L’effet domino – 1re partie
De 1966 à 1996, la France a mené dans le Pacifique — plus précisément en Polynésie française — une série de 193 essais nucléaires, dont 46 aériens.
En raison de la poussière radioactive dispersée par les vents, ces essais ont suscité des tollés dans tous les pays environnants.
En 1985, un commando secret français fait exploser le bateau Rainbow Warrior de Greenpeace, amarré dans le port d’Auckland, la capitale néozélandaise. L’explosion fit un mort.
Ce grave incident a poussé la Nouvelle-Zélande à adopter en 1987 le New Zealand Nuclear Free Zone, Disarmament, and Arms Control Act.
Parmi les conséquences de la dénucléarisation complète de ce pays, il devenait interdit à tout navire à propulsion nucléaire d’accoster dans un port néozélandais.
Depuis des années, l’Australie — pays voisin de la Nouvelle-Zélande — possède une flotte de six sous-marins à propulsion diésel de conception suédoise. Ces sous-marins arriveront en fin de vie en 2032.
Remplacer une flotte prend du temps.
C’est à la suite d’une longue réflexion que l’Australie avait lancé un appel d’offres international en vue de remplacer ses six sous-marins actuels par douze sous-marins plus modernes.
Pour parer à l’éventualité où un sous-marin australien en difficulté voudrait accoster en Nouvelle-Zélande, l’appel d’offres australien exigeait que les nouveaux sous-marins soient à propulsion diésel.
Normalement, un chantier maritime possède une foule de fournisseurs soumis à ses spécifications.
Mais l’Australie avait fait le choix d’accorder séparément des contrats pour les sous-marins et pour certains de leurs composants essentiels; les sonars, les mâts optroniques (qui remplacent de nos jours les périscopes) et l’armement.
Ce qui signifie que le fabricant du sous-marin ‘dépouillé’ — la coque, de même que son système de navigation et de propulsion — devait modifier ses spécifications pour tenir compte de la taille des composants achetés en vertu de contrats séparés.
Au départ, c’était un consortium japonais (Mitsubishi et Kawasaki) qui était donné favori dans la course. Mais pour tenter d’obtenir le contrat australien, la France a accepté deux choses.
Premièrement, de modifier son modèle de sous-marin Barracuda, haut de gamme, en remplaçant son alimentation nucléaire par une alimentation diésel.
Et deuxièmement, en faisant en sorte que la partie française du contrat ait non seulement des retombées économiques australiennes, mais soit également l’occasion d’un transfert technologique au profit de l’Australie.
C’est en raison de ces compromis que la France a obtenu le contrat, à la surprise de tous.
Un contrat critiqué
C’est le gouvernement de Malcom Turnbull (2015-2018) qui conclut le contrat avec la France en 2016.
Au sein même du gouvernement, Scott Morrison, à titre de ministre des Finances, était fermement opposé à ce contrat. À juste titre, il estimait que les sous-marins à propulsion nucléaire permettaient une plus grande autonomie de ravitaillement (15 ans) et étaient plus difficiles à repérer.
À la suite d’intrigues au sein du Parti libéral d’Australie, Malcom Turnbull démissionna en 2018 et fut remplacé par Scott Morrison. Ce dernier poursuivit le mandat obtenu par son prédécesseur.
Toutefois, il déclencha des élections anticipées en 2019 à l’issue desquelles une coalition formée par le Parti libéral et le Parti national d’Australie dirigea le pays sous l’autorité de Scott Morrison.
Le 15 septembre 2021, au cours d’une allocution conjointe avec Joe Biden et Boris Johnson, Scott Morrison annonça la rupture unilatérale du contrat accordé à la France en 2016 et la conclusion d’une entente de gré à gré, négociée secrètement entre son pays, les États-Unis et la Grande-Bretagne.
L’effet domino – 2e partie
• Crise diplomatique
À la suite de la rupture de ce contrat, la France a rappelé son ambassadeur à Washington. Il s’agit d’un geste diplomatique habituellement réservé dans les cas où un pays veut exprimer sa contrariété envers un pays ennemi. C’est le premier rappel d’ambassadeur français aux États-Unis depuis son indépendance.
Cette décision a été prise par le président de la République française.
• Le retour du gaullisme
Par ‘gaullisme’, on entend ici la défense de l’indépendance de la France, le refus de sa vassalisation à des organismes supranationaux, à des superpuissances, ou aux puissances économiques ou financières.
Jusqu’à maintenant, les dirigeants politiques français croyaient leur pays partenaire des États-Unis. Mais ils le voient maintenant traité comme un vassal.
Du coup, ces jours-ci, le gaullisme a le vent dans les voiles dans le discours politique français.
À droite comme à gauche, on réclame le retrait de la France de l’Otan. Comme le général de Gaulle l’a fait en 1966.
• Un projet de libre-échange en péril
Depuis 2016, l’Australie caressait le projet d’un traité de libre-échange avec l’Union européenne sur le modèle de celui conclut avec le Canada.
Non seulement l’Australie est-elle maintenant assurée du véto français, mais qui voudra conclure un traité avec un pays qui ne respecte pas sa parole ?
Évidemment, l’Australie n’est pas le premier pays à agir ainsi. Le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat, c’est un peu la même chose. Mais les voltefaces américaines, on doit faire avec alors qu’on peut très bien se passer de celles de l’Australie.
À l’opposé, depuis le sommet de Glasgow, le droit international autorise l’imposition des tarifs aux pays qui tardent à réduire leur production de gaz à effet de serre. L’Australie est l’un d’eux…
Le mythe du bouclier américain
L’achat de sous-marins se justifie par la nécessité de défendre la souveraineté maritime d’un pays.
Je vous avoue candidement que je ne vois pas en quoi l’Australie pourrait se sentir menacée par la marine chinoise. En effet, le territoire chinois et celui de l’Australie sont distants de plus de 4 000 km, soit à peu près la distance entre le Canada et le Maroc.
Le premier ministre d’Australie justifie l’achat de ses sous-marins par la nécessité selon lui de faire respecter le droit international dans les espaces maritimes revendiqués par Beijing.
Donc l’Australie se voit comme un policier investi de la mission de faire respecter le droit international.
En dollars américains, en 2019, les produits intérieurs bruts de la Chine et de l’Australie étaient respectivement de 14,3 mille milliards et de 1,4 mille milliards. En somme, la Chine est dix fois plus puissante que l’Australie.
Les prétentions australiennes sont la version moderne de la fable ‘La Grenouille qui veut se faire aussi grosse que le bœuf’.
Forte de la protection présumée des États-Unis, l’Australie peut bien bomber le torse.
Elle semble oublier qu’au cours des deux premières années de la Deuxième Guerre mondiale, l’Europe occidentale a dû faire face seule aux armées allemandes. Il a fallu attendre l’attaque de Pearl Harbor en 1941 pour que les États-Unis se réveillent.
Si la Chine devait couler un sous-marin australien qui la provoque en mer de Chine orientale, entre les appels australiens à la vengeance et les craintes du grand patron de Home Depot de manquer de marteaux et de scies électriques faits en Chine, le choix est simple aux yeux de n’importe quel sénateur américain.
Si un tel incident devait survenir, tout ce que l’Australie obtiendra c’est un vote unanime du Congrès américain blâmant la Chine et un rabais spécial sur l’achat d’un 13e sous-marin pour remplacer celui détruit…
Références :
Accord économique et commercial global
Affaire du Rainbow Warrior
Classe Collins
Crise des sous-marins australiens
Essais nucléaires français
Face aux critiques de la Chine, l’Australie dit défendre le droit international
Gaullisme
Sous-marins australiens: le contrat du siècle, vraiment?
Nouvelle-Zélande : l’affaire du Rainbow Warrior, un symbole de lutte contre le nucléaire
Paris has a long memory – Scott Morrison’s cavalier treatment of France will hurt Australia
Sous-marins australiens : un risque de prolifération nucléaire dans le monde ?
Paru depuis : US senators urge Joe Biden not to sell ‘scarce’ nuclear submarines to Australia (2023-01-06)