Place Victoria
L’Art Nouveau au purgatoire
C’est en 1908 que l’architecte Hector Guimard réalise les édicules de style Art Nouveau pour le métro de Paris.
Mais bientôt ce style est démodé, jugé décoratif et féminin. Il sera remplacé par le style Art déco, solennel, symétrique et tellement plus viril.
Le discrédit dont souffre le ‘style nouille’ atteint son paroxysme en France au sortir de la Deuxième Guerre mondiale.
Délivré par les États-Unis de l’occupation allemande, on est alors en admiration avec tout ce qui vient de l’autre côté de l’Atlantique. On estime que la supériorité technologique de l’Amérique s’expliquerait, entre autres, parce qu’elle n’a pas à trainer un lourd passé culturel.
C’est à l’époque où l’extraordinaire décoration intérieure du restaurant Le Train Bleu disparait derrière des faux murs afin de lui donner l’aspect dépouillé d’une cafétéria moderniste.
Quant aux édicules de Guimard, pourtant modulables, on les juge trop étroits en raison de l’explosion démographique de Paris et du nombre d’usagers de son métro.
Des 167 ouvrages de Guimard, il n’en restait plus bientôt que 86.
C’est seulement dans la deuxième moitié des années 1960 que l’Art Nouveau sortira de son long purgatoire quand les expériences psychédéliques permettront de voir l’extravagance de ce style sous un nouvel éclairage et qu’apparaissent des pochettes de musique s’en inspirant.
En 1965, les accès à quelques stations de métro de Paris sont classés monuments nationaux. Tous les autres ne seront protégés qu’en 1978.
Mais juste avant cette réhabilitation, le maire de Montréal entreprend une démarche étonnante.
La tour Eiffel, s’il vous plait
Lorsqu’en 1962 Moscou renonce à tenir l’exposition universelle de 1967, Montréal accepte de prendre la relève. Ce qui donnera l’Expo67.
Le maire d’alors, Jean Drapeau, est un geyser d’idées. Il prend l’initiative d’écrire au président de la République française pour lui demander s’il ne serait pas possible de démanteler la tour Eiffel pour l’installer à Montréal durant l’exposition.
Dans l’entourage du président du général de Gaulle, on croit d’abord à un canular. Et lorsqu’on se rend compte que la requête est authentique, on la transmet au général en anticipant un rire sonore du général, pourtant peu extraverti.
Mais à la surprise de tous, le général se dit favorable à la demande de Montréal.
À la mairie de Paris, c’est la consternation. On voit déjà les barricades des insurgés parisiens s’élever contre un démantèlement que les Nazis eux-mêmes n’ont pas osé exiger.
Mais la diplomatie française étant ce qu’elle est, on répond au maire de Montréal que l’idée est excellente, que le président de la République est heureux d’accéder à sa demande… à la seule condition que Montréal garantisse l’intégralité des soixante tonnes de peinture, des 18 038 pièces de métal, des 2,5 millions de rivets, et que les ouvriers montréalais déménagent cela et reconstruise le tout parfaitement à l’identique après l’Expo67.
Comme un séduisant bonbon acidulé, la réponse ‘favorable’ de la France sortit le maire de sa rêverie.
Mais Jean Drapeau n’était jamais à court d’idées. Lors d’une visite à Paris, il voit, stupéfait, la démolition d’un édicule Guimard à la station Charles de Gaulle–Étoile. Il demande s’il serait possible que le métro de Montréal en ait un.
En 1966, la Régie autonome des transports parisiens (RATP) trouve un prétexte pour commémorer la coopération d’ingénieurs français et québécois lors de la construction du métro de Montréal.
On offrit donc à Montréal un authentique édicule Art Nouveau de Guimard. Il sera installé en 1967 — l’année de l’expo — à la station Victoria.
Je soupçonne qu’il s’agissait d’un édicule qu’on avait entreposé quelque part depuis longtemps.
Cette hypothèse vient du fait qu’on ne s’était pas rendu compte que les globes orange de cet édicule étaient des originaux en verre — les seuls au monde — alors qu’à Paris, ils avaient été remplacés par des copies en polycarbonate.
Globe de l’édicule
Lors d’une restauration en 2001-2002, c’est là qu’on s’est rendu compte que les globes étaient des originaux. Depuis, ils ont été remplacés, eux aussi, par des copies. L’un des originaux a été donné à la RATP, l’autre au Musée des Beaux-arts de Montréal.
Voilà comment un peu de la désinvolture de la Belle Époque s’est retrouvée à Montréal… devant une austère statue de la reine Victoria.
Références :
After 29 flamboyant years, the mayor of Montréal is retiring
Édicule Guimard
Hector Guimard
Quand Montréal a voulu emprunter la tour Eiffel
Détails techniques :
Olympus OM-D e-m5 mark II, objectifs M.Zuiko 25 mm F/1,2 (1re photo) et M.Zuiko 12-40 mm F/2,8 (2e photo)
1re photo : 1/2500 sec. — F/1,2 — ISO 200 — 25 mm
2e photo : 1/500 sec. — F/2,8 — ISO 200 — 40 mm
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Bonsoir M. Martel
J’ai regardé vos archives, et j’ai grandement apprécié, il y a plein de sujets intéressants, et que dire des belles photos de vos voyages, bref, je suis contente d’avoir trouvé votre blog. Merci pour cette anecdote au sujet de l’expo 67.
Merci pour votre commentaire.
J’espère que vous trouverez ici plein de sujets qui vous intéresseront.
Merci encore. J’apprécie.
Avec un sourire rempli de malice, je pense que Linda ne doit pas être la seule à être contente…