Le blocus économique occidental contre la Russie et les relations sino-russes

Publié le 18 juillet 2022 | Temps de lecture : 7 minutes

La Russie, puissance occidentale

Depuis longtemps, la littérature, le théâtre, la musique, la peinture, la sculpture et l’architecture russes font partie du patrimoine culturel de l’Occident.

C’est depuis Pierre le Grand, tsar de 1682 à 1725, que la Russie s’est occidentalisée. L’avènement du communiste a même accentué cette évolution.

Le suffrage universel — en d’autres mots, le droit de vote de tous les adultes, peu importe leur sexe — a été implanté en Russie en 1917, soit vingt-trois ans avant le Québec.

Bien avant les autres pays occidentaux, on trouvait en Russie des femmes à la tête de syndicats ou de manufactures, de même que des femmes exerçant des métiers non conventionnels.

Le Soviet suprême (ou parlement soviétique) comptait 225 femmes parmi ses 1 143 députés (soit 17 %) en 1937. Il en comptait 33 % en 1984, soit plus que le pourcentage de députées au sein du gouvernement canadien trente ans plus tard (26 %).

Quant à la laïcité, à l’époque où on organisait encore annuellement des processions à la Vierge ou au Sacré-Cœur dans tous les villages du Québec, le clergé catholique orthodoxe se faisait discret en Russie.

Bref, les valeurs occidentales modernes — à l’exclusion notable de la démocratie parlementaire — sont partagées en Russie depuis longtemps. Dans certains cas — l’égalité des sexes et la laïcité — la Russie nous a même devancés.

Le rejet de la Russie

Avant même l’effondrement imminent du bloc soviétique, la Russie exprima son désir de devenir membre de l’Otan.

Au fil des années, l’Otan fit miroiter cette possibilité tout en poursuivant sa politique d’encerclement contre la Russie.

C’est ainsi qu’on créa avec elle un Partenariat pour la Paix en 1994, puis le Conseil conjoint permanent Otan/Russie en 1997, et enfin, en 2002, un Conseil Otan-Russie.

Mais tout cela avait pour but d’endormir la Russie; dans la file d’attente des candidats à l’adhésion à l’Otan, on fit constamment passer les pays d’Europe centrale et d’Europe de l’Est devant la Russie.

Les raisons profondes qui motivaient les pays de l’Otan à ne pas vouloir de la Russie variaient d’un pays à l’autre.

De leur côté, les États-Unis étaient animés par leur anticommunisme viscéral. Pour quelques pays, cela aurait sonné le glas d’un projet d’alliance militaire exclusivement européenne (incluant la Russie) qui aurait été au service des intérêts géostratégiques spécifiques de l’Europe, affranchie de la mainmise militaire américaine.

Pour terminer, au fur et à mesure que d’anciennes républiques soviétiques adhéraient à l’Otan, celles-ci estimaient qu’accepter que la Russie les rejoigne, c’était comme faire entrer le loup dans la bergerie.

Bref, quand la Russie s’est rendu compte de la supercherie, c’était déjà trop tard; l’encerclement occidental par l’Otan était presque complet puisqu’il ne manquait plus que la Géorgie, l’Ukraine et la Finlande.

Les motifs profonds de la guerre russo-ukrainienne

Tout comme les États-Unis, la Russie ne peut tolérer qu’on installe des missiles dirigés contre elle dans sa cour arrière.

En 1962, les États-Unis avaient ordonné un blocus maritime contre Cuba parce que ce pays avait décidé de déployer des missiles russes sur son territoire. Les États-Unis menaçaient alors de faire sombrer tout navire russe qui s’approchait des côtes cubaines. Ceux-ci rebroussèrent chemin et on évita une Troisième Guerre mondiale.

Mais d’autre part, pendant dix-huit ans, les Ukrainiens se sont laissé convaincre qu’il était dans l’intérêt de leur pays de se transformer en ennemi militaire de son puissant voisin.

Avec le résultat qu’on sait.

Conséquences économiques

Depuis sa création en 1949, l’Otan se prépare à une guerre éventuelle contre la Russie. Soutenir aujourd’hui l’armée ukrainienne est un moyen d’affaiblir l’armée russe et de rendre la Russie plus vulnérable à une guerre qu’on pourrait ultérieurement déclencher contre elle.

Une telle guerre sera bientôt d’autant plus envisageable qu’elle ferait suite à la rupture brutale des liens économiques avec ce pays. Déjà, certains chefs d’État occidentaux préparent leur population à accepter les privations d’une ‘économie de guerre’.

D’ici là, les sanctions économiques contre la Russie ne changeront pas l’issue du conflit russo-ukrainien, connue d’avance. Plus cette guerre dure, plus se poursuivent les destructions et plus se prolongent les souffrances du peuple ukrainien.

Pour nous qui vivons en Occident, nos propres sanctions économiques provoquent la cascade d’évènements suivants : Sanctions économiques ➔ perturbation mondiale des approvisionnements ➔ pénuries ➔ diminution de l’offre ➔ augmentation des prix ➔ inflation ➔ augmentation des taux d’intérêt ➔ récession économique ➔ augmentation du chômage et diminution des revenus de l’État ➔ adoption de mesures d’austérité budgétaire et remise à plus tard de la lutte aux changements climatiques.

Conséquences géostratégiques

Les deux guerres mondiales du XXe siècle — au cours desquelles l’Europe s’est fait hara-kiri — ont provoqué l’émergence de la puissance hégémonique des États-Unis.

Si une Troisième Guerre mondiale a lieu, l’Occident (ce qui inclut la Russie) s’entredéchirera. Ce qui accélèrera l’accession de la Chine en tant que première puissance mondiale.

En 2020, le produit intérieur brut (PIB) des États-Unis et celui de la Chine étaient respectivement de 20 953 milliards$ et de 14 722 milliards$. À titre de comparaison, celui de la Russie n’était que de 1 483 milliards$.

À l’époque de la visite de Nixon en Chine (en 1972), la stratégie américaine consistait à dresser ce pays contre la Russie, déjà en froid à la suite d’un important incident frontalier survenu trois ans plus tôt.

En 1972, le PIB américain était de 1 279 milliards de dollars, comparativement à environ 540 milliard$ pour la Russie et 114 milliars$ pour la Chine. Bref, du point de vue américain, la menace communiste devenait plus inquiétante si ces deux pays réglaient leurs différents. Il fallait donc les éloigner l’un de l’autre.

Or la stratégie nixonnienne a fonctionné; grâce aux réformes économiques de Den Xiaoping et à l’apport de capitaux étrangers, la Chine et les États-Unis sont devenus d’importants partenaires commerciaux alors que l’économie russe a progressé de manière bien moindre.

Même si la Chine et la Russie ont normalisé leurs relations depuis 1985, le niveau de leurs échanges commerciaux est demeuré relativement modeste, comptant pour moins de deux pour cent des importations et des exportations chinoises (avant la pandémie).

Toutefois, le blocus économique occidental contre la Russie a précipité ce pays dans les bras de la Chine; jamais la Russie n’a autant eu besoin de la Chine (alors que l’inverse est beaucoup moins vrai).

Dans ce sens, c’est l’échec de cinquante ans de politique étrangère américaine dont le but était précisément de diviser les pays communistes entre eux afin de les attaquer, si besoin, l’un après l’autre.

Références :
Cinq femmes ayant réussi à s’imposer dans le jeu politique en URSS
Droit de vote des femmes
Évolution du PIB américain
La France est-elle entrée dans une «économie de guerre», comme le prétend Emmanuel Macron ?
La relation OTAN/Russie : moment de vérité ou déjà vu ?
L’épouvantail russe
Pierre Ier le Grand
Rupture sino-soviétique
Ukraine Is the Latest Neocon Disaster
US transfers nuclear weapons from Turkey to Romania

Complément de lecture : L’engrenage ukrainien

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.

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2 commentaires à Le blocus économique occidental contre la Russie et les relations sino-russes

  1. André dit :

    Très intéressant. Mais, en ce qui regarde les divergences entre l’URSS et la Chine durant les années 50-70, elles tiennent davantage de différends idéologiques que d’un simple conflit frontalier.
    Cf. mon livre sur les systèmes économiques publié en 1979.

    • Jean-Pierre Martel dit :

      Je crois comprendre qu’à l’époque, Moscou croyait que le communisme devait s’appuyer sur l’action du prolétariat urbain alors que pour Mao, le parti communiste chinois devait s’appuyer sur la paysannerie.

      Puisqu’entre nous deux, c’est vous l’expert, qu’en pensez vous ?

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