Bravo M. Charest !

Publié le 7 avril 2023 | Temps de lecture : 6 minutes

Du point de vue de l’évolution des mœurs politiques, l’époque du gouvernement libéral de Jean Charest a correspondu à une régression.

La commission Bastarache a révélé que sous ce gouvernement, le critère le plus important auquel devait correspondre un avocat qui voulait être nommé juge était sa contribution à la caisse électorale du Parti libéral du Québec (PLQ).

Sous Jean Charest, l’État québécois a triplé le nombre de contrats accordés sans appel d’offres. Le truc utilisé était de scinder les travaux en plusieurs sous-contrats, ce qui permet à chacun d’eux de se trouver sous le seuil au-delà duquel la loi exige des appels d’offres.

À la fin de son régime en 2012, le budget du ministère des Transports consacré aux infrastructures avait quadruplé. C’est ce qui permettait au premier ministre d’affirmer que son gouvernement investissait quatre ou cinq fois plus en infrastructures que le Parti québécois.

En réalité, le Québec n’investissait pas quatre fois plus : il dépensait quatre fois plus. Ce n’est pas la même chose.

Mais revenons en 2011.

Pressé de toutes parts de créer une commission d’enquête sur la corruption dans l’industrie de la construction — commission qui sera créée quand même un peu plus tard — le gouvernement Charest décide plutôt, en mars 2011, de créer une Unité permanente anticorruption (UPAC) dirigée par un homme de main opposé lui aussi à une commission d’enquête.

Entretemps, la fuite d’un rapport dévastateur (le rapport Duchesneau) oblige M. Charest à créer le 19 octobre 2011 cette commission d’enquête, dirigée par la juge France Charbonneau.

La commission Charbonneau devait être dépourvue de pouvoirs. Il lui était même interdit d’adresser des reproches à qui que ce soit.

Il faudra l’intervention de l’ordre professionnel des avocats du Québec (le Barreau) pour que M. Charest accorde à cette commission le pouvoir de contraindre à témoigner.

La commission Charbonneau a révélé que l’assujettissement des ministres à rapporter 100 000$ par année à la caisse du PLQ s’est soldé par un vaste pillage du Trésor public.

Ce système permettait à des entrepreneurs de gonfler le cout des contrats d’infrastructures moyennant le paiement d’une modeste contribution à la caisse du PLQ.

Toutefois, à l’époque de la commission Charbonneau, les personnes impliquées dans l’attribution des contrats se sentaient surveillées. Conséquemment, le montant des contrats d’infrastructures a baissé de 30 %. Seulement pour 2013, le ministère des Transports a économisé 240 millions$.

Si l’UPAC s’est avérée efficace à démasquer la corruption municipale et à faire condamner les coupables, ses enquêtes relatives à la corruption gouvernementale trainèrent en longueur bien après la défaite électorale de Jean Charest en 2012.

Le 27 avril 2017, Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers et policières de Montréal, déclarait à la radio qu’il existait un verrou mis en place pour bloquer la mise en accusation d’élus du PLQ.

En octobre 2018, à la suite de la victoire électorale de la CAQ et la démission ‘surprise’ de Robert Lafrenière, j’écrivais sur ce blogue :

Le fiasco de l’affaire Ouellette doit nous faire soupçonner que ce ‘verrou’ a pris soin d’insérer une fêlure qui plombera toutes les enquêtes intentées contre le couple Bibeau-Charest, c’est-à-dire celles qui visent le sommet de l’État québécois.

Je m’attends donc à ce que tous les dossiers qui trainent à l’UPAC depuis des années connaissent dans les prochains mois un grand déblocage en raison du changement de gouvernement. Un déblocage qui sera stoppé net quand toutes ces causes seront abandonnées pour vice de forme.

C’est alors qu’on prendra conscience du génie machiavélique du ‘verrou libéral’.

En mai 2022, lorsque le successeur de Jean Lafrenière à la tête de l’UPAC annonça sans surprise l’abandon de toutes les enquêtes contre Jean Charest, on apprenait que le mode opératoire du verrou libéral était justement de fuiter des renseignements de manière à justifier l’annulation des procédures par les tribunaux.

Coïncidence ou non, ces fuites ont cessé dès que Robert Lafrenière a démissionné de l’UPAC. Mais le mal était fait.

À la suite de l’abandon des procédures, les tribunaux n’ont jamais reconnu l’innocence de Jean Charest, si tel est le cas, puisqu’ils ont été dans l’impossibilité d’entendre la preuve recueillie contre lui.

Profitant de la présomption juridique d’innocence, il en a profité pour intenter une poursuite contre l’UPAC et le gouvernement du Québec.

Plus tôt cette semaine, la Cour supérieure du Québec lui a accordé 385 000$ en raison du dommage causé à sa réputation par la divulgation illégale de ses renseignements personnels lors des enquêtes de l’UPAC.

Disons-le franchement; avant même la divulgation de ces renseignements par l’UPAC, la réputation de M. Charest dans l’opinion publique ne valait pas cher la tonne.

Grâce au verrou qu’il a nommé, l’ancien premier ministre semble bien avoir pu tirer profit des failles qui ont plombé les enquêtes contre lui et rendu impossible sa mise en accusation.

Donc bravo, M. Charest, vous nous avez bien eus. Une fois de plus…

Références :
Corruption : le ‘verrou’ libéral
Dur contre les étudiants, mou contre la corruption et le gaspillage
L’abandon de l’enquête à la Société immobilière du Québec
La démission du commissaire de l’UPAC et la soupe chaude
L’argent comptant et la corruption du Parti libéral du Québec
Le congédiement de Jacques Duchesneau ou la vengeance de M. Charest
Le néo-libéralisme du ministère des Transports
Le partenariat public privé (PPP) et la corruption libérale
Le système judiciaire et la corruption libérale
Le ‘verrou libéral’ et l’impunité des puissants
Trafic d’influence au gouvernement Charest
Québec est condamné à verser 385 000 $ à Jean Charest

Note : © Photo de Jean Charest par le quotidien Le Devoir

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Écrit par Jean-Pierre Martel