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Introduction
Peuplée de 44 millions d’habitants, l’Ukraine est le deuxième plus vaste pays d’Europe (après la France).
Ses deux principaux groupes ethniques sont les Ukrainophones et les Russophones (voir la carte).
La révolution orange
À l’éclatement de l’URSS en 1991, l’Ukraine a d’abord été dirigée par deux présidents pro-russes.
Qu’il soit qualifié de pro-russe ou de pro-occidental, chaque gouvernement du pays depuis l’indépendance a souhaité le développement des échanges commerciaux avec l’Union européenne.
La véritable distinction entre les deux, c’est que les premiers ont cherché à développer la coopération militaire avec la Russie, alors que les seconds souhaitent l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan.
L’élection présidentielle de 2004 fut la première où s’affrontèrent ouvertement des candidats soutenus par des puissances étrangères. À titre d’exemple, l’administration Bush a versé 65 millions de dollars à la campagne du candidat pro-occidental.
Aucun candidat n’ayant obtenu la majorité des voix exprimées, on organisa un second tour.
Alors que le candidat pro-occidental avait probablement remporté l’élection, ce fut son adversaire pro-russe qui fut officiellement déclaré vainqueur.
Cela provoqua de grandes manifestations à travers le pays — regroupées sous l’appellation de ‘révolution orange’ — à l’issue desquelles on organisa un 2e ‘second tour’.
Cette fois, c’est le candidat pro-occidental qui fut déclaré victorieux.
Entre deux révoltes
Depuis l’indépendance, la situation économique de l’Ukraine s’est considérablement dégradée.
La Grande récession étant survenue au cours de la présidence de ce candidat pro-occidental, son impopularité a pavé la voie à son successeur pro-russe, élu de justesse en 2010 par 48,95 % des votes (contre 45,47 % pour sa rivale pro-occidentale).
Au cours de son mandat, le gouvernement de l’Ukraine, économiquement au bord de la ruine, a été courtisé par la Russie et par l’Union européenne.
À l’exception de la Grande-Bretagne, valet de Washington, les pays d’Europe occidentale se sont longtemps opposés à l’adhésion de l’Ukraine au marché commun européen pour deux raisons.
Premièrement, en raison de la corruption endémique qui règne dans le pays. Une corruption qui va bien au-delà de la moyenne européenne.
Et surtout parce que l’Ukraine ne répond pas aux critères européens quant à l’indépendance de son système judiciaire. Celui-ci est indépendant de la présidence du pays, mais il ne l’est pas à l’égard du parlement.
Pour redonner un second souffle au mouvement pro-occidental, l’Union européenne a proposé à l’Ukraine un accord d’association qui, en réalité, visait à faire cheminer la législation ukrainienne et ses politiques économiques vers les standards européens.
Ce qui, à long terme, préparait la voie à son adhésion en bonne et due forme.
En 2013, au moment où l’Ukraine s’apprête signer cet accord, le pays est au bord de la faillite.
En novembre de cette année-là, il lui reste 18,79 milliards de dollars de réserves de change alors qu’elle doit bientôt rembourser sept-milliards de dollars à ses créanciers, dont la Russie (à qui elle doit dix-sept-milliards de dollars de gaz naturel impayé).
Depuis quelques mois, Vladimir Poutine offre secrètement au gouvernement ukrainien la levée des barrières tarifaires entre l’Ukraine et la Russie, une baisse du prix de son gaz naturel, de même qu’un prêt de quinze-milliards de dollars. L’offre est irrésistible.
Le premier ministre ukrainien se tourne alors vers Bruxelles pour lui demander un prêt de vingt-milliards d’euros, ce qui lui est refusé. En retour, l’Union européenne lui promet vaguement une aide financière. Bref, rien de concret.
Conséquemment, le 21 novembre 2013, le président pro-russe annonce son refus de signer l’accord d’association avec l’Union européenne.
Ce qui déclenche de violentes manifestations qui aboutissent à sa destitution et la mise en place d’un gouvernement pro-occidental.
Pour plus de détails à ce sujet, voir le texte “ Ukraine : l’histoire secrète de la révolution de Maïdan ”.
L’élection présidentielle de 2014
Alors que le pays est toujours sans président, ce gouvernement pro-occidental annonce le 23 février 2014 son intention (qui n’aura pas le temps de se réaliser) de retirer au russe son statut de langue officielle dans plusieurs régions du pays, dont la Crimée (peuplée à 65,3 % de Russophones).
Si le gouvernement canadien avait le pouvoir de retirer au français son statut de langue officielle au Québec, il provoquerait l’indépendance du Québec.
C’est ce qui est arrivé en Crimée; le parlement ‘provincial’ de Crimée a aussitôt proclamé l’indépendance de la région le 11 mars et a annoncé le rattachement de la Crimée à la Russie. Tout cela s’est fait en quelques semaines.
À l’élection présidentielle ukrainienne de cette année-là, le candidat pro-occidental a été élu par 54,7 % des voix. En réalité, il aurait obtenu bien plus de votes si l’électorat n’avait pas été morcelé entre autant de candidats pro-occidentaux.
Peuplée de deux-millions d’habitants (très majoritairement pro-russes), la Crimée indépendante n’a évidemment pas participé à ce scrutin.
Et les Russophones de l’Est du pays n’ont pas voté non plus. Non pas parce qu’ils ont boycotté l’élection, mais parce que le gouvernement de Kiev a estimé que la situation sécuritaire de la région ne permettait pas d’y ouvrir des bureaux de vote.
Même s’ils avaient pu voter, cela n’aurait pas changé grand-chose.
Cinq ans plus tard, à l’élection présidentielle de 2019, Volodymyr Zelenzky est élu avec 73,2 % des votes.
La ligne rouge
En 2008, au sommet de Bucarest, l’Ukraine avait exprimé son désir d’adhérer à l’Otan. Mais le pays y avait renoncé à la suite de l’élection d’un premier ministre pro-russe en 2010.
Toutefois, celui-ci fut renversé en 2014 par une révolte populaire.
En réaction à l’annexion russe de la Crimée, l’Ukraine a réitéré sa demande d’adhésion à l’Otan.
À plusieurs reprises, Vladimir Poutine avait pourtant menacé l’Ukraine de guerre si ce pays y adhérait.
Puisque le processus d’adhésion d’un pays prend des années, qu’est ce qui a fait qu’au printemps de 2021, Moscou ait décidé de masser ses troupes à la frontière russo-ukrainienne ?
C’est que le 24 mars 2021, Zelinsky signe un décret qui ordonne aux forces armées du pays de donner l’assaut en vue de la ‘désoccupation’ de la Crimée et du sud du pays (soit, sans le préciser, les provinces sécessionnistes de Kherson, Zaporijjia et de Donetsk).
Or depuis déjà sept ans, la population russophone de ces provinces était victime d’exactions commises par des milices néo-nazies financées secrètement par Kyiv. Les violences ethniques y avaient fait plus de quatorze-mille morts.
Puisqu’entretemps ces milices avaient été incorporées à l’armée régulière ukrainienne et que certains de ces néo-nazis s’étaient vus confier des postes de commandement, on pouvait s’attendre au pire d’un assaut éventuel de l’armée ukrainienne contre les civils russophones de l’Est du pays.
La guerre russo-ukrainienne a donc une cause profonde (la volonté ukrainienne de devenir un ennemi militaire de la Russie) et un facteur déclenchant (ce décret présidentiel).
Revenons à la cause profonde.
En tant que pays souverain, l’Ukraine est libre d’adhérer à n’importe quelle organisation internationale. Tout comme Cuba était libre d’acheter des missiles russes en 1962.
Ce qui n’a pas empêché le président Kennedy, à l’époque, d’imposer un blocus maritime à Cuba et de menacer la Russie de faire sombrer tout navire qui s’approcherait des côtes cubaines. Ce à quoi la Russie finira par renoncer.
Les États-Unis ne pouvaient pas accepter qu’on installe des missiles ennemis dans leur cour arrière. C’est pareil pour la Russie; d’autant plus que la frontière ukrainienne est à 458 km de Moscou alors que Cuba est à 1 860 km de Washington.
La manipulation américaine
De l’indépendance de l’Ukraine en 1991 à l’élection présidentielle de 2014, les États-Unis et les organisations non gouvernementales financées par Washington ont dépensé cinq-milliards de dollars en Ukraine.
Officiellement, c’était pour y promouvoir la démocratie. Dans les faits, c’était pour amener le pays à devenir un ennemi militaire de la Russie.
Géopolitique ukrainienne
De fil en aiguille, ce qui se passe en Ukraine est le résultat d’un engrenage qui a débuté il y a dix-huit ans.
Depuis la nuit des temps, le sort d’un pays faible qui est voisin d’un pays puissant, c’est d’être son vassal.
Le Canada en est un exemple.
Le territoire de notre pays recèle des richesses qui sont de nature à susciter la convoitise des États-Unis. Mais ces derniers n’ont pas besoin de les obtenir par la force puisque notre pays s’empresse de fournir pacifiquement tout ce dont ils ont besoin, dont le pétrole (dont nous sommes le principal fournisseur).
Si le Canada voulait s’opposer aux États-Unis, il subirait le sort de Cuba (que les États-Unis envahiraient comme l’Irak si ce pays représentait une menace militaire sérieuse).
Depuis 2004, les organisations non-gouvernementales américaines (financées par Washington) ont créé l’illusion en Ukraine qu’en adhérant à l’Otan, des millions de soldats américains seraient prêts à mourir pour eux si jamais la Russie osait toucher à un seul de leurs cheveux.
Après que les Ukrainiens aient mis le doigt dans un engrenage qui les amenait inévitablement à la guerre, voilà qu’on leur annonce que l’adhésion à l’Otan pourrait prendre une vingtaine d’années.
Pendant que l’aviation russe bombarde les villes assiégées, on leur dit qu’on ne peut pas fermer l’espace aérien de l’Ukraine parce que pour faire respecter cette interdiction, il faudrait abattre des avions russes. Ce qui déclencherait une troisième guerre mondiale.
Alors oui, de loin, nos gouvernements aiment bien ces pauvres Ukrainiens, mais moins qu’ils pensent.
De son côté, l’Union européenne leur annonce que malheureusement, elle exclut une adhésion rapide de leur pays au marché commun.
En envoyant des armes neuves et sophistiquées à l’Ukraine, les États-Unis veulent les faire tester dans les conditions réelles d’une guerre et affaiblir par la même occasion l’armée russe. Les États-Unis font donc une pierre deux coups sans risquer la vie de leurs soldats.
Quand la poussière de cette guerre sera retombée, les Ukrainiens réaliseront peut-être qu’on s’est bien moqué d’eux.
Conclusion
Les grands gagnants de la guerre russo-ukrainienne seront les marchands de canons.
Et ce seront aussi les États-Unis.
Non seulement les pays européens (dont l’Allemagne), inquiets pour leur sécurité, achètent des armes américaines, mais en rendant toxique toute relation commerciale avec la Russie, les États-Unis espèrent remplacer ce pays comme principal fournisseur de pétrole et de gaz naturel à l’Europe.
S’ils devaient réussir, cela donnerait aux entreprises américaines un avantage concurrentiel puisque les hydrocarbures américains seront toujours moins chers lorsqu’achetés aux États-Unis plutôt qu’une fois transportés en Europe, à des milliers de kilomètres.
En d’autres mots, la campagne américaine (et canadienne) pour inciter les Européens à s’affranchir des hydrocarbures russes vise à assujettir davantage l’Europe à la puissance hégémonique des États-Unis.
Une autre leçon de l’Histoire ne concerne pas le cas des petits dans l’ombre d’un grand, mais concerne les relations entre les grandes puissances.
Entre deux pays puissants rivaux, cette rivalité les conduit inéluctablement à la guerre.
Pendant des siècles, les empires européens se sont fait la guerre en dépit des mariages dynastiques qui avaient précisément pour but de les empêcher.
C’est seulement à l’issue de la Deuxième Guerre mondiale que la France et l’Allemagne ont découvert le moyen efficace de prévenir leurs conflits; par l’intégration économique.
À l’opposé, en coupant les relations économiques avec la Russie, on prépare à long terme une guerre avec elle.
Références :
Accord d’association entre l’Ukraine et l’Union européenne
Annexion de la Crimée par la Russie en 2014
Euromaïdan
L’Allemagne proche d’officialiser l’achat des avions de combat F-35 américains
La Russie investira 15 milliards $ en Ukraine
Les échanges commerciaux entre la Russie et l’Europe repartent à la hausse
Les malheurs de l’Ukraine
L’Ukraine montre «chaque jour» être prête à rejoindre l’Otan, estime Zelensky
L’Union européenne exclut une adhésion rapide de l’Ukraine
Petro Porochenko
Référendum de 2014 en Crimée
Relations entre l’Ukraine et l’Union européenne
Résumé de géopolitique mondiale (1re partie)
Révolution orange
Révolution ukrainienne de 2014
Ukraine
Ukraine crisis is about Great Power oil, gas pipeline rivalry
Ukraine : pourquoi la Russie souhaite la fin de l’expansion de l’Otan en Europe de l’Est
Une caution d’environ 42 millions réclamée pour l’ex-président ukrainien Porochenko
U.S.-Ukraine Charter on Strategic Partnership
Parus depuis :
Ottawa ne veut pas dire s’il a gelé des actifs russes au Canada (2022-03-17)
Les pertes militaires ukrainiennes, un secret très bien gardé (2022-03-31)
What The West (Still) Gets Wrong About Putin (2022-06-01)
Ukraine restricts Russian books and music in latest step of ‘derussification’ (2022-06-20)
Ukraine Is the Latest Neocon Disaster (2022-06-28)
German battle tanks for Ukraine ‘won’t be ready until 2024’ (2023-01-15)
The “snipers’ massacre” on the Maidan in Ukraine (2023-10-16)
Ukrainian trial demonstrates 2014 Maidan massacre was false flag (2023-12-11)
Révolution de Maïdan – vidéo, de 28:26 à 44:05 (2024-02-08)
Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés à la guerre russo-ukrainienne, veuillez cliquer sur ceci.
Il y a un autre point à considérer et c’est le régime existant en Russie. Si la démocratie était établie dans ce pays, l’Ukraine et l’Europe n’auraient pas les mêmes craintes. La dictature ne plait pas à personne et le comportement de Poutine vis-à-vis sa population n’attire personne.
Merci M. Gagné pour cette excellente observation.
La Grande-Bretagne est une monarchie constitutionnelle qui s’est créé un immense empire colonial à coups de canons et de massacres.
La Belgique est une autre monarchie constitutionnelle dont le roi s’est livré à des atrocités dans ce qui était le Congo belge.
Hitler a pris le pouvoir en Allemagne démocratiquement.
Israël est un pays démocratique (si on est juif). Ce qui ne l’empêche pas de livrer une guerre coloniale en Palestine depuis des décennies et d’y tuer, entre autres, des civils. Rappelez-vous des massacres de Sabra et de Chatila…
Bref, la démocratie parlementaire n’est pas un rempart contre la volonté de puissance hégémonique. À titre d’exemple, les États-Unis sont une démocratie ‘blanche’, ce qui ne les empêchent pas d’être le pays le plus belliqueux au monde, selon l’ex-president Jimmy Carter.
Depuis l’effondrement de l’Union Soviétique, les Etats-Unis ont mené deux guerres contre l’Irak, une en Serbie et une autre en Afghanistan. Ils ont recouru à la force en Somalie et en Bosnie. Ils ont renversé le régime en Libye et au Panama, tenté de faire de même en Syrie et au Nicaragua, et ont réussit par l’argent au Brésil et en Ukraine. Tout en réussissant, dans les années 1960-1970, à couvrir l’Amérique latine de dictateurs d’extrême-droite au prix, parfois, de renverser des présidents démocratiquement élus.
Une des grandes différences entre les États-Unis et la Russie, c’est que les premiers font la guerre et imposent des changements de régime partout sur le globe alors que la Russie n’a plus les moyens que de le faire à ses frontières.
Présentement, nous mettons tous nos œufs dans la panier de la puissance américaine. Nous sommes convaincus qu’elle travaille au bien de l’humanité.
Mais imaginons que ce pays tombe entre les mains d’un tyran élu à la suite d’un scrutin frauduleux…
S’agit-il là d’une perspective totalement farfelue ?
Super!
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