Un Kurdistan improbable
Démographiquement, les Kurdes constituent le peuple le plus important au monde qui n’ait pas son propre pays. Ce peuple parle le kurde et non l’arabe. Ils sont plus de quarante-millions de personnes dispersées sur un vaste territoire qui chevauche quatre pays.
Mais comme les Catalans en font l’expérience, il ne suffit pas d’avoir droit à un pays pour pouvoir le créer officiellement.
Malheureusement pour les Kurdes, aucun pays ne veut d’un Kurdistan indépendant. Pour ce faire, l’Iran, l’Irak, la Syrie et la Turquie devraient être démantelés. Or quel allié de l’un d’eux peut se permettre le luxe d’en faire un ennemi ?
La guerre en Syrie s’est accompagnée d’une épuration ethnique. Les combattants kurdes, alliés des États-Unis, ont concentré la population kurde de Syrie dans une bande presque continue au sud de la Turquie (ce que ne reflète pas la carte ci-dessus).
Mais ces combattants, appelés Peshmergas, ont également conquis dans ce pays de vastes territoires occupés par des Arabes. Ces derniers les perçoivent de plus en plus comme des envahisseurs.
Une Turquie belliqueuse
Depuis des décennies, la Turquie opère un lent génocide contre ses ressortissants kurdes.
Les Pechmergas syriens et irakiens, sympathiques à la cause des leurs persécutés en Turquie, sont une menace aux yeux de la Turquie.
Le 14 janvier dernier, en annonçant la création d’une armée de trente-mille hommes dans le Kurdistan syrien, les États-Unis provoquaient la colère de la Turquie et lui fournissaient le prétexte pour déclencher une opération de nettoyage au sud de sa frontière.
Cette opération vise à dégager une zone tampon au sud de la frontière turque. Une zone tampon qu’Erdoğan souhaite créer depuis des années.
En affaiblissant les Peshmergas par ses bombardements, la Turquie veut également permettre aux milices islamistes qu’elle supporte de reconquérir les territoires sunnites actuellement aux mains des milices kurdes.
Les États-Unis insouciants
Quant à la réaction américaine, elle a consisté à demander à la Turquie de faire preuve de retenue. En langage diplomatique, cela signifie : « Allez-y. Tuez des Peshmergas tant que vous voulez. On n’a plus besoin d’eux; l’État islamique est vaincu.»
Malheureusement, les États-Unis n’ont pas compris que le terrorisme est un bizness. Tant que l’argent coule, la plus minuscule milice islamiste en Syrie peut devenir un autre Al-Qaida ou un autre Daech et créer un nouveau califat sur les ruines fumantes de celui de Daech.
La Tony Blair Faith Foundation n’a-t-elle pas démontré qu’entre le tiers et la moitié des rebelles en Syrie souhaitent commettre des attentats en Occident ?
En ce début de reconquête, les supplétifs à qui la Turquie fait parvenir des armes et des munitions en Syrie sont essentiellement des milices d’Al-Qaida. C’est donc cette organisation terroriste qui devrait reprendre de la vigueur pour l’instant dans ce pays.
Poutine, maitre du jeu en Syrie
La Russie est le seul pays qui entretient des relations avec tous les belligérants et qui a quelque chose à donner si on est gentil avec elle.
La Russie contrôle l’espace aérien syrien. En laissant le champ libre à la Turquie, la Russie veut prouver que les États-Unis abandonnent toujours leurs alliés (sauf Israël et l’Arabie saoudite).
Les Américains ont abandonné le chah d’Iran, les Chiites qui se sont soulevés contre Saddam Hussein à l’appel des États-Unis, Ben Ali en Tunisie, Moubarak en Égypte, le Qatar boycotté par ses voisins, et maintenant les Kurdes (qui n’en sont pas vraiment surpris).
Le message de Moscou est le suivant : nous, Russes, sommes fidèles à nos amis. Voyez Bachar el-Assad en Syrie. Voyez la minorité russe d’Ukraine.
En réalité, la Russie a laissé tomber Saddam Hussein en Irak et Kadhafi en Libye. Mais elle a pris de bonnes résolutions depuis.
Et voilà Erdoğan, aveuglé par son animosité envers les Kurdes, qui contribue involontairement à un exercice de propagande russe. Tout le Kremlin doit se tordre de rire.
Conclusion
L’annonce de la création d’une force militaire au sud de la Turquie, c’est le baiser de Judas de l’administration Trump aux Kurdes. C’est une preuve supplémentaire de son inaptitude à comprendre la complexité des grands enjeux internationaux.
C’est également la relance d’un conflit que les États-Unis ont fait trainer en longueur pendant des années afin de vendre des armes aux pays voisins inquiets.
Références :
Ankara accuse Washington de vouloir créer une armée de « terroristes » kurdes en Syrie
Le radicalisme des rebelles syriens
Syrie: discorde américano-turque après un entretien Trump-Erdogan
Turkey to extend Syria campaign to Kurdish-controlled Manbij
Turquie vs Kurdes vs État islamique
Parus depuis :
Syrie : les motifs et les enjeux de la bataille d’Afrin (2018-02-21)
Le Moyen-Orient, point fort de la stratégie diplomatique de Vladimir Poutine (2018-03-17)