En mars 2008, alors qu’il était ministre du gouvernement Charest, Philippe Couillard a prononcé un exposé d’une vingtaine de minutes dans les bureaux montréalais de SNC-Lavalin.
Son auditoire ? Une seule personne : Saadi Kadhafi. C’était le troisième fils du dictateur libyen. Déjà important financier du terrorisme international, le père Kadhafi commanditera l’attentat de Lockerbie (qui fera 270 morts en Grande-Bretagne) à la fin de cette année-là.
Bref, des gens très respectables.
Cet exposé s’inscrivait dans le cadre d’une série de cours privés organisée spécialement pour lui par la firme d’ingénierie.
Mais pourquoi donc un ministre auquel vous et moi n’avons pas accès en dépit du fait que nous le payons plus de 150 000$ par année, accepte-t-il de donner gratuitement un cours à un fils de dictateur ?
Pour comprendre cette sollicitude, il faut savoir que sous le gouvernement de Jean Charest, il existait une relation incestueuse entre le gouvernement libéral et les firmes d’ingénierie.
Celles-ci étaient les seules entreprises exemptées des règles concernant le démarchage auprès de l’appareil de l’État. En d’autres mots, elles avaient un accès illimité et non documenté aux antichambres ministérielles.
À cette époque, chaque ministre devait rapporter 100 000$ par année à la caisse du Parti libéral du Québec.
Or, dans bien des cas, les activités de financement étaient livrées ‘clé en main’ par des firmes d’ingénierie.
Ces dernières trouvaient les locaux, embauchaient les traiteurs pour les hors-d’œuvre et les boissons, s’occupaient des invitations et assuraient aux participants l’accès privilégié au ministre.
À l’issue de la soirée, la firme d’ingénierie donnait à l’attaché politique du ministre une enveloppe brune contenant la liste des employés des compagnies présentes, employés qui auraient versé la somme maximale permise par la loi à la caisse du Parti libéral. Le tout accompagné d’une pile de chèques ou d’une liasse de billets de banque.
En somme, si les ministres parvenaient à atteindre l’objectif de financement exigé d’eux, c’était souvent grâce aux firmes d’ingénierie.
Évidemment, quand l’une d’entre elles vous demandait un petit service, on ne disait pas non.
En mars 2008, Philippe Couillard avait secrètement décidé de quitter la politique. Cette décision ne sera connue qu’au moment officiel de sa démission, sept mois plus tard.
Ceux qui quittent la politique trouvent facilement du travail lorsqu’ils sont avocats. Mais pour d’autres, le retour au privé est plus difficile.
Les firmes d’ingénierie ont l’habitude de permettre à certains d’entre eux de traverser plus facilement le désert qui suit généralement leur changement de carrière.
Au minimum, on les nomme au Conseil d’administration d’une compagnie du groupe. Évidemment, les jetons de présence qu’ils reçoivent alors ne suffisent pas à maintenir le niveau de vie qu’ils avaient comme ministres, mais c’est mieux que rien.
Les ex-ministres capables d’exercer une influence sur le gouvernement sont traités aux petits ognons; il n’est pas rare qu’on les embauche à titre de vice-président quelque part dans la hiérarchie de la compagnie afin que cette influence serve l’entreprise.
Dans le cas de Philippe Couillard, on sait qu’à sa sortie du gouvernement, plus précisément de 2009 à 2011, il est devenu conseiller du prince titulaire du poste de ministère de la Santé en Arabie saoudite
Or la dictature de ce pays est un des principaux clients de SNC-Lavalin.
Est-ce que la firme d’ingénierie a joué un rôle dans cette nomination ? On l’ignore, mais il est probable qu’elle n’y ait pas été étrangère.
Bref, ces vingt petites minutes de bénévolat pour SNC-Lavalin ont probablement été le meilleur investissement à vie de Philippe Couillard.
Toute cette histoire nous ramène à l’époque où les plus grands serviteurs de l’État étaient assujettis à de vulgaires collecteurs de fonds et servaient de paravents au pillage du Trésor public par des intérêts privés.
Et parmi cette pourriture morale qui gangrenait l’État québécois, voilà qu’un des plus importants ministres du gouvernement libéral en était rendu à être le tuteur privé du fils d’un dictateur.
Triste époque…
Références :
Philippe Couillard
Couillard doit s’expliquer sur ses liens avec l’Arabie saoudite, dit Khadir
Philippe Couillard, professeur privé de Saadi Kadhafi
Vol 103 Pan Am