La connaissance du français, un prérequis
La ministre québécoise de l’Immigration annonçait jeudi dernier la nouvelle politique migratoire de son gouvernement. En quelques mots, il s’agit d’une politique digne de ce nom.
Sa mesure phare ? Il sera dorénavant obligatoire d’avoir une connaissance adéquate du français avant d’immigrer au Québec. Sauf dans le cas des réfugiés, vu l’urgence de leur situation.
Le qualificatif ‘adéquat’ signifie que la connaissance du français sera modulée en fonction des métiers auxquels le requérant pourra postuler en raison de son expertise; en somme, il devra connaitre ce qui lui sera nécessaire pour vivre au Québec et travailler dans notre langue.
Ce faisant, la CAQ s’inspire de la Grande-Bretagne. Dans ce pays, l’immigrant ne peut pas mettre le pied sur le sol britannique s’il n’a pas déjà la connaissance de l’anglais. De manière conséquente, un citoyen britannique ne peut pas faire venir son conjoint de l’Étranger si cette personne ne parle pas l’anglais.
Lentement, cette mesure permettra de renverser l’anglicisation de Montréal si et seulement si la CAQ associe cette mesure à d’autres destinées à faire du français la langue du travail au Québec et à bloquer l’accès aux CÉGEPs anglophones à ceux qui ne devraient pas y avoir droit.
L’intention de la CAQ de hausser les seuils d’immigration — à l’exclusion des travailleurs temporaires — a attiré beaucoup d’attention.
Entre la cible péquiste d’accueillir trente-cinq-mille néoQuébécois par année et le double préconisé par le Parti libéral du Québec, tout est acceptable puisqu’aucune étude n’a déterminé la capacité d’intégration du Québec.
Deux choses sont certaines.
Premièrement, lorsqu’une pénurie de main-d’œuvre est ponctuelle, l’immigration est un excellent moyen de la corriger. Cela consiste à faire appel à l’Étranger pour combler des besoins que le marché intérieur n’arrive pas à corriger de lui-même.
Mais cela n’est plus vrai lorsque la pénurie est généralisée. Comme c’est le cas actuellement, puisque tout effet positif de l’arrivée d’un néoQuébécois est contrebalancé par la pression qu’il exerce en raison de l’ensemble des biens et des services qu’il requiert.
Et deuxièmement, dès que la connaissance du français est un prérequis à l’immigration au Québec, on pallie automatiquement la menace existentielle représentée par l’immigration massive anglophone voulue sournoisement par Ottawa.
L’échec du programme Arrima
Élaboré par le Parti libéral et adopté par la CAQ huit mois après son accession au pouvoir, le programme Arrima était voué à l’échec.
Son principe était pourtant séduisant; il s’agissait d’arrimer (d’où son nom) l’immigration au Québec aux besoins du marché.
En réalité, il s’agissait plutôt de limiter le ‘cheptel’ migratoire à une évaluation technocratique des besoins du marché.
Cela reposait sur une illusion; l’aptitude à prévoir rigoureusement les besoins futurs d’une économique dont le rythme de transformation s’accélère.
Les délais à l’immigration, qui se calculent en années au fédéral, font en sorte que les compétences utiles que possède le requérant pouvaient ne plus être celles recherchées lorsqu’il est finalement accepté au pays.
Concrètement, ajoutez la pandémie au Covid-19, la délocalisation industrielle vers l’Amérique du Nord causée par les sanctions contre la Russie, la course à décarboner l’économie occidentale et le résultat est que, soudainement, les besoins de main-d’œuvre surgissent de partout.
En réalité, dans le contexte actuel, n’importe quel locuteur francophone qui est à la fois intelligent et débrouillard est le bienvenu au Québec.
D’où la nécessité d’abolir la lourdeur bureaucratique du programme Arrima.
Malheureusement, la décision cavalière de l’ex-ministre de l’Immigration du Québec de détruire dix-huit-mille dossiers en attente d’une décision — plutôt que de retourner ces précieux documents à leurs expéditeurs — afin de forcer ces derniers à soumettre de nouveau leur demande par la voie du système Arrima a durablement terni la réputation du Québec à l’Étranger.
Le programme d’expérience québécoise
Créé en 2010, le Programme de l’expérience québécoise visait à offrir une voie rapide à l’immigration au Québec pour des étudiants étrangers et des travailleurs temporaires.
Toutefois, une décennie plus tard, dans le but d’atténuer son succès, l’ex-ministre de l’Immigration du Québec avait décidé d’exiger douze ou dix-huit mois d’expérience québécoise aux étudiants étrangers qui désiraient demeurer ici à la fin de leurs études. Dans le cas des travailleurs temporaires, l’expérience exigée était de 36 mois.
Cette exigence caquiste, combinée à la discrimination du ministère fédéral de l’Immigration à l’égard des étudiants francophones — particulièrement s’ils sont africains — a fait chuter la fréquentation des établissements scolaires francophones dans les régions du Québec où ces étudiants compensaient une baisse de fréquentation résultant de la diminution de la natalité.
Le résultat de la politique coloniale d’Ottawa est que 44 % des demandes qu’il accepte au Québec le sont pour des personnes qui veulent étudier dans les universités anglophones.
En plus d’abolir la nécessité d’avoir accumulé une expérience pratique pour tous les étudiants étrangers, la CAQ pallie la discrimination fédérale en exigeant à ceux qui fréquentent les établissements anglophones d’avoir également étudié en français à plein temps pendant trois ans à un niveau secondaire ou postsecondaire.
Quant aux travailleurs temporaires peu qualifiés (comme les travailleurs agricoles) qui voudraient profiter du Programme d’expérience québécoise, ils devront posséder une maitrise intermédiaire (niveau 5 sur 12) du français.
Francisation Québec
Pour terminer, le gouvernement de la CAQ crée un droit d’apprendre le français.
À cette fin, il mettra sur pied un guichet unique d’apprentissage du français — sans obligation de réussite — ouvert à tous, néoQuébécois ou non.
La formation prodiguée pourra l’être en salle de cours, en usine ou en ligne.
Conclusion
Après cinq ans d’errance, la CAQ s’est finalement dotée d’une politique migratoire digne de ce nom.
Pour ce faire, elle s’est largement inspirée du Parti Québécois. Or ça tombe bien; le PQ possède le meilleur programme politique à ce sujet.
À mes amis péquistes qui se désolent de voir la CAQ ‘voler’ leurs meilleures idées en matière d’immigration, consolez-vous en pensant qu’une politique linguistique nationale comprend évidemment un volet migratoire, mais également un volet sur la langue de travail, sur la langue de l’enseignement et, dans une moindre mesure, au sujet de la langue d’affichage.
Bref, la CAQ a encore des croutes à manger avant d’égaler le PQ.
De plus, pensez qu’il ne peut y avoir de référendum gagnant au sujet de l’indépendance du Québec sans refrancisation préalable de Montréal. Puisque le PQ tient absolument à cette mauvaise idée qui consiste à organiser un référendum dès son premier mandat alors que cela serait prématuré, la CAQ, dans le fond, prépare le terrain à l’accession au pouvoir du PQ et à l’organisation d’un référendum gagnant.
Références :
Étudiants étrangers : les préférences canadiennes
Immigrants francophones « Évitez le Québec »
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Postscriptum du 27 aout 2024 : Quinze mois plus tard, le quotidien Le Devoir révèle aujourd’hui qu’il faudra attendre encore quelques mois pour savoir concrètement comment la CAQ compte imposer préalablement la connaissance adéquate du français à ceux qui veulent immigrer au Québec.
La règlementation habilitante sera ‘pré-publiée’ cet automne en vue d’une entrée en vigueur souhaitée en 2025… si, évidemment, la CAQ n’y renonce pas d’ici là.
Référence : Les exigences en français pour les travailleurs temporaires se font attendre (2024-08-27)