Dehors, les ‘puants’ !

Publié le 29 novembre 2023 | Temps de lecture : 4 minutes
Bibliothèque Maisonneuve

Introduction

Dès l’an prochain, les usagers des quarante-cinq bibliothèques publiques de Montréal pourront en être expulsés et mis à l’amende si d’autres usagers sont incommodés par l’odeur qu’ils dégagent.

Le texte définitif du règlement municipal est à venir. Mais essentiellement, c’est ce qu’il dira.

L’amende

Déjà le Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal trouve choquant ce projet de règlement. Selon cet organisme, ce règlement stigmatiserait des êtres vulnérables.

Nous y reviendrons.

D’autre part, cet organisme plaide que l’imposition d’amendes élevées (de 350$ à 1 000$ par offense) est contreproductive. Pour un sans-abri, que l’amende soit de cinquante dollars ou de cinq-millions, c’est pareil; c’est une somme qu’il est incapable de payer.

Lorsque la ville voudra engager des poursuites pour non-paiement de ces contraventions, elle devra recourir à des procureurs rémunérés au tarif horaire de 500$ à 1 000$ et à un juge municipal payé un quart de million$ par année.

Si le tribunal ordonne la confiscation de ses biens, cette saisie ne couvrira pas, dans l’immense majorité des cas, les sommes dues. Donc il faudra les condamner à la prison.

Or par année, l’emprisonnement dans une prison à sécurité minimale coute environ 81 820$, soit 225$ par jour.

Il serait préférable que les préposés d’une bibliothèque vérifient la disponibilité de places dans les refuges pour itinérants et paient un taxi pour amener le sans-abri aux portes d’un refuge éloigné, où il aura le choix d’y entrer ou de poursuivre sa vie à l’extérieur (si c’est son désir).

La discrimination

Un règlement qui ne vise rien est un règlement qui ne vaut rien. La discrimination est ce qui permet de distinguer le contrevenant et de le punir sélectivement. Donc, par nature, toute loi ou tout règlement est discriminatoire.

La personne puante peut être un sans-abri, un fumeur qui se présente avec un cigare qu’il vient d’éteindre ou toute personne qui empeste le parfum.

Ce qu’oublient les organismes de défense des sans-abris, c’est que la puanteur est une agression pour les autres. En effet, tout comme la personne qui crie, la personne qui pue agresse les autres. Le premier par l’ouïe, le second par l’odorat.

La grande majorité d’une population normale aura de la difficulté à se concentrer et à lire un document quand son voisin empeste.

Cette sensibilité s’explique, entre autres, par le fait que les cellules sensitives du nez sont les seules qui connectent directement le cerveau à l’extérieur du corps, ou plus précisément aux récepteurs de l’odorat situé à la surface de la muqueuse nasale. Toutes les autres cellules nerveuses du corps font synapse avec d’autres cellules nerveuses avant d’arriver au cerveau.

Conclusion

Si on veut plus d’endroits pour abriter les sans-abris — on en compte actuellement dix-mille au Québec, dont trois-mille femmes — il faut construire plus de refuges pour les accueillir et non transformer les bibliothèques en refuges pour itinérants.

Si nos bibliothèques veulent être ‘inclusives’, elles doivent l’être d’abord et avant tout à l’égard de ceux qui viennent pour y lire en toute quiétude. Parce que c’est ça, la vocation essentielle d’une bibliothèque.

En rédigeant la version définitive de son règlement, la ville de Montréal devra garder à l’esprit qu’il est possible, dans un avenir moyennement rapproché, que toutes les bibliothèques publiques — comme tous les espaces disponibles — soient réquisitionnées par l’État pour accueillir les sans-abris que seront devenus des dizaines de milliers de travailleurs à faible revenu jetés à la rue en raison de l’aggravation de la crise du logement.

La manière avec laquelle on traite nos sans-abris aujourd’hui pourrait être celle avec laquelle on traitera demain des milliers d’entre nous…

Références :
Bibliothèques publiques de Montréal : Vous puez ? Vous sortez !
Coûts de la criminalité et des interventions du système de justice pénale

Paru depuis : Les itinérants ne sont pas des lépreux (2023-12-01)

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5 mark II, objectif PanLeica 8-18 mm — 1/160 sec. — F/2,8 — ISO 250 — 8 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel