Corruption fédérale : les voyages forment la vieillesse

Publié le 11 mai 2019 | Temps de lecture : 7 minutes

Introduction

Un des grands tabous de la politique canadienne est la corruption au sein du gouvernement fédéral.

Il faut remonter aussi loin qu’en 2004, au scandale des commandites, pour rencontrer une affaire au cours de laquelle l’argent du gouvernement canadien a été partiellement détourné de ses fins pour aboutir dans la caisse d’un parti politique.

Les tribunaux ont sanctionné les agences de publicité qui ont versé illégalement des sommes à la caisse du Parti libéral du Canada. Mais aucun fonctionnaire ni aucun politicien libéral n’a été condamné pour avoir accepté cet argent.

Ce ne sont pas les tribunaux, mais l’électorat qui a puni le parti politique impliqué en le reléguant dans l’opposition pendant près d’une décennie.

Les fonctionnaires

L’ex-président de la Société des ponts fédéraux est actuellement accusé d’avoir accepté pour 1,5 million$ de pots-de-vin de la part de SNC-Lavalin.

Il est rare que des cas de corruption fédérale se retrouvent sur la place publique, peu importe les sommes impliquées.

Dans ce cas-ci, la Direction des poursuites pénales en a saisi les tribunaux afin de justifier subtilement son refus d’ouvrir une procédure de poursuite suspendue pour SNC-Lavalin. L’important ici est moins de punir le fonctionnaire corrompu que de souligner publiquement que la main corruptrice est celle de SNC-Lavalin.

D’habitude, les cas sont réglés derrière des portes closes. Si bien qu’on n’en entend jamais parler.

Il n’existe aucune donnée quant au nombre de fonctionnaires fédéraux impliqués et quant au sort qui leur est réservé.

La magistrature

La Commission Bastarache a révélé que le critère premier pour accéder à la magistrature québécoise fut, pendant des années, non pas la compétence, mais l’allégeance politique.

Concrètement, au bureau du premier ministre, une fonctionnaire avait pour tâche d’apposer un collant jaune Post-It™ sur le dossier des ‘bons’ candidats parmi ceux que le ministre de la Justice se proposait de soumettre au Conseil des ministres.

Un bon candidat était celui qui avait contribué à la caisse électorale du Parti libéral du Québec, sollicité des fonds ou effectué du bénévolat lors des campagnes électorales. Selon l’ex-ministre de la Justice du Québec, pas de Post-It™ sur un dossier, pas de nomination à la magistrature.

Cette pratique, instituée par Jean Charest en 2003, aurait cessé lorsque ce dernier a été chassé du pouvoir en 2012.

Qu’en est-il au niveau fédéral ?

Un éditorial récent du Devoir nous révélait que la nomination à la magistrature fédérale se fait après consultation d’une liste d’avocats partisans du Parti libéral du Canada.

Selon le ministre fédéral de la Justice, David Lametti, cette consultation n’affecte aucunement l’issue du choix effectué par le Conseil des ministres.

On se demande pourquoi on se donne la peine de consulter la liste des avocats ‘amis’ avant de procéder à une nomination si cela est inutile…

Dans un État de droit, la séparation des pouvoirs exige que l’État s’abstienne de mettre son nez dans le processus judiciaire. Une fois nommé juge, ce dernier n’est soumis qu’à l’autodiscipline que lui impose sa profession.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’autodiscipline des juges n’a jamais fait mourir personne.

L’émission The Fifth Estate révélait en 2017 que le juge Randall Bocock et son épouse, de même que le juge Denis Pelletier, avaient participé à un cocktail financé par un cabinet d’avocats spécialisé dans la fraude fiscale destinée à tromper le fisc canadien.

À la suite de ces révélations, le juge Bocock s’est récusé dans une cause qu’il avait pourtant accepté d’entendre et dans laquelle l’accusé était justement défendu par ce cabinet d’avocats.

Les politiciens

Copiée sur le modèle québécois, la loi fédérale au sujet du financement politique limite sévèrement l’importance des sommes d’argent qu’on peut offrir aux politiciens fédéraux. Pour Ottawa, le politicien nait le jour de son élection à titre de candidat à une élection fédérale.

Avant d’être choisi représentant d’une formation politique, le candidat à l’investiture de son parti peut accepter toutes les contributions qu’on peut lui faire. C’est la faille ‘Vaillancourt’, dénoncée sur ce blogue en 2010, mais qui n’a toujours pas été colmatée.

Sénatrice depuis moins d’un an, Julie Miville-Dechêne est une nouvelle venue en politique. À son arrivée en fonction, elle a été surprise de constater qu’accepter des voyages payés par des gouvernements étrangers était parfaitement ‘normal’.

C’est ainsi que le député conservateur Pierre Poiliève et son épouse ont profité de 11 705 $ de voyages payés par le gouvernement de Taïwan. Quant à la députée NPD Ruth-Ellen Brosseau, elle a fait un voyage de 11 705 $ en Israël, gracieuseté d’intérêts israéliens.

Au total, c’est plus de 600 000 $ en voyages gratuits qui ont été payés par des gouvernements étrangers à des parlementaires fédéraux. Le tout de manière parfaitement légale parce que rien ne s’y oppose.

Le gouvernement fédéral n’y voit pas d’objection puisque ces voyages aident les parlementaires à mieux connaitre les dossiers qu’ils auront à traiter.

À l’époque où il était député et ministre fédéral, John McCallum a effectué pour 73 000 $ de voyages en Chine pour le compte de ce pays. Et ce, sans savoir qu’il serait nommé un jour ambassadeur du Canada en Chine.

Est-ce que cela a influencé son jugement ou sa loyauté envers le Canada ? Pas du tout, selon le gouvernement canadien.

Pourtant, l’ambassadeur McCallum a été destitué de ses fonctions deux ans après sa nomination en raison de propos qu’il a tenus au sujet de l’affaire Huawei (propos où il se désolidarisait avec la position canadienne à ce sujet).

Conclusion

Un demi-million$ en voyages payés par des gouvernements étrangers, c’est de la corruption légalisée.

Tant au niveau de la magistrature que des parlementaires, l’extrême laxisme qui règne au niveau fédéral au sujet des conflits d’intérêts doit changer.

En particulier, il est totalement inacceptable que des décideurs publics soient captifs de pays étrangers — et donc soumis à leur propagande — pendant toute la durée des voyages qu’on leur offre.

La prochaine fois que vous n’arriverez pas à comprendre pourquoi le gouvernement fédéral refuse obstinément de satisfaire une volonté populaire qui coïncide avec l’intérêt national, c’est que quelqu’un, quelque part, est complice d’intérêts particuliers.

Références :
Affaire KPMG : un juge se récuse
Canadian MPs and their extravagant gifts. Is this bribery?
Corruption : la faille « Vaillancourt » doit être colmatée
Juges et cocktails commandités : le Conseil de la magistrature n’y voit pas de problème
L’ex-président de la Société des ponts fédéraux accusé d’avoir été corrompu par SNC-Lavalin
L’utilité de la Commission Bastarache
Nomination des juges: les limites de la Libéraliste
Scandale des commandites
Sénat: Julie Miville-Dechêne dénonce les voyages payés par des pays tiers

Paru depuis :
Le ministre LeBlanc a pris un avion d’Irving, avec la caution du commissaire à l’éthique (2019-07-18)

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Écrit par Jean-Pierre Martel