Introduction
Je devais avoir quatre ou cinq ans. Un soir d’orage, ma mère m’avait pris par la main, avait entrouvert les rideaux de ma chambre et m’avait dit : “ Tu vois les éclairs au loin. Eh bien, c’est le petit Jésus qui éclaire pour savoir où envoyer la pluie.”
Quelques années plus tard, revêtu d’un épais imperméable jaune, je m’étais assis sur les marches de notre balcon pour voir et entendre un orage dont les éclairs tombaient à environ un kilomètre de notre maison. Jamais je n’avais vu un orage de si près.
Il y avait d’abord un craquement assourdissant aussitôt suivi d’une intense lumière qui colorait tout en rose. C’est un des spectacles naturels les plus grandioses auxquels j’ai assisté.
D’autre part, beaucoup plus tard, je me souviens d’avoir vu ma sœur Paule, un soir d’orage, serrant fort sa fillette dans ses bras en lui disant de ne pas avoir peur alors que tout son langage corporel criait le contraire.
Comme la peur, l’intolérance se transmet aux enfants.
La peur de la différence
Sous le titre ‘Drag Queen: Protégeons nos enfants!’, Éric Duhaime, chef du Parti conservateur du Québec, a lancé une pétition s’opposant à ce que des travestis soient invités dans des écoles à réciter aux enfants des contes au sujet de la diversité sexuelle ou de la théorie des genres.
Ces contes visent à faire en sorte que les enfants acceptent l’aspect différent des autres personnes, évitent de s’adonner à de l’intimidation et au rejet de l’autre, et s’acceptent eux-mêmes s’ils se sentent différents.
En apprenant que le livre Le rose, le bleu et toi ! d’Élise Gravel, était notamment visé par les attaques du chef conservateur, je me suis rendu dans une bibliothèque de mon quartier afin de voir en quoi ce livre mérite ou non la controverse dont il est l’objet.
On y répond à des questions simples. Est-ce que les garçons ont le droit de pleurer ? Est-ce que les filles peuvent être des patronnes ?
On y lit que chez certains peuples, les hommes portent des jupes. On y donne des exemples de femmes qui, les premières, ont exercé des ‘métiers d’hommes’. Etc.
Afin de faciliter la lisibilité du texte auprès des enfants, il est à noter qu’on y a judicieusement évité l’écriture woke (ex.: les bâtisseur.euse.s culturel.le.s montréalais.e.s.).
En cliquant sur ceci, on pourra consulter un extrait de ce livre.
Bref, cette pétition conservatrice est un hameçon auquel se sont empressées de mordre plus de trente-trois-mille personnes qui, dans leur immense majorité n’ont probablement pas lu le livre ou, si elles l’ont lu, sont encore plus stupides que je pense.
Les beaux contes traditionnels
Cette controverse n’aurait jamais vu le jour si l’activité parascolaire facultative dont on parle avait été remplacée par la lecture d’un de ces bons vieux contes traditionnels.
Quoi de plus mignonne que l’histoire du Petit chaperon rouge dont la grand-maman est dévorée par le méchant loup qui aurait également dévoré l’héroïne n’eut été de sa perspicacité.
Mais la cruauté animale est peu de chose comparée à celle des humains. Les enfants doivent en être prévenus.
À cette fin, quoi de mieux que Blanche Neige; dans ce conte, la jalousie de la nouvelle conjointe du père est telle qu’elle demande à un complice deux choses; premièrement d’amener Blanche Neige aux bois afin de la tuer et deuxièmement, de lui rapporter son cœur comme preuve de son assassinat. Comme c’est beau.
Quant à l’importance du consentement sexuel, les enfants doivent l’apprendre subtilement par le biais de l’histoire de la Belle au bois dormant. Imaginez : l’héroïne reçoit un baiser non sollicité alors qu’elle est endormie. Un baiser que toutes les féministes au monde associeraient à de la violence sexuelle si ce baiser volé n’avait pas été administré par un homme riche et puissant. Alors, évidemment, ça change tout !
Quand les parents se plaignent de leurs difficultés financières — comme c’est malheureusement trop souvent le cas ces jours-ci — les enfants doivent s’empresser d’amasser des petites pierres blanches. Pourquoi ? Parce que les parents, lorsqu’ils ont trop de bouches à nourrir, ont parfois l’idée d’abandonner leurs enfants dans les bois afin que les loups les dévorent. C’est la leçon du Petit Poucet.
Bref, les parents conservateurs ont bien raison de préférer qu’on éveille leurs enfants à la cruauté du monde plutôt que leur enseigner la tolérance et le respect des autres… s’ils veulent que leurs enfants finissent par leur ressembler.
Référence : Un livre d’Elise Gravel est banni dans le sud des États-Unis
J’ai été lectrice bénévole pour l’heure du conte, il y a une quarante ans – et je n’ai jamais eu à lire un conte de Perreault. Même dans les années 80, il y avait une litérature beaucoup plus intéressante à offrir aux enfants. Le choix n’est pas entre les contes de Perreault et le dragqueen – ou pas de conte. Il y a d’autres solutions pour arriver aux mêmes buts sans avoir recours au ridicule de la féminité. Ces queens me font penser à ce curé de Pointe-aux-Trembles qui lors d’une réunion avant le baptême démontrait comment une maman parle aux enfants – petite voix haute, joual – mais quand papa arrive il parle sagement et dans un bon français. J’ai appris quelques années plus tard qu’on lui avait montré la porte.
Je ne crois pas que les dragqueens tentent de ridiculiser la féminité. Ce dont ils se moquent, c’est du cliché de la féminité.
Si on s’oppose à la pression sociale exercée sur les femmes de se peindre le visage, d’être parfaitement coiffée, de se parer de bijoux qui miroitent à la lumière pour attirer le regard, etc., eh bien, les dragqueens font la démonstration que si c’est ça, être une ‘vraie’ femme, ils peuvent être plus vrais que vrai.
En somme, objectivement, les dragqueens sont les alliés des féministes et non leurs adversaires.
Ceci étant dit, je ne crois pas que les dragqueens mènent un combat idéologique; fondamentalement, ces artistes sont des amuseurs publics qui essaient simplement de gagner leur vie à leur manière.
« Ces contes visent à faire en sorte que les enfants acceptent l’aspect différent des autres personnes, évitent de s’adonner à de l’intimidation et au rejet de l’autre, et s’acceptent eux-mêmes s’ils se sentent différents.»
Comment le savez-vous? C’est Barbada qui vous l’a dit?
Quant à moi, plutôt que de parler de la théorie du genre, je préfèrerais qu’il lise les contes de Perreault. Ils ne vous ont pas nui, j’aime le croire suivant mon expérience.
D’où viennent mes certitudes au sujet de ces contes (au sens d’écrits fantaisistes pour enfants) ?
Premièrement, j’ai lu in extenso le plus controversé d’entre eux, soit Le rose, le bleu et toi !. Son propos est clairement indiqué sur sa couverture. Or je peux affirmer catégoriquement qu’il n’y a pas là de quoi fouetter un chat.
Deuxièmement, parce que ces contes ont été approuvés par le ministère de l’Éducation et sont disponibles dans à peu près toutes les bibliothèques scolaires du Québec.
En d’autres mots, d’eux-mêmes, tous les écoliers du Québec peuvent les lire. Mais il est possible que ces contes ne correspondent pas à ce qu’ils cherchent à lire, spontanément, lorsqu’ils se rendent à la bibliothèque de leur école.
Lorsque leurs parents jugent important que leur enfant soit sensibilisé à ce sujet, ils peuvent l’inscrire à cette activité parascolaire, c’est-à-dire cette lecture publique par le travesti Barbada.
Ce que cherchent les protestataires qui ont obligé ce dernier à présenter clandestinement son ‘spectacle’ ailleurs qu’à l’endroit prévu, ce n’est pas d’éviter que leur enfant y assiste, mais d’empêcher les enfants des autres d’y assister.
Parce que c’est une manie de la Droite américaine (qui déteint chez nous) de chercher à imposer ses ‘valeurs morales’ et ses tabous culturels à ceux qui ne les partagent pas.
Personne ne conteste le pouvoir de décision des parents au sujet de l’éducation de leurs enfants. Mais l’école n’est pas une cafétéria. Ou bien l’enfant fait l’école à la maison ou bien il est soumis au programme scolaire élaboré par les meilleurs experts du Québec, qu’il aille au privé ou au public.
Sous l’influence du gouverneur républicain de la Floride, quand un parent exige qu’on n’enseigne pas ceci à leur enfant alors qu’un autre parent s’oppose à l’enseignement de cela, on rend invivable la vie des enseignants.
D’où la pénurie qualifiée de ‘colossale’ d’enseignants dans cet État américain en dépit de hausses importantes de salaire qui n’arrivent pas à les retenir.
Référence : Florida Combats Colossal Teacher Shortage
Certains Québécois et Québécoises régressent dangereusement, moralement parlant. C’est triste et mauvais pour la paix sociale et, surtout, pour l’acceptation de la différence qui enrichit celles et ceux qui ont l’humain au cœur.