Pétrole et élections : un rendez-vous manqué avec le destin

Publié le 26 septembre 2018 | Temps de lecture : 7 minutes

Introduction

Pendant des décennies, les intérêts économiques du Québec et ceux du Canada allaient dans le même sens; la conquête du marché américain et le développement de modes de transport pancanadiens (voies ferrées et autoroutes) qui favorisaient l’échange de biens et de service à travers le pays.

Depuis la mise en valeur des sables bitumineux albertains, les économies québécoise et canadienne sont entrées en concurrence.

De 2002 à 2006, le prix du pétrole a connu une très forte hausse sous l’effet combiné de la demande chinoise et d’une spéculation générale sur les matières premières.

Cette hausse de prix a entrainé plusieurs conséquences. La balance commerciale canadienne est devenue très excédentaire. De plus, les investissements étrangers en Alberta ont connu une croissance exponentielle.

Cela a provoqué une forte appréciation de la devise canadienne. En janvier 2002, le dollar canadien valait 61,79 cents américains. En novembre 2007, il valait 110,3 cents, soit une augmentation de 56%.

En l’espace de quelques années, l’industrie manufacturière canadienne — concentrée en Ontario et au Québec — est devenue beaucoup moins concurrentielle sur le marché américain.

Conséquemment, des milliers d’emplois ont été perdus au Québec et en Ontario, victimes en partie du mal hollandais et en partie d’un manque de productivité.

Selon Wikipédia, le mal hollandais «…est un phénomène économique qui relie l’exploitation de ressources naturelles au déclin de l’industrie manufacturière locale. Ce phénomène est suscité par l’accroissement des recettes d’exportations, qui à son tour provoque l’appréciation de la devise. Le résultat est que dans les autres secteurs, les exportations deviennent moins favorables que les importations.»

L’intérêt du Canada

Pour bien comprendre quelqu’un, il faut se mettre à sa place.

Le Canada est au troisième rang mondial — après l’Arabie saoudite et le Venezuela — quant aux réserves exploitables de pétrole (173 milliards de barils).

Dans 50 ans, il est possible que l’économie mondiale soit devenue postpétrolière et que cette ressource n’ait plus aucune valeur.

D’ici là, indépendamment de toute considération environnementale, l’intérêt économique du pays est de s’enrichir en vendant le pétrole pendant que cette ressource naturelle vaut encore quelque chose.

Le marché domestique canadien est alimenté partiellement par du pétrole albertain. À titre d’exemple, 36% du pétrole vendu au Québec vient de l’Alberta.

Environ 90% de l’augmentation de la production pétrolière canadienne d’ici 2030 pourrait être écoulée aux États-Unis par le biais, notamment, du pipeline Keystone (en voie de construction).

En raison de la concurrence du pétrole de schiste américain, le pétrole canadien s’y vend vingt pour cent moins cher que le prix que le Canada obtiendrait sur les marchés internationaux.

Pour se libérer du marché américain et accéder au marché international, le Canada veut désenclaver son pétrole.

La première solution envisagée devait être la construction d’un pipeline — appelé Énergie Est — qui devait traverser les deux tiers du pays, dont le Québec.

C’est la baisse du prix mondial du pétrole qui a sonné, pour l’instant, le glas de ce projet pharaonique.

La seule autre issue est le transport vers l’océan Pacifique : c’est le pipeline Trans Mountain.

Ce pipeline existe déjà. Le gouvernement fédéral vient d’en faire l’acquisition au cout de 4,5 milliards$. Toutefois, ce vieux pipeline est insuffisant et le fédéral est déterminé à en augmenter la capacité.

Les sommes qu’il devra consacrer à cette fin n’ont pas été révélées.

Si ce projet a connu un revers juridique récent en raison de l’attitude cavalière du gouvernement Harper dans ce dossier, le gouvernement Trudeau est déterminé à aller de l’avant.

Ceux qui sont déçus de voir le gouvernement Trudeau poursuivre les mêmes politiques que celles du gouvernement Harper, n’ont pas compris que les gouvernements à Ottawa ne sont que l’interface ministérielle d’une machine étatique puissante, animée par sa propre conception de l’intérêt national.

Les pouvoirs absolus du fédéral

En 1867, le gouvernement fédéral a hérité des pouvoirs coloniaux de Londres.

Ces pouvoirs ont été reconduits dans la Canadian Constitution de 1982.

En vertu de celle-ci, tout transport de marchandises au-delà des frontières d’une province devient sous l’autorité exclusive du gouvernement fédéral.

Que ce transport soit routier, ferroviaire, maritime, aérien ou par pipeline, il tombe sous la compétence constitutionnelle exclusive du gouvernement fédéral. Les provinces n’ont aucun pouvoir.

Il leur est permis de protester. Mais au bout du compte, elles devront capituler devant Ottawa.

Bien plus. Le gouvernement Harper a modifié la loi canadienne sur le terrorisme : toute action citoyenne qui aurait pour effet de nuire à la construction d’un oléoduc répond maintenant à la définition d’un acte terroriste.

Le bouclier de l’indépendance

Vers 2030, l’augmentation prévue de la production pétrolière canadienne dépassera les capacités des pipelines Trans Mountain et Keystone.

Dans les années qui précèderont cette date fatidique, l’intérêt du Canada sera d’envisager d’autres possibilités.

L’une d’elles sera de ressusciter le projet d’un pipeline vers l’Est qui traversera le Québec.

Si le gouvernement canadien a eu l’audace de faire adopter une nouvelle constitution sans le Québec en 1982, il faut être naïf pour croire que l’opposition du gouvernement québécois empêchera Ottawa de nous passer ce pipeline sur le corps.

La seule chose qui pourrait empêcher la capitulation du Québec face à l’ordre pétrolier canadien, c’est de devenir un pays indépendant.

À preuve : si le Québec était déjà indépendant, le Canada ne pourrait exporter son pétrole vers l’Est que par le biais de la baie d’Hudson ou en contournant le Québec par les États-Unis.

De plus, si nous étions déjà indépendants, nous n’aurions pas à payer notre part (un milliard$) du cout d’acquisition de Trans Mountain et des sommes nécessaires à son amélioration.

Du point de vue environnemental, le choix entre le fédéralisme et l’indépendantisme se résume entre le financement obligatoire (par nos impôts) du Nation Building de l’État pétrolier canadien ou la création d’un pays moderne, respectueux de l’environnement et conforme à ce que nous aspirons à être.

Conclusion

De toute évidence, à l’élection qui aura lieu dans quelques jours, les Québécois vont rater l’occasion de se prémunir contre le passage — différé mais inévitable — d’un pipeline à travers le Québec.

Cela n’est pas catastrophique; tant que Trans Mountain ne sera pas en train de se réaliser, il est douteux qu’on entreprenne un autre grand chantier vers l’Est.

Toutefois, au fur et à mesure qu’approchera 2030, il y aura une limite à toujours rater nos rendez-vous avec le destin.

Références :
5 questions pour comprendre la chute du dollar canadien
État de l’énergie au Québec
La façade ministérielle de l’État canadien
Le pipeline Trans Mountain et « l’intérêt national »
Maladie hollandaise
Marché pétrolier
Risques bitumineux
Sables bitumineux de l’Athabasca

Paru depuis :
Andrew Scheer promet de relancer Énergie Est (2018-10-21)
Le pétrole du Québec vient désormais d’Amérique du Nord (2018-11-02)

Au sujet de la dangerosité environnementale des pipelines :
Keystone pipeline raises concerns after third major spill in five years (2022-12-21)

Pour consulter tous les textes de ce blogue consacrés au prix que nous payons pour appartenir au Canada, veuillez cliquer sur ceci.

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Écrit par Jean-Pierre Martel