Introduction
À l’époque de la photographie argentique — c’est-à-dire de la photographie sur pellicule — les photos étaient développées de manière artisanale en chambre noire ou de manière commerciale en laboratoire.
En modifiant le temps de développement d’une image, on pouvait corriger un défaut d’exposition. Ce défaut pouvait être généralisé ou localisé.
En photographie numérique, on peut appliquer en quelques secondes des changements qui auraient pris un temps considérable en chambre noire.
On considère généralement que toutes les modifications subies par l’image après son enregistrement sur la carte-mémoire de l’appareil photo constituent du post-traitement.
En réalité, le post-traitement débute après que les photons de l’image aient touché le capteur de l’appareil photo. Donc, avant même que l’image soit enregistrée.
Dans le cas d’un JPEG par exemple, l’application de la balance de blanc déterminée à l’avance par la configuration de l’appareil est du post-traitement au même titre que le changement de la balance de blanc à l’ordinateur.
De la même manière, l’application de filtres artistiques dans le boitier des appareils Olympus, entre la capture de l’image par le capteur et son enregistrement sur la carte-mémoire, est également du post-traitement effectué par l’appareil-photo.
Le pré-traitement
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Avant l’invention de la photo numérique, une scène éclairée par une ampoule électrique possédait une teinte jaunâtre. Celle éclairée par un néon était verdâtre.
Pour corriger ces défauts, on vissait un filtre de couleur au-devant de l’objectif afin de corriger la température de la lumière (exprimée en degrés Kelvin). Cela s’appelait la correction des couleurs.
D’autre part, pour obtenir un flou artistique, le photographe pouvait ajouter de la buée sur la lentille avant de son objectif en y expirant la bouche grande ouverte et en s’empressant de prendre sa photo avant que la buée s’évapore.
Pour éviter cette évaporation, le photographe David Hamilton appliquait plutôt de la gelée de pétrole (Vaseline™) au pourtour d’un filtre transparent vissé à son objectif.
Bref, tout cela peut être qualifié de pré-traitement puisque l’image est traitée avant d’avoir atteint la pellicule (ou le capteur, dans le cas d’une photo numérique).
Pré- et post-traitement en photographie infrarouge
Autrefois couteuse et peu utilisée (sauf à des fins d’espionnage militaire), la photographie infrarouge a pris son essor avec l’avènement de la photographie numérique.
Le capteur d’un appareil photo numérique peut enregistrer non seulement la lumière visible, mais également l’ultraviolet et l’infrarouge.
Pour que les images qu’il capte ressemblent à ce que nos yeux perçoivent, on insère normalement dans le boitier un filtre qui bloque à la fois l’ultraviolet et l’infrarouge pour ne laisser passer que la lumière visible.
• L’infrarouge noir et blanc
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En lui retirant le filtre qui bloque l’infrarouge pour le remplacer par un filtre qui, au contraire, bloque la lumière visible, l’appareil photo ne capte alors que l’infrarouge.
D’autre part, pour effectuer de la photosynthèse, la végétation absorbe le rouge et rejette le vert. Ce dernier, rebondissant à nos yeux, fait en sorte que la végétation nous apparait verte.
L’infrarouge correspond à la chaleur du soleil. Tout comme le blanc d’œuf coagulera à la cuisson, l’infrarouge dénature les protéines végétales, dont celles impliquées dans le métabolisme de la plante. Donc, la végétation doit impérativement s’en débarrasser puisque l’infrarouge représente pour elle une menace mortelle.
Et comme la végétation réfléchit beaucoup plus l’infrarouge que la lumière visible, le feuillage des arbres variera de vert moyen à vert foncé sur une photo couleur ordinaire, alors qu’il variera à l’infrarouge de très pâle à très foncé. En somme, le feuillage aura un écart dynamique beaucoup plus grand.
C’est l’avantage de la photographie de paysage en infrarouge et c’est ce qui explique sa popularité, une fois la photo transformée en noir et blanc.
• L’infrarouge en fausses couleurs
© 2022 — Baptiste Guillemin, photographe
La photographie numérique a non seulement popularisé l’infrarouge, mais l’a fait bénéficier de techniques de traitement de l’image impossible à obtenir en chambre noire.
La substitution de canal et le recours à des balances des blancs personnalisées ont permis de conférer aux photos infrarouges des teintes éloignées du réalisme photographique.
Toutefois, un des tabous de l’infrarouge en fausses couleurs est que le ciel, s’il est visible sur la photo, doit être bleu. Le reste est sujet à toutes les licences.
• L’infrarouge couleur
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C’est vers 2015 qu’un photographe français nommé Yann Philippe a mis au point un filtre qui permet, sur un appareil infrarouge à spectre complet, de mimer l’aspect de l’Aérochrome, une pellicule infrarouge de Kodak (aujourd’hui discontinuée).
Pour ce faire, M. Philippe a testé différentes combinaisons de filtres et en a choisi trois ou quatre qui, superposés, donnaient l’effet recherché.
Ce faisant, Yann Philippe donnait naissance à une nouvelle discipline au sein de l’infrarouge; l’infrarouge couleur.
En comparaison avec l’infrarouge en fausses couleurs, l’infrarouge couleur peut s’obtenir sans post-traitement. Ses filtres laissant passer certaines couleurs et en masquant d’autres. Bref, ils ne révèlent que des couleurs déjà présentes dans l’image.
Photo emblématique de l’infrarouge Rose bonbon
En 2021, un deuxième style d’infrarouge couleur a été mis au point, soit l’infrarouge Rose bonbon.
L’un et l’autre marquent le retour en force du pré-traitement dans l’art photographique.
Pour terminer, précisons que l’infrarouge couleur est un sujet d’expérimentations et de recherche pour de nombreux photographes.
© 2022 — Fedia Le Grill (Filtres utilisés : Lee No 115 Peacock Blue + GRB3)
Parmi ceux-ci, mentionnons Fedia Le Grill — photographe d’avant-garde œuvrant en Bretagne — qui a exploré l’utilisation en infrarouge des filtres Lee, conçus pour les éclairagistes de scène.
Conclusion
Contrairement au post-traitement — qui aboutit généralement à du noir et blanc ou à une photo en fausses couleurs — le pré-traitement est la voie de l’avenir pour la photographie infrarouge.
D’une part parce que l’austérité du noir et blanc condamne son esthétique à une audience limitée.
Et d’autre part parce que le post-traitement en fausses couleurs nécessite une connaissance des techniques avancées des logiciels de traitement de l’image. En particulier, la substitution de canal est l’arme atomique de la retouche photographique, une arme auquel aucun photographe ne recourt normalement.
À l’opposé, le pré-traitement photographique est d’une désarmante simplicité puisqu’il correspond à du ‘prêt-à-porter’ chromatique; il suffit de visser les filtres qui correspondent à une ‘recette’ infrarouge (l’IR Chrome ou le Rose bonbon, par exemple) pour obtenir l’effet souhaité.
Et dans le bouillonnement des trouvailles qu’on peut déjà observer sur les forums consacrés à la photographie infrarouge, on peut s’attendre à ce qu’émergent des styles standardisés d’infrarouge couleur qui attireront un nombre croissant de personnes vers cette discipline photographique.
C’est dans ce sens que le pré-traitement est destiné à une grande popularité en infrarouge puisqu’il libère le photographe de l’obligation d’être un gourou de Photoshop pour pouvoir s’exprimer dans cette discipline.