Fluctuation des prix et production agricole
C’est seulement au XXe siècle que l’amélioration des moyens de transport et leur climatisation ont permis l’acheminement d’aliments sur de longues distances.
Conséquemment, les cultivateurs se sont mis à produire pour des marchés de plus en plus vastes, bien au-delà de leur village comme ils le faisaient depuis toujours.
De nos jours, l’agriculture met en concurrence des millions de producteurs qui adaptent, indépendamment les uns des autres, leur production en fonction de la fluctuation des prix.
Lorsque le prix d’un produit alimentaire augmente soudainement, plus d’agriculteurs se mettent à en produire.
Lorsque cet engouement est tel qu’il provoque une surproduction, cette dernière fait chuter les prix. Ce qui décourage la production.
Lorsque l’abandon est excessif, la pénurie qui en résulte fait augmenter les prix.
Et ainsi de suite.
La gestion de l’offre
Dans les années 1970, afin de contrer la fluctuation des prix, le gouvernement canadien a mis en place le système de la gestion de l’offre.
Un système analogue, limité au lait, fut créé en France, puis dans l’Union européenne à partir de 1984 et ce, jusqu’en 2015.
Au Canada, il s’applique à trois catégories de produits alimentaires qui correspondent à autant d’aliments de base : le lait, les œufs et la volaille (le poulet et la dinde).
Ce système comprend trois volets :
• le contrôle de la production
• le contrôle des prix
• la limitation des importations
Le contrôle des prix se fait en ajustant la production à la demande des consommateurs.
Pour limiter la production, tout producteur qui veut vendre du lait, des œufs ou de la volaille doit détenir un permis de production, c’est-à-dire un quota.
L’ensemble des quotas est revu à la hausse ou à la baisse chaque année en fonction des fluctuations de la demande canadienne.
À l’origine, ces quotas étaient gratuits. Mais puisqu’ils limitent l’accès au marché à tout nouveau producteur, les quotas déjà émis ont pris de la valeur depuis.
De nos jours, leurs prix peuvent atteindre des dizaines de milliers de dollars, ce qui décourage la relève.
Le prix de ces aliments est ajusté non seulement en fonction de la demande, mais également en tenant compte des couts de production des agriculteurs, ce qui leur garantit un revenu stable.
Cette garantie maintient en vie de plus petites unités de production qui, autrement, auraient fait faillite lors d’un effondrement de prix ou qui seraient incapables de faire face à la concurrence de gros producteurs mondiaux.
C’est ainsi que le Québec possède la moitié des fermes familiales de tout le pays. Cela assure la survie de nombreux villages et favorise une meilleure occupation du territoire.
La gestion de l’offre touche 69 000 fermes québécoises.
La stabilité des prix au Canada fait en sorte que les consommateurs canadiens paient moins cher lorsque les prix mondiaux s’emballent, et paient plus cher quand les prix s’effondrent comme c’est le cas actuellement pour le lait.
Des tarifs douaniers pouvant atteindre 300% s’appliquent aux produits sous gestion de l’offre importés au Canada.
La Chine, la Nouvelle-Zélande et le monde
Les Chinois ne boivent pas de lait à l’âge adulte. La consommation de lait est limitée aux nourrissons et aux enfants.
Comme tous les peuples qui cessent de boire du lait après l’adolescence, les Chinois font de l’intolérance au lactose. Chez eux comme chez les autres peuples, cette intolérance n’est pas innée puisqu’elle n’existe pas à l’enfance.
Adultes, les Chinois apprécient donc les préparations de lait fermenté (dont le yogourt), mais pas le lait nature.
Dans les années 2000, le gouvernement chinois a établi une norme minimale de teneur protéique de cet aliment afin de lutter contre la fraude par dilution du lait.
Toutefois, des distributeurs peu scrupuleux ont ajouté de la mélamine au lait qu’ils avaient pris l’habitude de diluer.
Or cette protéine est toxique pour les bébés; leur système digestif immature ne dégrade pas cette protéine en acides aminés inoffensifs, comme c’est le cas chez l’adulte.
Trois-cent-mille bébés chinois furent intoxiqués, provoquant six décès.
Le scandale a fait chuter la production intérieure, boudée par les consommateurs chinois. Ces derniers se sont rabattus sur le lait importé.
En conséquence, la Chine devenait le premier importateur mondial de produits laitiers. C’est ainsi que les importations de lait en poudre sont multipliées par neuf de 2008 à 2014.
Afin de combler cette demande, la Nouvelle-Zélande est devenue un des principaux fournisseurs du marché chinois.
Ce pays de moins de cinq-millions d’habitants produit autant de lait que la France. Environ 95% de sa production est exportée (principalement en Chine), faisant de la Nouvelle-Zélande le premier exportateur mondial de produits laitiers.
Depuis, la Chine a entrepris de reconquérir son marché national alors que la consommation chinoise diminuait légèrement en 2014, pour la première fois depuis des années. Ces deux facteurs ont pris de court les industriels néozélandais qui anticipaient une augmentation des importations chinoises.
La surproduction néozélandaise, associée à la surproduction européenne consécutive à l’abandon des quotas en avril 2015, a fait chuter le cours mondial du lait en 2015-2016.
Mondialisation et gestion de l’offre
Comme l’agriculteur d’autrefois qui cultivait tout ce dont il avait besoin, qui coupait le bois des arbres à proximité et qui chassait à l’occasion, le Canada ne compte sur personne pour faire vivre ses producteurs laitiers et ses producteurs d’œufs et de volaille.
Grâce à son système de gestion de l’offre, le Canada vit en autarcie… du moins en ce qui concerne les aliments concernés.
Bref, la gestion de l’offre est l’antithèse de la mondialisation.
Pour certains pays, la gestion de l’offre est le grain de sable intolérable qu’il faut expulser des bottes du capitalisme triomphant.
Strictement parlant, la gestion de l’offre n’est pas une mesure anticapitaliste puisque chaque ferme sous gestion de l’offre est une unité de production capitaliste.
Mais dans le processus d’accaparement des ressources mondiales aux mains du grand capital, ce petit capitalisme à visage humain fait figure de village gaulois qui s’oppose à l’Empire romain.
À chaque négociation en vue de la signature d’un nouveau de libre-échange, la gestion subit de nouveaux revers.
Les ratés de la mondialisation
La mondialisation conduit inexorablement à la concentration des ressources entre les mains d’un nombre toujours plus faible de producteurs.
C’est ainsi que certains médicaments ne sont plus produits qu’en Inde ou en Chine.
Il suffit d’un problème d’approvisionnement — causé par un conflit interethnique ou interreligieux, une catastrophe naturelle locale, un conflit ouvrier ou des bris mécaniques — pour provoquer une pénurie de médicaments partout à travers le monde.
Quand un des rares fabricants du médicament valsartan modifie sa méthode de production pour réduire encore davantage ses couts (et augmenter ses bénéfices), des millions de personnes seront exposés à la toxicité de dérivés qui ont échappé à ses méthodes d’analyse.
Dans le domaine agricole, la mondialisation entraine un gaspillage des ressources. Mentionnons la destruction massive de millions de litres de lait produits en trop, l’alternance d’années maigres et d’années grasses et ses faillites en série dans le premier cas, le matériel agricole jeté à la ferraille parce qu’il ne trouve plus preneur lors de ventes aux enchères à la suite de faillite, etc.
Et pour soutenir les agriculteurs en difficulté à chaque phase de chute des prix, les gouvernements leur offrent des milliards$ pour compenser leurs pertes.
C’est ainsi que le gouvernement américain a versé 22,2 milliards$ en subventions à ses producteurs laitiers en 2015. Ces subventions prennent la forme d’aide à l’irrigation des champs, des crédits à l’exportation, des prêts à taux avantageux, le rachat des surplus, etc.
On calcule qu’ils représentent 35 cents américains du litre de lait, soit 73% des profits que les producteurs en tirent.
Avec la gestion de l’offre, l’agriculteur n’a pas besoin de subventions de l’État. Mais ce que le citoyen épargne en tant que contribuable, il le paie en tant que consommateur par le biais du prix plancher de l’aliment.
Avec la différence qu’on peut s’abstenir d’acheter du lait, mais on ne peut éviter de payer ses impôts…
Références :
Aperçu de l’industrie laitière
Crise laitière de 2015
La gestion de l’offre
La gestion de l’offre, un éternel cheval de bataille pour les agriculteurs canadiens
Le Canada peut-il régler les problèmes de l’industrie laitière américaine?
Les pénuries de médicaments
Les producteurs de lait américains reçoivent 35 $ l’hectolitre en subventions
Quota laitier en Europe
Scandale du lait frelaté en 2008
Quota laitier en Europe
Valsartan: des médicaments potentiellement cancérigènes en circulation pendant trois ans