Le pouvoir de l’uniforme

Publié le 14 décembre 2018 | Temps de lecture : 6 minutes
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On oblige le policier ou le soldat à porter un uniforme qui l’identifie comme détenteur des pouvoirs répressifs de l’État. Ce qui, évidemment, facilite sa tâche en imposant le respect.

Dans beaucoup de pays, l’uniforme permet au citoyen de savoir à quel type d’agent de la paix il a affaire : responsables de la circulation, policiers, gendarmes, gardien de prison, etc. Cela révèle l’étendue des pouvoirs dont cette personne est investie.

Et dans une mêlée sur le champ de bataille, l’uniforme permet au soldat de distinguer instantanément l’ami de l’ennemi.

Une des raisons qui expliquent que la moitié des diplômés universitaires en Iran soient des femmes, c’est que depuis la Révolution dans ce pays (à forte tradition patriarcale), les pères acceptent volontiers que leurs enfants partent étudier au loin à Téhéran, convaincus que le port du voile protègera la virginité de leurs filles.

Au Québec, il y a à peine quelques décennies, les femmes arrivaient à la messe du dimanche la tête voilée et leurs maris, tout endimanchés. De nos jours, les prêtres sont heureux de dire la messe devant n’importe qui.

Le pourvoir du vêtement est indéniable lorsqu’on observe le déchainement des opinions dès qu’il est question du port du voile islamique en Occident.

Le clip vidéo ci-dessus, réalisé par le quotidien Le Monde explique comment le gilet jaune — ce vêtement peu couteux que tout automobiliste français doit avoir dans son véhicule — est devenu un symbole de ralliement et un symbole identitaire. Comme le port du carré rouge l’était lors de la grève étudiante de 2012 au Québec.

Jusqu’à ce que la France se sépare de ses colonies du Maghreb, au début des années 1960, leurs représentants au Parlement français n’hésitaient pas à porter des tuniques berbères et des turbans blancs.

L’abbé Félix-Adrien Kir — qui donna son nom à une boisson célèbre — fut le dernier prêtre élu à l’Assemblée nationale française. De 1945 à 1967, il siégeait en portant la soutane catholique.

Il en est autrement au Québec. En 1961, Claire Kirkland-Casgrain fut la première femme élue au parlement québécois. Avant cette date, les parlementaires étaient des hommes, tous habillés comme des avocats puisque dans l’immense majorité des cas, c’étaient précisément des avocats.

Quant à ceux qui ne l’étaient pas, s’habiller comme eux était une manière de les rassurer et de signifier l’intention de prêter implicitement allégeance à leur clan. Parce que si l’habit ne fait pas le moine, il indique la classe sociale ou la tribu à laquelle on voudrait appartenir.

En quête de crédibilité, les femmes qui ont été élues depuis ont adopté le tailleur sobre puisque le port d’un vêtement criard est jugé signe de vulgarité et de mauvais gout.

Tout cela a dernièrement été remis en question par deux députés de Québec Solidaire.

La députée Catherine Dorion s’est présentée en gaminet, chaussée de bottes Doc Martens. Précisons que ce gaminet a été conçu et réalisé au Québec.

Cela contraste avec ces complets de couturiers italiens portés par la presque totalité de leurs adversaires politiques. Des complets assemblés par des ouvrières recevant un salaire de misère quelque part au Tiers-Monde. Comme quoi les plus belles roses poussent dans le fumier.

Quant à son collègue, Sol Zanetti, il s’est présenté vêtu sobrement, mais chaussé d’espadrilles blanches. Quel scandale !

Pour moi, le vrai scandale, c’est quand un ministre des Finances se procure inutilement des souliers neufs — comme le veut la tradition britannique — pour présenter un budget décrétant… des mesures d’austérité.

Pendant des années, les politiciens ont cru ce président de firme de sondage Léger qui ne cesse de répéter que les Québécois ‘haïssent la chicane’. Au contraire, on réalise maintenant qu’on ne peut attirer l’attention médiatique qu’en suscitant la controverse.

Donald Trump aux États-Unis, Berlusconi en Italie, Maxime Bernier au Québec, carburent à la controverse. Et leurs succès politiques ont pour assise l’audience qu’ils se sont créée par les énormités qu’ils ont écrites.

La controverse relative au gaminet de Mme Dorion et aux espadrilles blanches de M. Zanetti est une controverse futile. Tout comme le refus de prêter publiquement allégeance à la reine d’Angleterre, cette controverse ‘abonne’ les journalistes aux polémiques suscitées par QS; ils savent dorénavant où le scandale nait.

Ces controverses donnent à QS une visibilité que le PQ n’a jamais pu obtenir en dépit d’un programme électoral à des années-lumière de celui, médiocre et simpliste, de n’importe quelle autre formation politique québécoise.

On ne peut faire l’indépendance d’un peuple sans créer de controverse. Les appels à éviter la chicane sont des appels au conformisme; ils ont réussi à étouffer la voix du PQ. Mais QS est plus sauvage. Comme un poulain qu’on n’a pas encore dompté.

QS semble avoir compris que ni le port de la cravate par le député ni le port du tailleur Armani par l’élue ne sont des signes de respect pour le peuple. Ce n’est pas en se déguisant comme des avocats que les députés de QS ‘prouvent’ leur allégeance aux gens qu’ils représentent; ils le prouvent par les idées qu’ils défendent.

On pourra épiloguer longuement sur cette stratégie de provocation. Mais un jour, il faudra bien revenir à l’essentiel, tant chez les personnes scandalisées que chez ceux qui suscitent leur indignation…

Références :
Le corps d’une femme
Le paravent des vêtements
L’uniforme laïque des forces de l’ordre
Marie-Claire Kirkland-Casgrain

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Écrit par Jean-Pierre Martel