Quand défendre le français consiste à enfoncer des portes ouvertes

Publié le 12 septembre 2022 | Temps de lecture : 8 minutes

Introduction

Le mois dernier, Statistique Canada révélait l’importante diminution du pourcentage des familles au sein desquelles les parents élèvent leurs enfants en français.


 
D’autre part, en vue des prochaines élections, les chefs des quatre principales formations politiques du Québec se sont prêtés tour à tour aux questions de trois journalistes lors d’une émission spéciale diffusée récemment à la télévision de Radio-Canada.

Un volet concernait la loi 96, adoptée par le gouvernement sortant en vue de protéger le français au Québec. Le Parti libéral du Québec (PLQ) s’y oppose et cette émission donnait à la cheffe de ce parti, l’occasion de nous expliquer pourquoi.

La loi 96 divise les Québécois

Préoccupé par le déclin du français au Québec, le PLQ juge qu’il faut évidemment défendre notre langue, mais de manière ‘inclusive’.

Or la loi 96 divise les Québécois puisque l’immense majorité des angloQuébécois s’y opposent.

Sans le dire explicitement, ce que souhaite le PLQ, c’est donner aux angloQuébécois un droit de véto sur tous les moyens que le gouvernement pourrait prendre pour freiner ou pour arrêter l’anglicisation du Québec.

La langue de l’État adressée aux néoQuébécois

Dans tous les pays du monde, l’État s’adresse à ses citoyens dans la langue nationale.

De plus, dans le cas du Royaume-Uni, aucun requérant au statut d’immigrant ne peut mettre le pied sur le sol britannique à moins de connaitre déjà la langue anglaise. Seuls les réfugiés, en raison de l’urgence de leur situation, font exception à cette règle.

Avec sa loi 96, le gouvernement sortant a décidé qu’après six mois en sol québécois, toute la correspondance gouvernementale adressée à un néoQuébécois le sera en français.

Celui-ci n’est pas obligé d’avoir appris le français; s’il ne le comprend toujours pas, il faudra qu’il se débrouille puisqu’au Québec, c’est en français que ça se passe.

La cheffe du PLQ soutient que six mois, c’est trop court pour apprendre le français (ce que, répétons-le, la loi n’exige pas).

Mais même si on donnait deux ans, dix ans ou vingt ans, on ne ferait que différer le problème; il y a des gens qui passent toute leur vie au Québec sans avoir réussi à apprendre notre langue. Michael Rousseau, le président d’Air Canada, en est un exemple.

L’accès aux CÉGEPs anglophones

En Italie ou en Allemagne, par exemple, la seule école où on peut envoyer ses enfants aux frais des contribuables, c’est à l’école publique. C’est la seule gratuite. Et c’est dans la langue nationale que les élèves y font leur apprentissage.

Évidemment, on peut toujours envoyer ses enfants dans une école où les professeurs enseignent dans une autre langue. Mais c’est à ses frais.

Depuis la Loi 101, c’est la même chose au Québec. Sauf que cette loi fait exception pour les angloQuébécois. Ceux-ci disposent de leurs propres écoles publiques (donc financées par l’État).

De plus, la Loi 101 ne s’applique qu’à l’enseignement au primaire et au secondaire. Jusqu’ici, elle ne s’appliquait pas aux lycées (appelés CÉGEPs au Québec). Cette lacune a été corrigée par la loi 96.

Le PLQ s’y oppose. À cette émission spéciale de Radio Canada, Dominique Anglade déclarait :

Je ne conçois pas qu’on dise à nos jeunes adultes qu’ils devront choisir devant un CÉGEP français vs CÉGEP anglais. Ils ont le droit de prendre cette décision-là eux-mêmes.

Les jeunes Québécois ont le droit de décider de leur avenir. Mais un étudiant francophone qui souhaite un avenir en anglais devra se le tailler à ses frais.

Le cout de l’inscription dans un CÉGEP (environ 20$ par session) ne représente qu’une minuscule partie des frais réels de l’enseignement dans nos lycées. Or nous, contribuables francophones, refusons de financer l’anglicisation du Québec.

La liberté de choix de la langue d’enseignement était le principe défendu par la loi 63 de l’Union nationale, un parti rayé de la carte précisément pour l’avoir adoptée.

En 1969, le peuple francoQuébécois a réalisé l’absurdité de financer sa propre extinction : Dominique Anglade ne nous fera pas revenir 53 ans en arrière.

Évidemment, nos amis Anglophones sont bien libres de ne pas être de notre avis. Mais on vit dans une démocratie quand les minorités sont libres de s’exprimer et, précisons-le, quand les majorités sont libres d’agir…

La clause dérogatoire

Le PLQ s’oppose à ce que la loi 96 invoque la clause dérogatoire, cette disposition constitutionnelle qui permet d’en déroger.

En 1977, le gouvernement péquiste de René Lévesque adoptait la Loi 101. Ce qui a fait réaliser à Ottawa que la vieille loi britannique qui servait de constitution au pays depuis 1867 était pleine de trous.

Voilà sur quoi repose l’urgence soudaine de doter le Canada d’une nouvelle constitution cinq ans plus tard; il fallait invalider des pans entiers de la Loi 101. Ce que la Cour suprême du Canada elle-même a reconnu dans un jugement qu’elle a rendu en 1984.

Je vous épargnerai le jargon juridique utilisé par le plus haut tribunal du pays pour vous en donner la traduction suivante :

Étant donné que la constitution a été écrite après la Loi 101, lorsqu’on compare le texte de l’article 23 de la constitution avec le texte correspondant dans la Loi 101, il est évident que cette dernière était l’exemple parfait d’une législation que le gouvernement fédéral voulait contrer…

En réalité, lorsque Dominique Anglade déclare vouloir retirer la clause dérogatoire invoquée par la loi 96, elle veut donner cette loi en pâture à la voracité des juges à la solde d’Ottawa ou à celle de ces juges ultra-fédéralistes nommés par le PLQ au cours des quinze ans où il fut au pouvoir.

Il suffit de lire le jugement d’une incroyable partialité rendu le 12 aout dernier par la juge Chantal Corriveau à l’encontre de deux articles de la loi 96 pour se convaincre de ce secret de Polichinelle; toute la machine judiciaire à la solde d’Ottawa est en croisade pour trouver des puces — et en inventer si nécessaire — afin de forcer le Québec à revêtir, malgré la clause dérogatoire, la camisole de force constitutionnelle que le Canada anglais a adoptée contre nous en 1982.

Conclusion

Les choix référendaires de la nation québécoise ont consisté à remettre notre sort entre les mains de l’ethnie dominante du Canada. Les plus récentes données de Statistique Canada permettent aujourd’hui de mesurer l’étendue de cette imprudence.

Face à cela, la loi 96 est très insuffisante. Voilà pourquoi il serait inacceptable de nous contenter de moins. C’est précisément ce que veut le PLQ.

Son refus dogmatique d’invoquer la clause dérogatoire fait de ce parti le chantre de l’asservissement à l’ordre constitutionnel canadian.

Et les mesures homéopathiques qu’il propose aujourd’hui pour pallier l’anglicisation du Québec, de même que le droit de véto implicite qu’il entend accorder aux angloQuébécois à ce sujet, sont autant de preuves que les dirigeants de cette formation politique sont les ‘collabos’ du régime colonial canadien.

Références :
Anglicisation de Montréal depuis quinze ans
Anglicisation du Québec : l’omelette de la loi 96
La loi 96 : le mythe de l’obligation d’apprendre le français en six mois
Le commissaire Théberge blâme Air Canada pour le discours unilingue de son PDG
Le défilé des Rhodésiens
Les droits linguistiques à géométrie variable
Loi 63 de l’Union nationale

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Écrit par Jean-Pierre Martel