La crise du Beaufort

Publié le 18 janvier 2018 | Temps de lecture : 4 minutes
Tranche de Beaufort

L’hebdomadaire anglophone The Local se décline en différentes éditions nationales. Le rédacteur en chef de l’édition parisienne est le Britannique Ben McParland.

Cinq jours avant Noël, ce dernier se rend dans une fromagerie. Son fromager attitré étant absent cette semaine-là, le Britannique va dans un commerce parisien qu’il ne connait pas.

Au propriétaire qui le sert, le journaliste déclare qu’il vient acheter du fromage pour se faire une fondue. Mais il a sa propre recette, faite à partir de trois fromages.

Intrigué, le patron écoute.

Le premier est le Comté, un fromage au lait cru de vache, à pâte pressée cuite. On le qualifie ainsi parce que son caillé est pressé au moment du moulage et qu’il est chauffé au moment du tranchage.

Le second ingrédient de la recette de M. McParland est l’Appenzel, un fromage suisse au gout prononcé, également à pâte pressée cuite.

Alors que le fromager s’apprête à lui trancher son troisième fromage, il apprend que c’est du Beaufort. Affiné pendant quelques mois, le Beaufort est couramment utilisé pour faire de la fondue savoyarde.

Malheureusement, le seul Beaufort du fromager est millésimé de l’été 2015.

C’est trop bon pour de la fondue, lui dit-il.

Qu’à cela ne tienne, ce fromage vieilli n’en sera que plus gouteux pense le rédacteur en chef.

Donnez-m’en 200 grammes, s’il vous plait.

Le fromager insiste :
Ça me ferait mal au cœur de savoir qu’un tel fromage finisse ses jours en fondue.

Faisant fi des réticences du fromager, le journaliste hausse sa commande à 400 grammes, un changement perçu comme un affront par le commerçant.

Conservant son calme, il essaie de dissuader son client en lui précisant qu’à 39 euros (60$) du kilo, c’est très cher pour de la fondue.

Mais le rédacteur (qui avait déjà vu le prix, bien en évidence) lui dit qu’il en a les moyens.

Ce fromage savoyard, le fromager l’a fait vieillir dans ses caves pendant deux ans et il est inconcevable qu’il finisse ses jours fondu sur des croutons comme du vulgaire emmental.

Vous avez vraiment l’intention de mettre ça dans votre fondue ? lui demande le commerçant qui commence à sentir la moutarde lui monter au nez.
Euh… oui.
C’est hors de question !
Comment ça, hors de question ?

Après quinze minutes de palabres, le journaliste pourra acheter ce Beaufort 2015 s’il promet de ne pas s’en servir dans sa fondue.

Comme troisième fromage, le journaliste choisira plutôt l’Abondance, un fromage au lait cru de vache, à pâte ferme pressée cuite.

Mais à bien y penser, il va quand même pendre un petit 200 grammes de Beaufort, à part.

Par-dessus ses lunettes, le fromager lui jette un regard suspicieux; si le journaliste pense qu’il peut se moquer de lui, il se trompe.

Lui tendant un morceau de papier et un stylo, il accepte de lui en vendre à la condition que le journaliste s’engage par écrit à ne pas le gratiner ni le faire fondre.

Quelques jours plus tard, le journaliste publie dans The Local le récit de sa mésaventure et proteste sur son compte Twitter qu’en France, le client n’ait pas toujours raison.

Mais voilà qu’une bonne partie de ses lecteurs prennent le parti de son fromager. L’affaire prend des proportions internationales quand l’ambassadeur de France en Suède écrit à ce sujet (sans vraiment prendre position, évidemment).

Depuis, la nouvelle a été reprise par différents quotidiens, dont Le Monde et The Telegraph.

En signe d’apaisement, le journaliste a finalement publié sur son compte Twitter un message remerciant ce fromager et reconnaissant que le Beaufort 2015 était vachement bon (‘bloody good’).

Le message est accompagné d’une photo du Beaufort servi sur des craquelins de blé entier, accompagné d’une bière — non pas anglaise (c’eut été de la provocation) — mais portugaise.

Tout est donc bien qui finit bien…

Références :
Abondance (fromage)
Appenzeller
Beaufort (fromage)
Comté (fromage)
Du refus de se faire servir un bout de Beaufort par un fromager au « fonduegate »
Fonduegate and why the customer is not always right in France
« Fonduegate » sparks row of international proportions
Fondue savoyarde

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5 mark II, objectif M.Zuiko 25mm F/1,2 — 1/60 sec. — F/2,8 — ISO 1000 — 25 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel