À la suite de l’effondrement de l’Empire romain, seuls les membres du clergé savaient lire. Puis, pendant des siècles, l’alphabétisation s’est répandue lentement au sein des classes aisées, notamment parmi les marchands pour qui savoir compter était essentiel.
L’explosion de créativité que fut la Renaissance n’aurait pas été possible sans l’invention de l’imprimerie puisque celle-ci a considérablement réduit le cout de la diffusion des idées.
Mais il faudra attendre le XVIIIe siècle pour les idéaux démocratiques se répandent parmi les élites d’Europe et pavent la voie à la Révolution américaine, puis à la Révolution française.
Ces deux révolutions correspondent à l’irruption des masses dans la vie politique. Fait intéressant : toutes deux ont été précédées par une hausse importante du taux d’alphabétisation.
Si la Révolution américaine a précédé la Révolution française, c’est même en raison de l’importance que les Églises protestantes attachaient à ce que les fidèles puissent lire la Bible.
Une des grandes leçons de l’Histoire, c’est que l’instruction transmet le pouvoir de la main qui tient l’épée à celle qui tient la plume.
La création de l’instruction publique s’est donc accompagnée de la démocratisation des sociétés occidentales.
Mais à la fin du XIXe siècle, on assiste au déblocage de l’éducation secondaire et universitaire.
Depuis le Moyen-Âge, les guildes professionnelles étaient des milieux fermées, accessibles toutefois à quiconque était adopté par un tuteur membre de cette guilde. Les guildes permettaient donc une certaine ascension sociale.
Avec l’avènement des études supérieures, on a réservé l’accès à certains métiers aux détenteurs d’une formation universitaire fermée à ceux qui n’en avaient pas les moyens.
Ce faisant, on a recréé une société stratifiée en castes sociales définies par le niveau éducatif et jouissant seuls du prestige social associé à leur caste.
Dans sa jeunesse, mon père n’est pas allé plus loin qu’une huitième année du primaire parce que dans ma ville natale, l’instruction publique n’allait pas au-delà.
Avant la réforme de l’éducation (par le ministre Paul-Guérin Lajoie dans les années 1960), les ouvriers du Québec se faisaient dire qu’ils parlaient mal et que leur manque d’éducation était criant dès qu’ils ouvraient la bouche.
La réforme de l’Éducation a permis l’accès aux études supérieures à l’ensemble de la population. Mais cela ne s’est pas accompagné d’un meilleur accès aux médias traditionnels, détenus par d’importants intérêts financiers.
Seuls les lignes ouvertes des radios et le courrier des lecteurs des journaux permettaient au peuple de s’exprimer sur des sujets préalablement définis.
Ce qui a permis à la fois le contrôle de l’information et, par conséquent, celui des masses populaires.
Dans un premier temps, la création de l’internet a libéré la parole des citoyens par le biais de sites web et de blogues. Du moins pour ceux qui possédaient des rudiments de code HTML.
Puis on a inventé les médias sociaux.
Tout comme les blogues et les sites web, les médias sociaux sont des modes de publication sur l’internet. Mais à la différence des premiers, ils sont spécifiquement un moyen de réseautage avec d’autres utilisateurs afin d’échanger des informations et de s’y mettre en valeur.
Or les jeunes d’aujourd’hui se caractérisent, entre autres, par leur grande compétence des rapports interpersonnels, qu’ils gèrent beaucoup mieux par la parole que leurs ainés.
Les médias sociaux permettent aux internautes d’être des participants, et non plus de simples lecteurs passifs de contenus électroniques créés par d’autres.
À regarder les gens qui marchent sur la rue ou qui sont assis dans les transports publics en textant sur l’écran de leur téléphone portable, on réalise que jamais dans toute l’histoire, les humains n’ont autant lu et écrit.
Mais bombardés d’information, une partie des internautes sont devenus inaptes en tant que citoyens parce qu’ils papillonnent d’un sujet à l’autre et n’ont plus le gout ni le temps d’approfondir les sujets qui les concernent.
Politiquement, ils sont comme des volées d’oiseaux, ballottées au gré des buzz médiatiques créés par ceux qui les manipulent.
Dans un autre ordre d’idée, les médias sociaux sont régulièrement accusés de propager des nouvelles fallacieuses et de susciter l’expression d’opinions répréhensibles.
En réalité, ils ont libéré la parole du peuple. Celle qui s’exprimait autour d’une table entre amis, sur l’oreiller du lit conjugal, et sur les murs des toilettes publiques.
Cette parole est brute et révèle les secrets de la pensée populaire.
Et les nouvelles fallacieuses qu’ils répandent correspondent à celles répandues autrefois par la rumeur publique. Bref, rien n’a changé sauf la vitesse de la diffusion de celle-ci.
Depuis toujours, il est possible d’instrumentaliser la rumeur publique.
Ce qui est nouveau, c’est que cette instrumentalisation peut s’effectuer de l’Étranger et servir à fragiliser la cohésion sociale d’un autre pays.
Voilà pourquoi l’étau se resserre autour des médias sociaux pour qu’ils cessent d’être des outils de déstabilisation des gouvernements occidentaux, tout en continuant de l’être envers les régimes politiques auxquels s’opposent les États-Unis.
Cela n’est pas la seule menace auxquels font face les médias sociaux.
Autant aux États-Unis qu’en Europe, les gouvernements s’attaquent aux pratiques monopolistiques des géants de l’internet.
Or on ne peut pas diminuer sensiblement leurs revenus colossaux et leur demander d’instaurer un contrôle social extrêmement couteux (afin de lutter contre la désinformation) sans que ceux-ci remettent en cause leur modèle d’affaires basé sur la gratuité de leurs services pour l’internaute en contrepartie de son espionnage au profit de annonceurs.
Dans un mode en perpétuel changement, on doit donc envisager la possibilité que cette gratuité ait éventuellement une fin.
Paru depuis :
La polarisation en ligne et ses lois (2021-05-04)
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