Avant-propos : Voici un texte que j’ai écrit à 22 ans, alors que j’étais étudiant à l’université. Il est reproduit tel quel, malgré ses maladresses.
Le p’tit gars qui fait un détour pour ne pas faire peur à l’écureuil qui est figé, là, sur le tronc d’arbre, à trois pieds devant : je trouve ça beau.
La mère qui se dépêche à faire son marché puis qui est tout excitée parce qu’elle vient de recevoir la lettre de Jean, son Jean, qui a décidé de revenir à’maison : je trouve ça beau.
Les gens que je vois sur la rue après que je me sois enfermé dans ma chambre pendant toute la journée, ils sont donc beaux.
À l’aéroport, le bonhomme qui éclate en sanglots dans le cou de sa femme en la retrouvant, puis qui la serre dans ses bras comme si c’était pour la dernière fois : je trouve ça beau.
Sur la rue, le gars qui prend son fils dans ses bras puis qui lui parle, en extase, comme s’ils étaient rien que tous les deux sur la terre : je trouve ça beau.
Mais la vieille dame qui a de la misère à monter les marches de l’autobus, mais qui se dépêche, en forçant, pour ne pas retarder personne : je trouve ça triste.
L’ouvrier, à 6h du soir, qui se passe la main dans les cheveux, les deux yeux fermés, puis qui est assis sur les premières marches d’un perron parce qu’il est trop fatigué pour attendre l’autobus debout : je trouve ça triste.
L’ivrogne, le bras accoté sur le mur, de dos à la rue, penché en avant, occupé à vomir, puis qui se dit que sa femme a eu bien raison de laisser tomber un sans-cœur comme lui : je trouve ça triste.
Le gars à’table, juste en face, près de la colonne, qui s’arrête tout d’un coup de parler, que la face lui tombe, puis qui part presque à brailler en entendant un vieux morceau qui lui rappelle des souvenirs : je trouve ça triste.
C’est comme ça; des fois c’est triste puis on le voit pas. D’autres fois c’est beau puis on le remarque même pas.
Parfois je me demande combien de temps on perd à passer sans regarder, à regarder sans voir, à voir sans penser, ou à penser sans réfléchir.