés au kibboutz de Kfar Aza par le Hamas, le 7 octobre dernier. Or il est maintenant admis qu’il s’agissait-là d’une nouvelle fallacieuse de la propagande israélienne.
Tous les journalistes qui ont travaillé à rétablir la vérité ont implicitement porté atteinte à la crédibilité de l’armée israélienne et sont donc coupables d’antisémitisme selon la définition de l’IHRA.
Le mois dernier, l’Allemagne a déployé 930 policiers afin d’interrompre la tenue d’un colloque pro-palestinien (notamment en coupant l’électricité et en confisquant les micros) après avoir interdit l’entrée sur le sol allemand des conférenciers étrangers invités.
D’autre part, puisque le sionisme milite pour que l’État d’Israël englobe toute la Palestine et donc, agrandisse ses frontières jusqu’au Jourdain, l’expression ‘Du fleuve à la mer’ — c’est-à-dire du Jourdain à la Méditerranée — pourrait être un slogan sioniste.
Mais de la bouche d’un manifestant pro-palestinien, cela devient de l’antisémitisme, tout comme le slogan ‘Free Palestine’ (ce qui signifie ‘Vive la Palestine libre’).
L’humoriste Guillaume Meurice est en attente de la décision d’un tribunal français après que plusieurs associations juives aient porté plainte contre lui pour avoir déclaré publiquement que Benjamin Netanyahu était ‘une sorte de nazi sans prépuce’.
À l’encontre de ceux qui campent sur le campus de l’université McGill, les manifestants pro-Israël ont raison de les accuser d’antisémitisme (selon la définition de l’IHRA) puisque toute critique de l’État d’Israël ou de son armée répond à cette définition.
L’envers du décor
Juriste américain réputé, Kenneth Stern est l’auteur principal de la définition de l’IHRA. Selon lui, cette définition a été adoptée exclusivement à des fins de recherche.
Sa formulation vague (“…une certaine perception des Juifs qui peut se manifester…”) est voulue. Elle permet aux chercheurs de quantifier les actes clairement antisémites et de voir dans quelle mesure un narratif qui ne l’est pas tout à fait peut évoluer avec le temps.
Depuis moins d’une décennie, par rectitude politique, les politiciens occidentaux ont cédé aux associations juives les plus militantes qui réclamaient l’adoption de la définition de l’IHRA, présentée comme le fruit d’un consensus international.
En réalité, pour ces associations, cette définition est une occasion en or. En multipliant les plaintes d’antisémitisme auprès des forces de l’ordre, on peut ainsi harceler en toute légalité ceux qui se montrent critiques envers les dirigeants israéliens.
Mais voilà qu’un conflit au Proche-Orient reverse l’opinion publique contre Israël alors qu’on assiste au premier génocide télévisé de l’Histoire.
En faisant fi des avertissements selon lesquels l’adoption de la définition de l’IHRA est liberticide, les gouvernements occidentaux se retrouvent aujourd’hui déconnectés de leur population, massivement antisémite selon leurs propres critères.
Cette déconnexion s’étend à l’ensemble de l’Humanité alors que s’élargit le gouffre idéologique entre le Sud Global et un Occident à la recherche de ses repères moraux.
Références :
Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste
Appel de 127 intellectuels juifs aux députés français : « Ne soutenez pas la proposition de résolution assimilant l’antisionisme à l’antisémitisme »
Après avoir traité Netanyahu de « nazi sans prépuce », Guillaume Meurice défend sa liberté d’expression
Germany cancels pro-Palestine event, bars entry to Gaza war witness
Germany’s crackdown on criticism of Israel betrays European values
Kenneth Stern, juriste américain : « Notre définition de l’antisémitisme n’a pas été conçue comme un outil de régulation de l’expression »
La définition opérationnelle de l’antisémitisme
La résolution controversée sur la lutte contre l’antisémitisme adoptée par les députés
Le Canada adopte la définition de l’antisémitisme de l’IHRA
Left-wing Jewish Alliance Calls on Biden to Reject Antisemitism Definition That Includes anti-Zionism
Les «bébés de Kfar Aza» au cœur de la guerre de communication entre le Hamas et Israël
Les défenseurs des droits de la personne applaudissent le Québec pour avoir rejeté l’adoption de la définition de l’antisémitisme controversée de l’IHRA
Massacre de Kfar Aza
Montréal n’adopte pas la définition de l’antisémitisme de l’IHRA
« Quarante bébés décapités » : itinéraire d’une rumeur au cœur de la bataille de l’information entre Israël et le Hamas
Quebec hasn’t adopted IHRA definition of anti-Semitism despite vote
Will the US adopt IHRA’s anti-Semitism definition? What’s the controversy?
Curieux qu’il faille lire un journal d’Israël pour connaître la position de Montréal.
Quelle est la source de ceci :
Or il est maintenant admis qu’il s’agissait-là d’une nouvelle fallacieuse de la propagande israélienne.
Entre autres :
Les «bébés de Kfar Aza» au cœur de la guerre de communication entre le Hamas et Israël