La nouvelle guerre froide

Publié le 22 mars 2021 | Temps de lecture : 8 minutes

Introduction

Cette semaine, le nouveau président américain a qualifié son homologue russe d’assassin. Pendant ce temps, le secrétaire américain à la Défense sonnait l’alarme au sujet de l’érosion de la suprématie militaire américaine face à la Chine.

Le miroir aux insultes

En réalité, dans tous les états totalitaires, les opposants politiques s’expriment au risque de leur vie.

Parlez-en à la veuve du journaliste saoudien Jamal Khashoggi, dépecé à la tronçonneuse par des sbires de MBS (Mister Bone Saw). Sans parler de toutes les personnes disparues à l’époque où Washington couvrait l’Amérique latine de dictateurs à sa solde.

Washington aura beau dire qu’en assassinant le général iranien Qassem Soleimani, il a sauvé la vie de tous les civils qu’il s’apprêtait à tuer, le fait demeure que depuis un quart de siècle, les généraux américains ont tué considérablement plus de civils que leurs collègues iraniens en guerroyant en Afghanistan, en Irak, en Libye et en Syrie.

Une suprématie menacée

À l’heure actuelle, l’arsenal militaire américain possède vingt fois plus d’ogives nucléaires que la Chine.

Le tonnage de sa marine de guerre est le double de celui de la Chine, sans tenir compte de la sophistication écrasante de la technologie qui équipe ses navires.

On compte deux-mille chasseurs-bombardiers américains versus 600 chinois.

Et la puissance américaine se déploie dans 800 bases militaires à travers le monde alors que la Chine n’en possède que trois.

Le budget militaire chinois correspond à 1,5 % de son produit intérieur brut, soit moins que la norme au sein des pays de l’OTAN.

De son côté, le budget américain à la Défense équivaut à celui combiné des dix autres pays les plus dépensiers à ce sujet, dont six alliés de Washington; la Chine, l’Inde, la Russie, l’Arabie saoudite (alliée), la France (alliée), l’Allemagne (alliée), le Royaume-Uni (allié), le Japon (allié), la Corée du Sud (alliée), et le Brésil.

Depuis plus de mille ans, le pays dominant l’est en raison de sa puissance économique.

Au cours de son histoire, la Chine a perdu toutes les guerres qui l’opposaient à ses voisins. Ce qui ne l’a pas empêché d’être, pendant des siècles, le pays le plus riche au monde.

En 1820, au sommet de sa puissance économique, le produit intérieur brut de la Chine représentait 32,9 % de l’économie mondiale. Par comparaison, de nos jours, les États-Unis en représentent un peu moins de 20 %.

La Chine commerçait avec tous les marchands prêts à donner de l’or pour se procurer des biens de luxe chinois; de la porcelaine, de la soie et des épices, entre autres.

À l’autre bout du monde, la montée en puissance de l’Angleterre débute au XVIIIe siècle avec l’invention de la machine à vapeur. Celle-ci était alimentée par une ressource naturelle très abondante dans ce pays; le charbon.

Grâce à la tisseuse mécanique, on pouvait produire du textile moins cher que partout ailleurs. Conséquemment, les filatures anglaises firent la conquête du monde.

Contrairement à la Chine qui produisait ses biens de luxe à partir de ses propres ressources naturelles — le ver à soie, le kaolin pour la porcelaine, etc.— et qui vendait ses biens aux caravaniers et aux navires qui venait s’approvisionner chez elle, l’Angleterre ne produisant pas de coton.

La marine marchande anglaise se développa pour importer des matières premières et exporter des produits finis. Et pour protéger ses sources d’approvisionnement et ses marchés d’exportation, l’Angleterre consacra une partie de sa richesse à bâtir des navires de guerre.

Avec la découverte du pétrole et l’invention du moteur à explosion, le centre de gravité de l’âge thermo-industriel bascule aux États-Unis où l’invention de la chaine de montage automobile permet aux États-Unis de faire la conquête du monde.

Par la suite, la suprématie militaire américaine sera la conséquence de la montée en puissance de son économie (et non l’inverse).

Alors que la Chine n’a jamais tenté d’imposer son modèle étatique (sauf à l’époque maoïste), la manie des peuples anglo-saxons d’imposer leurs valeurs morales aux autres les prédisposait à être manipulés par leur complexe militaro-industriel.

Au nom de la défense de la démocratie parlementaire, les États-Unis ont renversé les régimes autoritaires qui ne leur convenaient pas sans jamais réussir à pacifier les pays qu’ils ont longuement occupé militairement.

Malheureusement pour eux (et nous qui en dépendons), les Américains ont ainsi gaspillé des sommes colossales à faire la guerre, de même qu’à imposer au monde les lois écrites par le grand capital international que ce dernier fait adopter ensuite par le Congrès américain.

Une des différences fondamentales entre la Chine et les États-Unis, c’est que la Chine est autoritaire à l’égard de son propre peuple alors que les États-Unis le sont hors de leurs frontières.

Après avoir longtemps piraté la technologie occidentale, la Chine est maintenant devenue une puissance technologique à part entière.

Or, comme nous venons de le voir, la suprématie technologique — et non la puissance militaire — est l’assise de la suprématie mondiale depuis le début de l’âge thermo-industriel.

En 2015, le nombre de brevets chinois était supérieur au nombre de brevets américains, japonais, coréens et européens réunis.

En 2017, les établissements américains d’enseignement supérieur (lycées, universités, écoles spécialisées) ont décerné 3,9 millions de diplômes (dont plus d’un demi-million à des étudiants étrangers).

En 2012, les universités chinoises décernaient 6,2 millions de diplômes, sans compter les 800 000 étudiants chinois diplômés à l’Étranger.

Rien n’illustre mieux le retard technologique des États-Unis que cette contamination de milliers d’ordinateurs gouvernementaux par des virus (probablement russes), une contamination qui s’est propagée pendant des mois sans éveiller des soupçons à Washington.

L’indignation bruyante des Américains ne trompe personne; leur pays n’est plus le symbole de l’excellence.

D’autre part, depuis 1979, les États-Unis ont dépensé 3 000 milliards de dollars en dépenses militaires.

À elle seule, la mise au point du chasseur-bombardier F-35 aura couté 1 700 milliards de dollars au Trésor américain. Ce qui correspond approximativement au cout estimé de la construction (encore embryonnaire) de la nouvelle Route de la soie, ce réseau routier ultramoderne destiné à apporter à la Chine les matières premières dont elle a besoin et à exporter les biens qu’elle fabrique.

La Chine a construit près de 30 000 km de chemins de fer pour ses trains à grande vitesse, mis sur pied le plus vaste réseau de tours de transmission de téléphonie 5G, construit des ponts, des routes, modernisé ses infrastructures et construit des millions de tours résidentielles (dont beaucoup sont encore inoccupées).

Sa gestion draconienne de la pandémie au Covid-19 a non seulement épargné des millions de vies chinoises, mais lui a permis une croissance économique en 2020 alors que l’économie américaine souffrait des politiques sanitaires plus libérales décidées par une classe politique plus intéressée à se quereller au sujet du port du masque qu’à sauver des vies humaines.

En somme, les États-Unis et le Canada peuvent bien se lancer dans une guerre de mots contre la Chine et dresser un rideau de fer technologique contre elle, cela ne l’empêchera pas de nous vendre les produits électroniques qu’elle fabrique (dont nous ne pouvons plus nous passer) et de prélever ses ‘honoraires’ sur tous les produits fait ailleurs, mais dont la fabrication nécessite le recours à des métaux stratégiques dont elle détient le monopole extractif.

Oui, la Chine est une menace à la suprématie américaine. Mais cette suprématie n’est pas celle qu’on pense.

Références :
At war with the truth
Chine ou États-Unis, lequel est plus dangereux ?
Les conséquences géostratégiques du basculement vers les énergies vertes
Jamal Khashoggi
La Chine championne du monde des dépôts de brevet
La Chine, dragon de l’innovation
L’affaire Huawei : dure pour le Canada, la vie de caniche américain
Qassem Soleimani
The Pentagon’s Bottomless Money Pit
The Pentagon is using China as an excuse for huge new budgets

Parus depuis :
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Écrit par Jean-Pierre Martel