La saignée sous Steven Harper
Depuis des décennies, le ministère canadien de la Défense refuse obstinément d’accorder au Québec sa juste part des contrats fédéraux. Tous les prétextes sont bons.
En 2011, le gouvernement canadien décidait de délocaliser la construction navale du Québec vers deux autres provinces. Cela fut fait à l’occasion de la plus importante entente d’approvisionnement de l’histoire canadienne.
Le chantier Irving de Nouvelle-Écosse obtenait deux contrats pour construire six navires de patrouille et quinze navires de combat, ce qui garantissait du travail à ses 1 800 employés jusqu’en 2040.
Le chantier Seaspan de Colombie-Britannique se voyait confier la tâche de construire six navires pour la Garde côtière et la Marine royale canadienne.
Le tout totalisait 36 milliards$. Avec les dépassements de couts, ces contrats approcheront les 60 milliards$. Peut-être même 80.
Ces dépassements de couts surviennent en dépit du fait qu’en Colombie-Britannique, on a toujours pas commencé à construire un seul navire et qu’Irving tarde à livrer son premier navire après cinq ans de retard.
De ces contrats, le Québec n’a pas reçu un centime.
Pour défendre ses intérêts, la Davie ne pouvait compter que le gouvernement du Québec. Or à l’époque, ce dernier était dirigé par un parti servile et corrompu dont la réaction s’est limitée à exprimer à voix basse sa profonde déception.
À la veille de l’élection de 2015, le gouvernement Harper veut faire oublier ses décisions de 2011. Avec la Davie, on s’empresse de négocier de gré à gré un contrat de 668 millions$ destiné à la conversion de l’Astérix (un navire commercial acheté en Europe) en navire de ravitaillement militaire.
668 millions$, c’est beaucoup. Mais c’est un pour cent des contrats accordés à la Davie et à Seaspan.
La juste part du Québec
Dans le cas particulier des contrats de construction navale, la part qui devrait revenir au Québec est de l’ordre de 60 %.
L’Alberta et la Saskatchewan n’ont pas accès à la mer. D’autres provinces n’ont pas de chantier de construction navale.
Bref, seuls le Québec (population de 8,1 millions), la Nouvelle-Écosse (0,9 million) et la Colombie britannique (4,7 millions) peuvent obtenir des contrats. De ces trois provinces, le Québec représente 60 % de la population.
La famine sous Justin Trudeau
Quelques jours après avoir été porté au pouvoir, Justin Trudeau reçoit une plainte d’Irving destinée à protester contre le contrat de l’Astérix accordé à la Davie.
Le milliardaire James-D. Irving, quatrième fortune du pays, veut la faillite de la Davie parce que c’est le seul obstacle à l’accroissement illimité de sa fortune personnelle. Les miettes accordées à la Davie lui sont insupportables.
Obéissant, Justin Trudeau décide de remettre en question le contrat négocié par les Conservateurs peu de temps avant les élections.
Les tractations secrètes qu’il mène afin de trouver des puces au contrat avec la Davie échouent quand l’affaire est ébruitée.
Furieux, le premier ministre règle le problème à la source.
Afin d’empêcher le gouvernement canadien d’accorder le moindre nouveau contrat à la Davie, il décide d’un blocus économique contre la Davie en excluant le Québec de la stratégie maritime du Canada. Nous verrons bientôt ce que signifie ce jargon bureaucratique.
Les prétextes
Dès le départ, les critères d’attribution des contrats de la marine canadienne étaient taillés sur mesure pour défavoriser la Davie.
• Un passé sans subside
Des points de pénalités étaient attribués aux constructeurs qui avaient déjà reçu des subsides gouvernementaux.
En réalité, tous les chantiers maritimes au monde sont subventionnés par leur gouvernement respectif. Ce fut le cas de la Davie autrefois comme c’est le cas de nos jours pour Irwin et Seaspan. Par le biais, cette fois, des dépassements de couts.
Les subventions aux entreprises étant interdites par les traités de libre-échange signés par le Canada, le fédéral les déguise sous forme de dépassements de couts.
En somme, quand un contrat de 36 milliards$ finit par couter le double, on peut être certain qu’une partie indéterminée de cette somme est un cadeau à l’entreprise.
Cette partie est un secret d’État. Révélée, cela justifierait Washington d’imposer des pénalités au pays.
• La saine gestion et la propriété canadienne
Lors de l’attribution des contrats, ces critères n’avaient pas d’importance puisque la Davie était alors bien gérée.
Toutefois, n’importe quelle compagnie qui perd plus de 90 % de ses contrats finit par se retrouver en difficultés financières. La Davie est devenue moribonde après avoir perdu cet appel d’offres. Conséquemment, elle a été vendue à des intérêts étrangers.
Ce transfert de propriété est devenu le nouveau prétexte qui, appliqué à postériori, justifiait l’absence de contrats accordés en 2011 à la Davie.
À l’inverse, le grand patron de la Seaspan, Kyle Washington, était un citoyen américain vivant principalement à Vancouver depuis des années. En lui accordant la citoyenneté canadienne en 2012, le fédéral justifiait, également à postériori, les contrats attribués à sa compagnie.
• La règle de proximité
Le boycottage de la Davie étant toujours controversé, le fédéral a adopté un nouveau critère : la règle de proximité.
En vertu de cette règle, les chantiers maritimes qui ont accès directement à la mer (Irving et Seaspan) sont privilégiés par rapport au seul chantier maritime dont les nouveaux navires empruntent une autre voie navigable avant d’atteindre l’océan.
Que diraient Irving et Seaspan, si la règle de proximité se calculait (stupidement) à partir de la capitale canadienne, sous le prétexte qu’Ottawa peut ainsi en prendre plus rapidement possession de ses navires ?
Bref, tout ceci est parfaitement arbitraire.
• La stratégie maritime canadienne
Comme une cible fuyante, le ministère de la Défense a adopté finalement un nouveau critère-choc sous Justin Trudeau; le Québec ne fait pas partie de la stratégie maritime canadienne.
Ah bon ? Mais qu’est-ce que cela signifie ?
Cela signifie que le fédéral refuse de donner des contrats maritimes au Québec.
Autrefois, personne n’aurait osé admettre officiellement la discrimination fédérale envers le Québec. De nos jours, on ne s’en cache même plus; les Québécois sont tellement aveugles que cette discrimination est maintenant une politique officielle du gouvernement colonial canadien.
Et personne ne s’en indigne…
Le baiser de Judas
À quelques mois des élections fédérales, Justin Trudeau annonçait cette semaine sa décision de renouveler entièrement la flotte de la Garde côtière canadienne au cout de 15,7 milliards$.
Évidemment, toujours pas un sou pour le Québec. Mais il y a de l’espoir pour la Davie; le Québec fait maintenant partie de la stratégie maritime canadienne. Cela signifie que le blocus économique contre la Davie est levé.
Justin Trudeau laisse entrevoir la possibilité que la Davie puisse soumissionner pour la construction de nouveaux navires en eaux peu profondes destinés à la recherche.
Évidemment s’il est réélu. Et si Irving ne l’appelle pas pour protester…
Conclusion
Lorsque Justin Trudeau est arrivé au pouvoir, il y avait 1 300 employés à la Davie. De nos jours, il n’en reste plus qu’environ 150.
Et maintenant que l’essentiel des contrats maritimes a été accordé pour les vingt prochaines années, la Davie pourra soumissionner pour les miettes restantes.
À moins, bien sûr, que de nouveaux critères, surgis de nulle part, ne l’empêchent de recevoir un sou du fédéral.
Il serait facile de personnifier la discrimination dont le Québec est victime à Ottawa.
Ce que nous ne devons jamais perdre de vue, c’est que cette discrimination est systémique; peu importe le gouvernement au pouvoir, elle persiste.
Elle persiste parce que le problème n’est pas au niveau de l’interface ministérielle.
Elle est au niveau de la machine de l’État canadien, une machine qui agit derrière cette interface ministérielle et qui perpétue l’état de droit colonial dont est victime le Québec.
Cette machine étatique est dominée par un petit nombre de mandarins omnipotents, et par une multitude de tribunaux administratifs secrets (au sens qu’ils n’ont jamais à justifier publiquement leurs décisions).
Si les Québécois veulent que leurs impôts servent à développer leur économie, ils devront faire l’indépendance. Sinon leur argent servira essentiellement à développer l’économie des provinces anglophones du pays.
Le sort de la Davie, le dernier grand chantier maritime du Québec, en est le plus parfait exemple.
Références :
Asterix et Obelix
Chantier Davie: une enquête de la GRC lancée après une colère de Trudeau
Contrats fédéraux: la Davie devra encore patienter
Davie: les beaux sourires de Trudeau ne suffiront pas
Discussions avec la Davie : Mark Norman a agi avec l’autorisation du gouvernement Harper
La Davie et le petit pain fédéraliste
Ottawa entrouvre la porte à Davie
Sale job de la GRC
Shipbuilding in B.C. catches a second wind
Stratégie navale : où s’en va le gouvernement Trudeau?
Paru depuis : Stratégie navale : un premier contrat officiel, mais modeste, pour Chantier Davie (2024-03-26)
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