Laïcité : Trudeau radote

Publié le 27 octobre 2019 | Temps de lecture : 6 minutes

Introduction

Interrogé quant à la possibilité pour le gouvernement fédéral de contester la loi québécoise au sujet de la laïcité, Justin Trudeau a répondu : « J’ai été très clair à ce point-là pendant la campagne. À maintes reprises. Je ne peux pas fermer la porte à défendre les droits fondamentaux

Il s’adonne que les électeurs aussi ont été très clairs; plus de Canadiens ont voté pour les Conservateurs que pour lui.

Il est regrettable que le chef de l’État canadien s’entête à diviser le pays, notamment en soutenant que la loi québécoise sur la laïcité viole des droits fondamentaux.

En réalité, cette loi — que je trouve excessive — viole des caprices constitutionnels et non des droits fondamentaux.

Un excès ‘anodin’

À mon avis, le port de signes religieux (ostentatoires ou non) ne devrait être interdit qu’aux détenteurs des pouvoirs répressifs de l’État, soit les soldats, les policiers, les juges et les gardiens de prison.

Mais le gouvernement Legault en a décidé autrement. Il a étendu cet interdit à un grand nombre de personnes, dont les professeurs, les infirmiers et les employés de garderies publiques.

J’ai très peu critiqué cette loi pour une simple et bonne raison; elle favorise la cohésion sociale en soulageant les peurs identitaires des Québécois. Est-ce une raison suffisante ? Jugeons-en par ses effets.

L’impression qu’on accepte trop de néoQuébécois membres de minorités visibles a chuté de 44,8 % à 30,4 % de 2015 à 2019.

De plus, les inquiétudes face à l’intégrisme chrétien (qui menace le droit à l’avortement) ont presque complètement remplacé les inquiétudes face à l’intégrisme musulman. Il y a un un à peine, ces dernières frisaient l’hystérie collective.

Au-delà des contestations juridiques (financées de l’extérieur), il m’apparait évident qu’une loi (même excessive) au sujet de la laïcité est préférable à l’immobilisme du Parti libéral du Québec (qui a laissé pourrir le débat à ce sujet pendant une décennie).

Les caprices constitutionnels canadiens

Lorsqu’une constitution est bien écrite, les droits constitutionnels sont synonymes de droits fondamentaux.

Ce n’est pas le cas au Canada.

Au début des années 1980, l’unique motivation pour le Canada d’entreprendre de se doter d’une nouvelle constitution a été la volonté de contrer la Loi 101 du Québec.

Adoptée quelques années plus tôt, la Loi 101 était une loi révolutionnaire qui consacrait la suprématie des droits collectifs nécessaires pour arrêter ici la progression démographique de la langue anglaise.

En somme, la motivation d’Ottawa d’adopter une nouvelle constitution était de pouvoir poursuivre la colonisation du Québec.

En sacralisant les droits individuels, les rédacteurs de la Canadian Constitution n’ont pas prévu la montée de l’intégrisme religieux financé par la dictature saoudienne.

Si bien que de simples croyances religieuses sont devenues au Canada des droits constitutionnels; par exemple, le port du niqab et de la burka a été promu au rang de droit constitutionnel, au même titre que le droit à la vie.

Lorsque Justin Trudeau prétend défendre des droits fondamentaux, en réalité il défend des caprices d’une constitution généralement bonne, mais dysfonctionnelle sous certains aspects.

Malheureusement, la seule manière fiable de se soustraire aux défauts de cette constitution est l’invocation de la clause dérogatoire. Un recours d’autant plus facile pour nous que ce n’est pas notre constitution, mais leur constitution.

Les interdits de la loi québécoise sur la laïcité sont ceux qu’on trouve déjà dans des lois adoptées par de nombreuses démocraties européennes. Des interdits déjà validés par leurs plus hautes instances juridiques.

Bref, la loi québécoise est parfaitement compatible avec les droits de la personne.

Trudeau a donc tort de suggérer que le Québec viole les droits fondamentaux de ses citoyens.

Pourquoi Trudeau agit-il ainsi ?

Un des problèmes fondamentaux du Canada, c’est que juridiquement, il est basé sur une constitution illégitime.

Cette constitution a été adoptée en 1982 à l’issue d’une séance ultime de négociations à laquelle le Québec n’avait pas été invité : cette réunion s’était tenue en pleine nuit, à son insu.

En adoptant cette constitution sans nous, l’ethnie dominante du pays a relégué le Québec au rang d’une colonie à qui la métropole impose unilatéralement sa loi.

Et pour masquer le fait que cette constitution est entachée d’illégitimité en raison des circonstances de son adoption, les stratèges d’Ottawa aiment dépeindre les Québécois comme des êtres primitifs qu’il faut dompter en les soumettant à cette camisole de force constitutionnelle.

Au fond, c’est une actualisation du discours de Lord Durham qui, au XIXe siècle, nous décrivait comme des êtres arriérés qui avaient besoin des lumières civilisatrices de la race britannique.

Il faut avouer qu’à Ottawa, on ne manque pas d’arguments; l’attentat terroriste à la mosquée de Québec est l’un d’eux.

Mais c’est l’arbre qui cache la forêt.

Lorsqu’on mesure la xénophobie au Canada, les résultats sont étonnants.

Depuis 1993, la firme Ekos Research Associates effectue des sondages au Canada. Voici les réponses à l’une de ses questions.


Indépendamment du nombre d’immigrants au Canada, trouvez-vous que notre pays accueille trop, trop peu, ou la bonne quantité de membres de minorités visibles ?

Provinces Trop en 2013 Trop en 2015 Trop en 2019
Colombie-Britannique 35,4 % 38,5 % 30,9 %
Alberta 44,7 % 46,0 % 55,8 %
Saskatchewan 51,5 % 46,2 % 73,7 %
Manitoba 34,6 % 39,6 % 42,6 %
Ontario 42,1 % 41,5 % 45,6 %
Québec 25,8 % 44,8 % 30,4 %
Maritimes 38,4 % 27,0 % 21,1 %
Moyenne 37,5 % 41,2 % 39,9 %

Conclusion

Justin Trudeau aime se déguiser. Il affectionne tout particulièrement son beau costume de défenseur des minorités. Malheureusement, le premier ministre ne tient pas compte que la principale minorité du Canada, c’est le peuple francoQuébécois.

En nous représentant faussement comme des gens qui briment des droits fondamentaux, Justin Trudeau nuit à l’unité du pays et suscite une animosité à l’égard du Québec qui est indigne d’un chef d’État.

Il devrait nous porter davantage de respect.

Références :
Attitudes to Immigration and Visible Minorities
Ekos Research Associates
Identité : une question de respect
Increased Polarization on Attitudes to Immigration Reshaping the Political Landscape in Canada
L’uniforme laïque des forces de l’ordre
Tolerance Under Pressure?

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Écrit par Jean-Pierre Martel