Le 19 octobre 2011, le gouvernement fédéral procédait à la plus importante entente d’approvisionnement de l’histoire du pays. Il s’agissait d’une série de contrats, au nom de la marine canadienne, pour un montant total évalué à 36 milliards$.
Alors que le chantier maritime Davie, situé à Lévis, était le plus important et le plus compétent constructeur naval du Canada, aucun de ces contrats ne lui a été confié.
La part du lion a été accordée au chantier maritime Irving de Nouvelle-Écosse. L’autre partie fut donnée à un constructeur mineur de Colombie-Britannique.
Cette décision équivalait à une délocalisation de l’industrie maritime canadienne vers la Nouvelle-Écosse et la Colombie-Britannique.
Il faut savoir que la famille Irving est composée de deux clans rivaux qui, ensemble, possèdent une bonne partie de l’économie des provinces maritimes; ils possèdent des scieries, une compagnie ferroviaire, tous les quotidiens importants de la région, des radios locales, etc.
Leur influence politique est telle qu’aucun gouvernement à Ottawa — qu’il soit libéral ou conservateur — ne peut se payer le luxe de les indisposer.
Or le moindre contrat fédéral accordé à la Davie suscite automatiquement la plus vive colère des dirigeants du chantier Irving. Cette hostilité va bien au-delà de la rivalité attendue entre deux concurrents industriels; pour les dirigeants du chantier Irving, la Davie représente le seul obstacle à leur enrichissement illimité.
Au fur et à mesure où les contrats de la Davie arrivaient à terme, le chantier maritime québécois subissait une cure d’amaigrissement, passant de 1 300 travailleurs en 2015 à 150 employés en 2019.
Les Irving auraient finalement obtenu la faillite de la Davie s’ils n’avaient pas suscité entretemps des craintes quant à leur aptitude à respecter leurs obligations contractuelles.
Originellement, la date de livraison de la première des quinze frégates de guerre était prévue pour 2017. En réalité, sa construction n’a même pas encore commencé.
Les Irving promettent maintenant que sa construction devrait débuter en 2024, pour une livraison prévue en 2031, soit après un retard de 14 ans.
Toutefois, la technologue militaire évolue. Recevoir en 2031 des frégates de modèle britannique conçues deux décennies plus tôt n’intéresse personne.
Au fil du temps, le ministère de la Défense s’est vu dans l’obligation d’exiger des radars plus perfectionnés, des outils de navigation plus précis, des moteurs plus silencieux, etc.
Et chaque fois, la facture d’Irving augmente. Si bien que le cout total est passé de 36 milliards$ à plus de 80 milliards$. Sans que personne ne sache si un jour, le chantier Irving finira par livrer la marchandise.
Pour l’instant, l’entreprise demande qu’Ottawa finance la modernisation de ses installations. Ce qui suggère qu’elle pourrait s’avouer incapable de livrer une seule frégate si Ottawa refuse de l’aider.
À moins d’une guerre imminente, le Canada peut toujours attendre pour ses frégates. Mais il ne peut différer la construction de brise-glaces, essentiels à la navigation commerciale hivernale, alors que ceux qu’il possède sont de plus en plus sujets à des bris mécaniques.
Si le chantier Irving avait déjà livré ses frégates, tel que prévu, c’est à lui qu’Ottawa accorderait aujourd’hui les contrats pour sept brise-glaces et deux traversiers.
Mais Ottawa est las d’attendre après Irving. D’où la nécessité de se tourner vers la Davie pour les appareils dont ont absolument besoin la Garde côtière canadienne et Transport Canada.
En raison de la cure d’amaigrissement qu’elle subit depuis des années, la Davie souffre d’un sous-financement responsable du vieillissement de ses installations.
Pour la rendre apte à s’acquitter des contrats civils d’Ottawa — qui représentent le dixième des contrats militaires accordés à Irving — le gouvernement du Québec a pris l’initiative d’avancer 519 millions$ à la Davie, dont 325 millions$ en subvention (c’est-à-dire en don, sous forme d’un prêt ‘pardonnable’) et d’un investissement de 194 millions$ en actions privilégiées.
C’est la plus importante aide financière de Québec depuis l’investissement de 1,3 milliard$ dans la CSeries de Bombardier.
L’investissement à la Davie est conditionnel à la réalisation de la promesse fédérale d’accorder à ce chantier maritime des contrats civils pour une valeur approximative de 8,5 milliards$.
En somme, pas de contrat d’Ottawa, pas d’investissement de Québec.
Toutefois, si Ottawa s’est engagé à accorder ces contrats, il ne participera pas financièrement à la mise à niveau de ses installations.
Reste à voir ce que sera sa réponse définitive d’Ottawa face aux demandes analogues d’Irving…
Références :
La Marine canadienne ne recevra pas de nouvelle frégate avant 2031
Le chantier naval Irving demande plus d’argent pour livrer les frégates à temps
Mark Norman, le ‘Dreyfus’ canadien
Québec investit 519 M$ pour moderniser le chantier Davie
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