La corruption au parlement européen

Publié le 9 janvier 2023 | Temps de lecture : 7 minutes

L’exemple québécois

Depuis une loi adoptée par le Parti Québécois en 1984, seuls les adultes canadiens domiciliés au Québec depuis au moins un an peuvent contribuer à la caisse électorale des partis politiques québécois.

En plus du montant — généralement minime, de l’ordre de 5$ par année — exigé pour être membre d’un parti politique, on peut effectuer une contribution annuelle maximale de 100$, sauf l’année d’une élection alors que ce maximum est porté à 200$.

Après un scrutin, l’État verse à chaque parti politique un montant fixe pour chaque vote obtenu.

Suivant l’exemple du Québec, le parlement canadien a adopté une loi semblable en 2003.

Cela élimine presque totalement la corruption. Seules subsistent des ‘faveurs’ qui disposent favorablement le récipiendaire à l’égard du donateur sans obliger formellement le premier à accorder des contrats gouvernementaux à ce dernier.

C’est ainsi qu’en 2017, le premier ministre du Canada a passé gratuitement le temps des Fêtes à bord du yacht luxueux d’un millionnaire qui, parait-il, est son ami d’enfance… mais qu’il ne connaissait pas avant d’accéder au pouvoir.

L’indignation feinte de la cheffe d’opposition à ce sujet a complètement disparu lorsque les journalistes ont révélé qu’elle avait fait pareil.

Au Sénat canadien, accepter des voyages payés par des gouvernements étrangers est parfaitement ‘normal’.

Dernièrement, le ministre de l’Économie du Québec a été invité à chasser gratuitement le faisan sur une ile privée qui appartient à un groupe de millionnaires québécois.

Dans chacun de ces exemples, les ‘faveurs’ représentent des dizaines de milliers de dollars. Pour le simple député, surtout s’il est dans l’opposition, les faveurs se limitent à des broutilles; en effet, pourquoi devrait-on ‘investir’ dans quelqu’un qui ne décide de rien ?

Par contre, dans la plupart des pays démocratiques, le financement politique est de la corruption légalisée. C’est le cas aux États-Unis et au parlement européen, où la corruption est dans un autre ordre de grandeur.

Le Qatargate

Le vendredi 9 décembre, Alexandros Kaïlí était arrêté à Bruxelles dans le cadre d’une enquête pour corruption menée depuis juillet dernier. Au moment de son arrestation, les policiers ont découvert environ 600 000 euros (en argent liquide) dans son appartement.

À partir de cette découverte, les policiers belges ont fait lever l’immunité parlementaire dont jouissait sa fille, Éva Kaïlí — une des quatorze vice-présidents du parlement européen — et ont fouillé le jour même l’appartement de celle-ci où ils ont trouvé une autre tranche de 150 000 euros, toujours en billets de banque.

Ont également été arrêtés :
• l’assistant parlementaire de Mme  Kaïlí, Francesco Giorgi, qui est également son conjoint,
• Niccolò Figà-Talamanca (démarcheur et activiste),
• l’ancien eurodéputé Antonio Panzeri, avec lequel Mme Kaïlí a co-fondé l’ONG Combattons l’impunité (sic), et qui, selon le quotidien Le Soir, serait le chef d’une organisation criminelle chargée d’influencer les décisions du Parlement européen en faveur du Qatar.

Selon Wikipédia, ces trois personnes auraient plaidé coupables à l’accusation de corruption et de blanchiment d’argent.

Le ‘corrupteur’ dans cette affaire serait le Qatar, une des pétromonarchies qui, par la force des décisions du parlement européen, est devenu un des principaux fournisseurs de gaz fossile liquide (GFL) de l’Union européenne.

Après la Norvège, et les États-Unis, le Qatar est maintenant au troisième rang des fournisseurs de GFL avec seize pour cent des approvisionnements.

Le parti Renew Europe (autrefois appelé Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe) est la quatrième formation politique en ordre d’importance; il compte 104 députés sur les 705 du parlement européen

Avant qu’elle n’en soit expulsée, ce parti, par la voix de son président, a présenté sa députée, Mme  Kaïlí, comme une victime.

Pointant un doigt accusateur vers le Qatar, le Français Stéphane Séjourné a déclaré : « Nous ne laisserons pas salir notre travail. Nous ne laisserons pas salir ce Parlement. Nous ne laisserons pas salir l’Europe », sous les applaudissements de ses partisans.

En entendant celui-ci, on peut se demander quel mineur de charbon, couvert de suie au fond de son puits, n’aimerait pas lui aussi être sali par de beaux billets de banque tout neufs…

Signalons que le parti Renew Europe a reçu près d’un demi-million d’euros de multinationales. Son congrès de Madrid, tenu en 2018, a été financé par les succursales européennes de Google, Walt Disney, Microsoft et Bayer (fabricant du glyphosate).

Quand le premier réflexe d’un parti est de blâmer le corrupteur et non la corrompue (qui était libre de refuser l’argent), c’est que ce parti est plus gangréné par la corruption qu’il ne le croit…

Comment le parlement européen est-il tombé si bas ?

Tout comme au Québec, les partis en lice au parlement européen peuvent percevoir des dons des particuliers, en plus de l’argent versé par le parlement européen pour chaque vote obtenu à l’occasion d’une élection.

Mais contrairement aux législations québécoise et française, les partis européens peuvent également accepter des dons provenant de personnes morales (c’est-à-dire d’entreprises, d’associations, de groupes de pression, de syndicats, etc.).

Chaque don est limité à 18 000 euros. Mais chaque filiale d’un conglomérat peut effectuer un don, ce qui permet de contourner cette limite.

De plus, après Washington, le parlement européen est sollicité par la deuxième plus importante horde de démarcheurs au monde, soit environ 37 300 personnes.

Les hauts dirigeants européens doivent, théoriquement, inscrire leurs rencontres dans un registre. Ce à quoi ne sont pas tenus les simples eurodéputés hors de l’enceinte parlementaire.

On estime à trois-milliards d’euros les sommes consacrées à tenter d’influencer les décideurs au sein du parlement européen.

Même si Ursula von der Leyden, présidente de la Commission européenne, a bien tenté d’adopter un profil bas depuis cette affaire afin de ne pas en être éclaboussée, on doit savoir qu’en juillet dernier, l’exécutif européen adoptait une résolution destinée à élargir le financement des partis européens aux ‘donateurs’ (particuliers, entreprises ou gouvernements) hors de l’Union européenne.

À sa face même, cette recommandation de l’exécutif était une invitation à la corruption étrangère du parlement européen.

Même si cette proposition avait été rejetée (ce qui n’est pas le cas), le simple fait qu’on ait pu l’envisager sérieusement en dit long sur l’état de pourrissement de la démocratie en Europe.

Références :
Clara Robert-Motta. Qatargate : “Les Européens sont dans une situation schizophrénique”
Corruption fédérale : les voyages forment la vieillesse
Elections européennes: Argent public, dons d’entreprises… Comment sont financés les partis européens?
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Écrit par Jean-Pierre Martel