RONA : l’audace des traitres

Publié le 3 novembre 2019 | Temps de lecture : 7 minutes

L’histoire d’une trahison

Après avoir échoué à acheter RONA en 2012, la compagnie Lowe’s était revenue à la charge avec une offre à peu près identique en 2016, offre qui fut acceptée.

La différence, c’était que le dollar canadien valait 1,05$US en 2012 et 0,75$US en 2016. De plus, RONA avait procédé à un rachat de ses actions. Donc Lowe’s en avait moins à acheter.

Conséquemment, même si le prix offert par action passait de 14,50$ à 24$, le montant total (en argent américain) était à peu près le même.

La valeur boursière (c’est-à-dire spéculative) de l’entreprise avait baissé, ce qui rendait la même offre plus intéressante pour les actionnaires.

Mais ce qui a fait toute la différence, c’est que l’américaine graissait la patte des membres du Conseil d’administration de RONA sous forme d’indemnités de départ. Dont 4,1 millions$ pour le président de l’époque.

Or, entre 2012 et 2016, le Conseil d’administration de RONA était devenu composé majoritairement d’Ontariens pour qui la défense d’un fleuron de l’économie québécoise ne voulait rien dire.

L’achat avait été facilité par le gouvernement Couillard qui avait permis (ou ordonné ?) qu’Investissement-Québec se départisse de sa minorité de blocage.

La ministre libérale de l’économie de l’époque, Dominique Anglade déclarait :

« Ce qui est important pour nous c’est que les emplois soient maintenus au Québec, que les fournisseurs québécois puissent profiter de cette transaction pour exporter et profiter des marchés étrangers et que le siège social soit maintenu au Québec. (…)
Mon rôle sera de m’assoir avec le PDG de l’organisation dans les prochaines semaines et de m’assurer que tout ce qui est présenté sur papier sera respecté.»

Ce que le gouvernement Couillard négligeait de dire, c’est que les fleurons font partie du patrimoine économique d’un pays.

De la même manière que les États interdissent l’exportation d’œuvres d’Art qui représentent la quintessence du génie national, tout politicien qui reste les bras croisés face à l’acquisition étrangère de fleurons économiques fait acte de trahison puisqu’il remet le contrôle d’un secteur de son économie à l’hégémonie d’intérêts étrangers.

Les victimes collatérales

À l’époque de la vente de RONA, Pierre-Karl Péladeau (du PQ) et François Legault (de la CAQ) prévoyaient que Lowe’s ne tiendrait pas ses promesses et que peu à peu, de plus en plus de produits américains se retrouveraient sur les tablettes des anciens magasins RONA.

Depuis, le siège social canadien est demeuré à Boucherville. Mais les véritables décisions se prennent maintenant en Caroline du Nord. D’où l’annonce récente de la suppression d’une soixantaine d’emplois à Boucherville.

Invité à réagir à ces mises à pied, le premier ministre François Legault a déclaré 

« Je ne veux pas commencer à lancer des séries de boycottages, […] mais moi j’essaie d’acheter québécois, dans des magasins québécois.»

En somme, plutôt que de dire que ces licenciements découlent de l’absence de stratégie industrielle des gouvernements Charest et Couillard, le premier ministre souligne qu’il préfère favoriser l’émergence de nouveaux géants de la distribution de matériaux de construction qui soient strictement québécois.

Voilà ce qui est une politique intelligente.

Mais l’opposition libérale ne l’entend pas ainsi. Elle accuse le premier ministre de nuire à l’économie du Québec en soulignant que les marchands affiliés à Lowe’s sont des Québécois et que de nombreux produits offerts dans leurs magasins sont produits au Québec.

Depuis Donald Trump, il est évident que même les alliés militaires des États-Unis sont considérés comme des ennemis dont il faut saper l’économie.

Or dans toute guerre commerciale, il y a des victimes collatérales. Les marchands Lowe’s et Home Depot situés au Québec sont du nombre.

Les réseaux de distribution des matériaux de construction sont des vases communicants. Quand les consommateurs délaissent une chaine au profit d’une autre, la première doit licencier du personnel parce que ses ventes baissent alors que la seconde fait le contraire parce que ses ventes augmentent.

En invitant les Québécois à délaisser les chaines américaines au profit des réseaux québécois de distribution — Canac ou Patrick Morin, par exemple — François Legault défend les intérêts québécois, trahis par ses prédécesseurs libéraux.

Les vertus du nationalisme économique dans ce cas-ci

Lowe’s et Home Depot sont deux grandes multinationales qui délocalisent leurs profits dans des paradis fiscaux.

Leurs centres de décision sont situés à l’étranger : cette distance représente un handicap pour des producteurs québécois qui veulent leur offrir leurs produits et qui, en plus, doivent le faire en anglais.

Ce n’est pas le cas des chaines vraiment québécoises.

Les sites web de ces dernières ont été conçus au Québec, ce qui favorise l’expertise d’ici dans ce domaine.

Et lorsque ces distributeurs québécois ont du succès, leurs patrons, devenus immensément riches, exercent leur mécénat au Québec.

Voilà pourquoi le nationalisme économique est sain; ne dit-on pas que charité bien ordonnée commence par soi-même…

Conclusion

Depuis plus d’une semaine, il ne se passe pas une période de questions à l’Assemblée nationale sans que l’opposition libérale tente de placer le premier ministre dans l’embarras pour avoir exprimé son nationalisme économique.

Dans leur lutte aveugle contre le nationalisme québécois sous toutes ses formes, le Parti libéral du Québec n’a de cesse que de trahir les intérêts du Québec.

Au contraire, c’est par le nationalisme économique et par la bienveillance des politiques préférentielles de l’État que nous reconstruirons, au fil des décennies, ce qu’a détruit ce parti hypocrite.

Dans ce processus de reconquête économique, il sera donc normal que les franchisés québécois de chaines américaines périclitent au profit de franchisés québécois de chaines québécoises.

Références :
Des fournisseurs québécois touchés par la vente à Lowe’s
Jacques Daoust contre la vente de RONA: Couillard dit ne pas avoir été impliqué
La vente de Rona : une bonne affaire pour le Québec?
Le derrière miraculeux de la ministre
Legault et Fitzgibbon veulent encourager les quincailleries d’ici
Les dessous de la vente de RONA: l’ex-PDG ne voulait rien savoir des offres de Lowe’s
Pourquoi Lowe’s ferme-t-il des magasins Rona?
Québec n’empêchera pas l’achat de Rona
Vente de Rona: plus de 40 millions pour les patrons

Paru depuis :
Les grands défis de la quincaillerie (2019-11-23)

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Écrit par Jean-Pierre Martel