Pendant ce temps en Chine : les semi-conducteurs

Publié le 20 octobre 2023 | Temps de lecture : 9 minutes

Introduction

Le 2 mars dernier, l’Institut australien de politique stratégique publiait une étude effectuée sur plus d’un an et qui concluait que la recherche chinoise était en avance dans 37 des 44 technologies de pointe étudiées.

Les semi-conducteurs sont un des sept domaines où l’Occident prime encore. Ceux-ci sont des composants essentiels de tout produit de consommation dit ‘intelligent’, du réfrigérateur haut de gamme, au téléviseur branché, en passant par l’auto électrique, etc.

À l’intérieur de ces puces, le courant électrique parcourt un grand nombre de circuits. Plus ces circuits sont courts et rapprochés les uns des autres, plus le courant électrique effectue ses tâches rapidement.

Actuellement, la technologie la plus sophistiquée pour graver ces puces, c’est la lithographie UV extrême (Deep UV Lithography). Celle-ci est capable de graver des circuits d’une finesse de 2 nanomètres.

La seule compagnie au monde qui peut graver des circuits intégrés avec une telle précision, c’est TSMC (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company).

Ses puces haut de gamme actuelles sont à 3 nm; elle projette de fabriquer des puces à 2 nm à partir de 2025.

Les plans quinquennaux chinois

Périodiquement, les grands mandarins de l’État chinois planifient l’économie du pays pour les cinq années suivantes.

En 2014, la Chine mettait sur pied un fonds d’investissement de 21,8 milliards$US destiné à rendre la Chine autosuffisante en matière de semi-conducteurs.

Dans son plan quinquennal de 2019, la Chine haussait son investissement à 29,1 milliards$US.

Et finalement, en 2023, c’est 40 milliards$US que la Chine investira au cours des cinq prochaines années.

En 2021, l’importance stratégique des semi-conducteurs est apparue lorsque les carrossiers américains et certains fabricants d’appareils électroménagers ont dû interrompre leur production en raison de problèmes d’approvisionnement en semi-conducteurs asiatiques.

Cette crise des semi-conducteurs a justifié l’adoption en 2022 d’une des deux plus importantes pièces législatives de l’administration Biden, soit le ‘CHIPS and Science Act’.

Huit ans après la Chine, les États-Unis se dotaient d’un plan d’investissement de 280 milliards$US destiné à soutenir la recherche fondamentale au sujet des semi-conducteurs et à encourager leur fabrication en sol américain.

Afin d’empêcher la Chine de combler son retard dans ce domaine, les États-Unis ont interdit l’exportation dans ce pays :
• de puces électroniques puissantes, notamment celles qui servent à l’intelligence artificielle,
• du matériel robotisé nécessaire à leur fabrication,
• des ingrédients qui entrent dans leur composition, et
• des logiciels nécessaires à leur conception.

Au départ, le blocus technologique concernait uniquement l’exportation par des entreprises américaines. Mais depuis le début de 2023, les États-Unis ont conclu des accords avec le Japon et les Pays-Bas qui calfeutrent les fuites possibles vers la Chine de puces fabriquées dans ces deux pays.

Signalons que Taïwan ne participe pas à ce blocus technologique qui n’est ni dans son intérêt commercial ni son intérêt sécuritaire.

Le microprocesseur à 7 nm de Huawei

Malgré son bannissement occidental en tant qu’équipementier téléphonique, Huawei est encore la marque de téléphone multifonctionnel la plus populaire en Chine.

Il y a six semaines, cette compagnie lançait le Mate 60 Pro et le Mate 60 Pro+ 5G. Ces modèles sont propulsés par un microprocesseur dont les circuits intégrés ont été gravés à 7 nm.

Pourtant, depuis octobre 2022, quiconque vend à la Chine des semi-conducteurs à 16 nm ou moins est passible des sanctions prévues par la loi américaine.

Or non seulement Huawei a été capable de concevoir les prototypes de ses nouveaux modèles avec des puces ‘interdites’, mais l’entreprise assure être capable d’en trouver des dizaines de millions d’autres pour équiper ses nouveaux appareils au cours des mois qui viennent.

Ce qui veut dire qu’il existe en Chine un ou plusieurs fabricants en mesure de graver des semi-conducteurs à 7 nm pour Huawei.

Aparté : En raison du blocus technologique imposé par Washington contre la Chine, Apple a dû rompre ses liens commerciaux avec Ofilm. Celle-ci est la compagnie chinoise qui fabriquait les modules photographiques des périphériques mobiles d’Apple. Ofilm a pris sa revanche en devenant le fournisseur officiel… d’Huawei.

Le secret de la percée chinoise

Nous avons vu plus tôt que seule la Taiwan Semiconductor Manufacturing Company était capable de produire des semi-conducteurs à 3 nm. Et bientôt à 2 nm.

Mais le mérite de cette prouesse technologique ne lui appartient pas. Il revient revient plutôt à une compagnie néerlandaise, l’ASML Holding. Celle-ci est le principal fabricant des machines qui servent à graver les semi-conducteurs.

Cette entreprise ne fabrique pas de puces électroniques; elle fabrique les microlithograveuses, c’est-à-dire les robots dont ont besoin les entreprises qui fabriquent des semi-conducteurs.

Ses machines de cent-quatre-vingts tonnes coutent près de 150 millions de dollars canadiens (environ 100 millions d’euros) et nécessitent dix-huit mois d’assemblage.

À la suite de pressions américaines, les Pays-Bas ont imposé à ASML Holding l’obligation d’obtenir un permis pour exporter ses machines les plus précises. Comme c’est déjà le cas pour du matériel militaire.

Cette mesure est partiellement entrée en vigueur le 1er septembre dernier et sera pleinement opérationnelle le 1er janvier 2024.

À partir de cette date, les fabricants étrangers de semi-conducteurs ne pourront plus vendre à la Chine des puces à 16 nm ou moins. De plus, leurs succursales en sol chinois sont astreintes à cette même limite.

C’est ainsi que la TSMC fabrique ses puces à 3 nm dans ses installations taïwanaises. Mais à Nanjing, son unique filiale chinoise fabrique des semi-conducteurs limités à 24 nm.

Jusqu’ici, la seule manière de graver en Chine des semi-conducteurs plus performants était d’acheter des microlithograveuses néerlandaises.

C’est ce qu’on fait les clients chinois d’ASML Holding. Ceux-ci représentaient 8 % de son chiffre d’affaires au premier trimestre de 2023, 24 % au deuxième et 46 % au troisième trimestre.

De toute évidence, les fabricants chinois de semi-conducteurs se sont empressés d’acheter tout ce qui leur était permis jusqu’à la date limite. Or l’un d’eux, de toute évidence, a pu se procurer une microlithograveuse à 7 nm.

À l’inverse de la croissance de ses importations de microlithograveuses néerlandaises, la Chine réduisait de 15 % ses importations de puces électroniques, probablement parce qu’elle est maintenant en mesure de les produire elle-même.

Mais dès 2024, il sera impossible pour ce pays de se procurer de nouvelles machines. Au fur et à mesure que la technologie évoluera, l’Occident disposera de semi-conducteurs de plus en plus performants alors que la Chine sera limitée à fabriquer de vieilles puces électroniques.

C’est du moins le pari de Washington. Mais déjà, le ciel s’assombrit.

Jusqu’à maintenant, l’unique fabricant de microlithograveuses en Chine, la Shanghai Micro Electronics Equipment (SMEE) ne pouvait pas fabriquer des robots capables de graver avec une précision plus fine que 90 nm.

On est loin de 5 nm.

Mais cet été, la SMEE annonçait la mise au point d’une microlithograveuse qui fabriquera des puces à 28 nm. C’est un saut technologique important.

Ce qui signifie que la Chine comble à grands pas son retard technologique dans ce domaine.

Conclusion

Alors que l’administration Trump a voulu combattre la montée en puissance de l’économie chinoise en imposant des tarifs douaniers, l’administration Biden a réalisé que l’hégémonie mondiale des États-Unis reposait, entre autres, sur leur supériorité technologique.

D’où la nécessité pour eux d’investir massivement afin de maintenir leur position dominante.

Aussi sage soit l’approche Biden, elle arrive quand la Chine est déjà en avance dans la grande majorité des technologies de pointe actuelles.

Et dans les domaines où les États-Unis ont conservé un leadeurship, leur avance rétrécit avec une vitesse telle qu’on peut anticiper que l’écart n’aura bientôt plus d’importance.

À la tête du pays comme au sein de sa population, la Chine compte beaucoup plus d’ingénieurs et de polytechniciens.

Par contre, les États-Unis — dirigés majoritairement par des avocats et des millionnaires — souffrent d’un manque d’accessibilité économique qui empêche des millions de jeunes issues de la ‘classe moyenne’ d’accéder aux études supérieures dans les domaines scientifiques et techniques.

Ce qui entraine inévitablement l’érosion de l’avance technologique des États-Unis dans les domaines où ils excellent.

Références :
ASML
ASML chip-making equipment sales fall as China rushes to secure tools ahead of widened US export controls
China’s chip imports decline 15% in first nine months of 2023 as the country braces for a new round of US tech export controls
China Expecting Key Native Lithography Machine This Year: SCMP
China Integrated Circuit Industry Investment Fund
China plans to build a giant chip factory driven by particle accelerator
CHIPS and Science Act
For Chinese chip-making, lack of advanced lithography systems becomes a focal point in wake of Huawei’s breakthrough
Huawei bolsters its push for 5.5G networks with operators from the mainland, Hong Kong and the Middle East
Pénurie de semi-conducteurs : de petites puces, mais de gros problèmes
L’invasion de Taïwan par la Chine continentale
Lithographie extrême ultraviolet
Part de marché des différentes marques de smartphone en 2023, selon les régions du monde
Huawei helps China to win ‘symbolic’ victory in defying Washington’s sanctions with Mate 60 Pro but headwinds remain
Ofilm, formerly blacklisted by US and dumped by Apple as supplier, is contractor for Huawei’s Mate 60 phone
The Netherlands has started limiting chip gear exports to China
TSMC Gets China Chip Waiver From US, Eyeing ‘Permanent’ Permit
World’s largest chipmaker TSMC sees biggest drop in profit in nearly five years

Parus depuis :
China’s YMTC makes world’s most advanced memory chip in ‘surprise technology leap’: TechInsights report (2023-10-26)
Huawei teardown shows 5-nm laptop chip made in Taiwan, not China (2024-01-07)
Huawei’s Pura 70 smartphone contains new 7-nm HiSilicon chip made by top Chinese foundry SMIC, report says (2024-04-28)

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2 commentaires à Pendant ce temps en Chine : les semi-conducteurs

  1. André joyal dit :

    Vous en savez des choses cher Jean-Pierre!!!

    • Jean-Pierre Martel dit :

      En plus des sites de Radio-Canada, de La Presse, du Monde et du Guardian, je lis quotidiennement depuis peu Aljazeera et le South China Morning Post (SCMP). Pour voir l’envers du décor.

      Pendant que nos médias résonnent des bruits de la guerre aux portes de l’Europe (en Ukraine, au Caucase, et au Proche-Orient), le SCMP en parle, évidemment, mais pour mieux souligner le contraste entre le chaos occidental et la Chine marchant pacifiquement à la conquête du monde.

      Simple propagande ou matière à réflexion ?

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