Les États-Unis et la Corée du Nord

Publié le 2 décembre 2017 | Temps de lecture : 10 minutes

Introduction

Depuis avril 2017, le président Trump est engagé dans une guerre de mots avec les dirigeants de la Corée du Nord, menaçant ce pays (ou ses dirigeants) d’anéantissement.

Mais après sept mois d’insultes et de menaces réciproques, on peut s’interroger sur l’imminence d’un conflit armé entre leurs deux pays.

Dangerosité de la Corée du Nord

• Les armes nucléaires

En 1980, la Corée du Nord entamait un programme destiné à se doter de l’arme nucléaire. Toutefois, en 1985, ce pays signe le Traité de non-prolifération des armes nucléaires.

Entre l’adhésion de la Corée du Nord et son retrait du traité en 2003, les États-Unis n’ont pas cessé de reprocher à ce pays de ne pas respecter sa parole.

D’autre part, la Corée du Nord blâmait les États-Unis de confondre ses installations nucléaires civiles avec des installations militaires.

Selon la CIA World Factbook, la production électrique en Corée du Nord serait à 55% de l’hydroélectricité; le reste proviendrait d’énergies fossiles (probablement du charbon). Selon l’agence américaine, rien ne serait produit à partir de centrales nucléaires.

En avril 2002, G.W. Bush accuse l’Irak, de même que l’Iran et la Corée du Nord, de faire partie de l’Axe du Mal.

En janvier 2003, alors que les États-Unis sont en train de déployer leur armada en vue de la Guerre d’Irak (qui sera déclenchée officiellement en mars), la Corée du Nord se retire du Traité de non-prolifération des armes nucléaires, convaincue de subir bientôt le même sort.

C’est en octobre 2006 que la Corée du Nord procède à son premier essai nucléaire souterrain. L’expérience fut répétée en 2009, en 2013, en 2016 et en 2017.

En supposant que la Corée du Nord ait effectivement poursuivi secrètement son programme nucléaire de 1985 à 2003, on peut affirmer rétroactivement qu’elle y a mis les bouchées doubles entre 2003 et 2006.

• Les ogives balistiques

Posséder l’arme nucléaire est une chose. Être capable de frapper un pays lointain avec cette arme, c’est autre chose.

Depuis trente ans, la Corée du Nord procède à des tirs balistiques. Mais la fréquence de ces essais — autrefois espacés de plusieurs années — s’est considérablement accélérée depuis 2016.

Jusqu’à maintenant, la plupart des missiles effectuaient une trajectoire en cloche, allongée vers le ciel, puisque tirés presque à la verticale.

L’an dernier, sur neuf tentatives, une seule a réussi. À l’époque, la Corée du Nord propulsait ses missiles à l’aide du moteur 4D10.

En raison de cet échec, le pays s’est tourné vers le moteur Paektusan, utilisé originellement pour lancer des fusées. Et c’est là que tout débloque.

Depuis le début de 2017, la Corée du Nord a procédé à dix-sept tirs dont celui du 29 aout qui, pour la première fois, a survolé le territoire japonais.

Selon les experts, la Corée du Nord aurait développé à ce jour deux modèles de missiles balistiques basés sur le moteur Paektusan.

Un exemplaire du modèle de portée moyenne a survolé le Japon et a atteint une altitude de 550 km.

Mais elle mettrait également au point un missile intercontinental d’une portée de 10 000 km. Celui-ci serait capable d’atteindre une altitude légèrement supérieure à mille kilomètres.

Le missile tiré le 29 novembre 2017 nous en donne un aperçu. Tiré à la verticale, il aurait atteint une altitude de 4 475 km, soit bien au-delà de ce qui est nécessaire pour frapper les États-Unis. Après un vol de 53 minutes, il se serait abimé dans les eaux territoriales du Japon, à 950 km de son site de lancement.

Pour finaliser ses projets, la Corée devrait mettre au point des matériaux composites capables de résister aux températures de 7 000 à 8 000°C, typiques de la rentrée dans l’atmosphère.

Puis la question restera de savoir si les missiles coréens sont capables de transporter sur de longues distances le poids élevé d’ogives nucléaires.

Retour sur la crise des missiles cubains

Missiles russes à La Havane

En 1982, les États-Unis découvrent que l’URSS installe secrètement des missiles à tête nucléaire sur l’ile de Cuba.

Même si Cuba est libre de se doter des moyens défensifs qu’il juge appropriés, le déploiement de missiles à seulement 150 km des côtes américaines est jugé totalement inacceptable par les États-Unis.

Ces missiles sont tellement proches que leurs tirs ne peuvent pas être détectés suffisamment d’avance (par les moyens du temps) pour garantir une riposte.

Le 16 octobre 1962, de son propre chef, le président John-F. Kennedy ordonne un blocus naval autour de l’ile.

Les États-Unis menacent de détruire tout navire soviétique qui tenterait de ravitailler Cuba en armement.

Douze jours plus tard, une troisième guerre mondiale est évitée de peu lorsque les sous-marins et navires soviétiques rebroussent chemin et que l’URSS et les États-Unis s’entendent.

Le laisser-faire américain envers la Corée du Nord

La Corée du Nord n’est pas une ile. Conséquemment, les États-Unis ne peuvent pas lui imposer un blocus maritime et terrestre que si la Chine et la Russie, voisins de la Corée du Nord, y consentent. Ce qui n’est pas le cas.

Mais les États-Unis auraient pu abattre les missiles tirés par la Corée du Nord, l’empêchant de développer son expertise.

Pourquoi ne l’ont-ils pas fait ?

Le droit international

Lorsqu’un missile coréen pénètre dans l’espace aérien japonais, ce missile peut être abattu. Toutefois, si ce missile effectue une trajectoire exclusivement au-dessus de la Corée du Nord, puis au-dessus d’eaux internationales (la mer du Japon), n’y a-t-il pas danger que cela puisse être un Casus belli, c’est-à-dire un motif suffisant pour déclarer la guerre ?

La Corée du Nord ne peut pas déclarer la guerre aux États-Unis. Pourquoi ? Parce que ces deux pays le sont déjà officiellement depuis six décennies.

Déclarée en 1950, la guerre de Corée s’est terminée par un armistice. Mais aucun traité de paix n’a été signé. On a simplement convenu en 1953 de cesser de se battre.

Le risque d’échec

Si les États-Unis échouent à abattre un ou plusieurs missiles coréens, n’y a-t-il pas danger que cela mine la réputation d’excellence de la technologie militaire américaine ?

Oui, en effet.

Mais vaut-il mieux attendre que la Corée du Nord frappe le territoire des États-Unis pour découvrir que les missiles sol-air américains ne sont pas aussi fiables qu’on pense ?

Les missiles coréens sont une occasion en or pour tester et améliorer la fiabilité de l’armement américain dans des conditions réelles de combat.

Les raisons probables de l’inaction américaine

Vendre de l’armement

Avant l’intervention directe de la Russie en Syrie à l’automne 2015, la stratégie américaine dans ce pays était d’arrêter l’expansion territoriale de l’État islamique et, une fois cela fait, de maintenir sa dangerosité afin de susciter l’inquiétude des pays voisins et de les motiver à acheter de l’armement américain.

Voilà pourquoi seulement 2% des frappes américaines visaient les champs pétrolifères de l’ÉI, sa principale source de revenu à l’époque.

Cette fois-ci, Trump provoque le pitbull coréen. Par ses gazouillis, il fait augmenter la tension dans cette partie du monde. Et sa surenchère verbale fait qu’en Corée du Sud comme au Japon, les populations s’inquiètent. Les parlementaires se demandent s’ils sont suffisamment protégés.

Les États-Unis vendent assez librement de l’armement aux pays amis. Mais ils imposent des restrictions sur l’exportation de certains types d’armes sophistiquées.

Le 5 septembre dernier, le président Trump autorisait la Corée du Sud et le Japon à accroître substantiellement leurs achats de matériel militaire sophistiqué.

De plus, au cours de sa tournée asiatique le mois dernier, le président Trump a souligné que la Corée du Sud et le Japon devaient assumer davantage leur propre défense et compter moins sur la protection américaine.

Le bouclier antimissile

Depuis plus d’une décennie, les États-Unis consacrent environ neuf-milliards$ annuellement pour le déploiement d’un système de défense antimissile comprenant des radars et des missiles sol-air.

Le complexe militaro-industriel américain croit qu’un pays aussi riche que les États-Unis pourrait dépenser davantage.

Afin de surmonter les réticences de nombreux membres du Congrès qui croient qu’une augmentation des budgets n’est pas nécessaire, le président américain fait campagne — gratuitement grâce à Twitter — en faveur de l’augmentation des budgets de la défense.

Conclusion

Dans un pays où les industriels maximisent leurs profits en déménageant leur production vers des pays où la main-d’œuvre est moins dispendieuse, le complexe militaro-industriel est le seul dont les entreprises ne procèdent jamais à des délocalisations.

Pour des raisons stratégiques, il est interdit de faire fabriquer à l’Étranger du matériel militaire de pointe.

Puisque tout le reste fout le camp, ce complexe occupe une importance croissance dans l’économie américaine.

Or, justement, ce complexe est un cancer. Afin de maintenir les emplois, il lui faut toujours de nouvelles guerres ou, à défaut, de nouvelles menaces de conflits armés qui stimulent les ventes.

Tout comme leur appui aux Talibans en Afghanistan avant les attentats de New York, les États-Unis ont choisi de laisser la Corée du Nord acquérir des technologies de plus en plus menaçantes.

Ce laisser-faire est un pari. Le pari que les dirigeants américains pourront y mettre fin quand bon leur semblera.

Si le président américain se préparait vraiment à la guerre, les États-Unis déplaceraient une colossale armada vers cette partie du monde.

Mais depuis sept mois, seuls les redoutables gazouillis présidentiels frappent sans relâche la Corée du Nord. Quand, épuisée, finira-t-elle par capituler ?

C’est à suivre…

Références :
Abattre un missile nord-coréen ? Une option risquée pour les Etats-Unis
Armes nucléaires en Corée du Nord
Axe du Mal
Corée du Nord : le dernier tir de missile balistique en six questions
Corée du Nord : jusqu’où peuvent aller les missiles de Pyongyang ?
Crise des missiles de Cuba
Crise des missiles nord-coréens de juillet 2006
Crise des missiles nord-coréens de 2013
Guerre d’Irak
Le coup de bluff de Trump avec la Corée du Nord
National missile defense
North Korea
Politique du rayon de soleil
Programme balistique nord-coréen : «Je suis bluffé par la rapidité avec laquelle ils avancent»
Trump offers to sell ‘sophisticated’ militari gear to Japan and South Korea
Trump prêt à une «guerre» avec la Corée du Nord
Trump promet à la Corée du Nord une riposte «sévère»
Trump says Japan should buy US military equipment to protect against North Korea

Parus depuis :
Menace nord-coréenne: le Japon haussera son buget de défense (2017-12-16)
Le chef de la CIA a rencontré Kim Jong-un (2018-04-18)

Détails techniques : Panasonic GH1, objectif Lumix 12-35mm F/2,8 — 1/500 sec. — F/7,1 — ISO 200 — 35 mm

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Écrit par Jean-Pierre Martel