Métro de Montréal : les statistiques de la désinformation

Le 20 juin 2017
Station Place des Arts

Depuis des années, les dirigeants de la Société de transport de Montréal (STM) refusent d’admettre le manque de fiabilité du métro.

Il y avait 794 interruptions de service en 2006, 980 en 2011, et 923 en 2016. En moyenne, c’est près de trois par jour.

En 2011, les porte-paroles de la STM justifiaient l’augmentation de 23% des pannes (en comparaison avec 2006) en expliquant que le prolongement du métro vers Laval avait augmenté de 29% la taille du réseau.

Statistiquement, cela faisait moins d’interruptions par kilomètre parcouru, plus précisément seulement 1/25e de panne par mètre du réseau.

Comme quoi on peut tout faire dire aux statistiques.

Il est normal que du matériel roulant tombe en panne. Mais j’ai eu l’occasion de prendre le métro à Barcelone, Berlin, Paris, Prague, Shanghai et Vienne, et je n’ai rencontré aucune panne au cours des trois à six semaines que j’ai passées dans chacune de ces villes.

Au contraire, il ne se passe pas une semaine sans que cela m’arrive à Montréal. La dernière fois, c’était cette panne d’une vingtaine de minutes, hier vers 14h.

Plus grave encore, les interruptions de plus d’une heure ont augmenté de 52% depuis l’an dernier, passant de 17 en 2015 à 26 en 2016.

Les porte-paroles de la STM font remarquer les pannes sont attribuables, dans la moitié des cas, à un facteur humain — une personne malade, quelqu’un sur la voie, un autre qui retient les portes — et non uniquement à des problèmes techniques.

Depuis qu’on a rendu presque impossible le suicide en se jetant du pont Jacques-Cartier, j’ai toujours pensé que les tentatives de suicide dans le métro avaient augmenté.

Les statistiques officielles suggèrent que ce n’est pas le cas. Mais je n’ai pas réussi à me convaincre que les suicidaires renoncent à s’enlever la vie lorsqu’on les prive d’un des moyens de le faire.

Dans tous les cas, il est clair qu’un certain nombre de personnes se jettent sur la voie afin de se suicider.

Portes-palières du métro de Shanghai

Le moyen de prévenir cela existe. Il est simple. C’est de faire comme à Paris, Zurich et Shanghai (ci-dessus), et de dresser entre les quais et les rails une paroi vitrée dont les portes ne s’ouvrent qu’à l’arrêt du train. Ces portes sont appelées portes-palières.

Mes dirigeants de la STM s’y refusent en déclarant que cela couterait trop cher.

Mais trop cher par rapport à quoi ? A-t-on calculé les millions d’heures-personnes perdues par les usagers qui sont prisonniers du métro en panne à chaque année ?

Non. Mais ce qu’on a calculé, c’est que la durée totale des interruptions enregistrées en 2016 (soit 183 heures) ne représente que 0,6% du temps de fonctionnement du métro.

Combien de centaines de milliers de personnes ont été affectées durant ces 183 heures ? Combien de dizaines de millions d’heures-personnes ont été perdues ?

Ça, on ne sait pas. Mais l’ignore-t-on parce que cela est impossible à calculer ou parce qu’on ne veut pas se donner la peine de faire ce calcul ?

On sait précisément à quels moments du jour surviennent ces pannes. On sait grosso modo, combien de personnes sont dans le métro à tout heure du jour. Donc il est très facile de calculer le nombre d’heures-personnes perdues à attendre la reprise du service.

La perte de productivité des travailleurs en retard au travail et les frais de taxi représentent des dépenses qui reviennent d’année en année alors que la construction d’un mur de protection est une dépense qui n’est pas récurrente.

On ne peut pas à la fois refuser de prendre les mesures qui s’imposent, et se disculper du manque de fiabilité du métro en blâmant les usagers.

La STM fait valoir que 97,5% des utilisateurs du métro arrivent à destination à l’heure. Elle oublie de dire que le manque de fiabilité du métro est chronique et qu’une partie des usagers partent au travail plus tôt que nécessaire au cas où ils seraient retardés par une panne.

Si la STM connait le pourcentage de gens qui arrivent à l’heure en dépit des pannes, c’est qu’elle leur a demandé. C’est qu’elle a fait un sondage qui lui a permis de le savoir. Leur a-t-elle demandé combien, en moyenne, ils dépensent en taxi parce qu’ils ne peuvent pas attendre le retour en service du métro ?

Ah, ça non plus, on ne sait pas. Comme c’est étrange; tout ce qu’on sait, ce sont les données qui permettent à la STM de justifier son laxisme.

Bref, de la désinformation.

En réalité, les dirigeants de la STM évitent de mettre dans l’embarras leurs patrons, ces autorités municipales qui refusent de leur donner les moyens d’améliorer la fiabilité du métro. Donc, on nie le problème pour protéger son job.

En retour, les autorités municipales justifient leur refus d’y consacrer les sommes nécessaires en citant les dirigeants de la STM qui affirment qu’il n’y a pas de problème ou s’il y en a un, c’est de la faute des usagers.

Tout se tient.

Comme je l’écrivais il y a cinq ans, le métro est beaucoup plus qu’un simple moyen de transport à Montréal : c’est une vitrine de l’expertise québécoise en matière de transport en commun.

Près d’un million de touristes visitent la métropole du Canada chaque année. Parmi eux, il y a des décideurs publics qui pourraient un jour avoir à adopter un devis de Bombardier pour la construction d’un métro dans leur ville. Quel intérêt verront-ils à lui accorder le contrat quand notre métro est si loin de susciter l’admiration et l’envie ?

Références :
Les arrêts de service du métro de Montréal à la hausse
Peut-on se fier au métro de Montréal ?
Près de mille interruptions de service en 2011 dans le métro de Montréal

Paru depuis :
Métro de Montréal: vers un record de pannes (2017-11-24)

Détails techniques : Panasonic GH1, objectifs Lumix 20 mm F/1,7 (1re photo) et Lumix 14-45 mm (2e photo)
1re photo : 1/40 sec. — F/1,7 — ISO 100 — 20 mm
2e photo  : 1/30 sec. — F/3,5 — ISO 125 — 14 mm

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3 commentaires à Métro de Montréal : les statistiques de la désinformation

  1. Daniel Hétu dit :

    Vous dites “On sait grosso modo, combien de personnes sont dans le métro à tout heure du jour. Donc il est très facile de calculer le nombre d’heures-personnes perdues à attendre la reprise du service.”
    Mais il faudrait aussi pouvoir ajouter à ce calcul le nombre de personnes qui ne sont pas encore dans le métro mais face, soit à des portes closes à l’entrée de la station, ou encore qui s’y dirigeaient !

    • Jean-Pierre Martel dit :

      C’est une remarque très judicieuse, M. Hétu.

      On dépense des centaines de millions de dollars à rémunérer de hauts fonctionnaires choisies en raison de leur allégeance politique (et non en raison de leur compétence) mais on hésite à prendre les mesures qui s’imposent pour sauver des vies humaines dans le métro…

      Voilà les priorités d’un gouvernement de Droite.

  2. sandy39 dit :

    UN SUICIDE POUR UN RETARD ?…

    Non, mais Moi, si je devais me suicider, je ne me jetterais pas sous les rails du train dans mon village ! Bien qu’il n’y a pas de barrières… alors, il n’y aurait plus qu’à attendre qu’il passe, à pas un kilomètre de chez Moi… Oh, et puis, je ne pourrais, jamais, me passer la corde au cou… trop dur le COUIC ! Je préférerais partir un peu plus loin, à pas 10 kilomètres, pour me jeter d’en haut, du Belvédère, à condition d’escalader la barrière pour le plus grand plongeon, l’ultime… si un jour, je ne trouvais plus l’inspiration…

    Sur ce Belvédère, j’ai toujours dit que je vous écrirais quelque chose sur votre voyage en Alberta parce que c’est un petit coin de France que l’on appelle : ” Le petit Canada “, dans certaines émissions à la télé…

    … OU UNE VIE DANS UNE AUTRE DIMENSION !

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