Doubler les dépenses militaires et la dénaturation du Canada

Publié le 25 mai 2017 | Temps de lecture : 7 minutes
Le ministre canadien de la Défense, M. Harjit Sajjan

Introduction

Depuis l’élection de Donald Trump, les États-Unis accusent les autres membres de l’OTAN de ne pas faire leur juste part dans la défense du monde occidental en raison de l’insuffisance de leur budget militaire.

En réalité, ce reproche n’est pas nouveau mais le nouveau chef d’État américain s’est fait beaucoup plus instant que son prédécesseur à ce sujet.

Qu’en est-il ?

Les dépenses militaires des membres de l’OTAN

En septembre 2014, les pays membres de l’OTAN se sont entendus pour augmenter leurs budgets militaires de manière à ce qu’en 2024, le niveau de leurs dépenses atteigne un minimum de 2% de leur produit intérieur brut (PIB).

Les motifs d’un tel engagement sont obscurs.

D’une part, il est vrai que depuis plusieurs années, la Russie et la Chine augmentent leurs dépenses militaires.

Si on exclut le cas particulier du nombre d’ogives nucléaires (dont la Russie possède un stock vieillissant mais toujours supérieure à celui des États-Unis), la supériorité américaine est écrasante; on estime que la force militaire américaine est de cinq à dix fois supérieure à celle de la Russie.

Conséquemment, même au taux d’augmentation actuel, ni la Russie ni la Chine ne sont en train de rattraper leur retard sur les États-Unis.


 
En 2016, des 28 membres de l’OTAN, seuls six respectaient déjà l’engagement pris pour 2024 : ce sont Les États-Unis, la Grèce, l’Estonie, le Royaume-Uni et la Pologne.

En montants absolus, leurs budgets militaires ne sont pas nécessairement les plus élevés mais ils sont les plus importants relativement à la taille de leur économie.

À 3,6% du PIB, le budget militaire américain est le plus élevé en raison d’une politique étrangère belliqueuse qui les amène utiliser la force militaire et à déclencher des guerres prédatrices sous n’importe quel prétexte. Par la même occasion, cela leur permet de tester l’efficacité et la fiabilité de leur matériel de pointe.

Pourquoi la Grèce, si endettée, est-elle en deuxième position avec 2,4% ? Parce qu’elle inclut le cout de la défense de ses frontières dans le calcul de ses dépenses militaires. Or la Grèce est à l’avant-scène de la crise migratoire européenne.

Ex-république soviétique et pays voisin de la Russie, l’Estonie vit dans la hantise d’un envahissement russe et de la déstabilisation de son économie par des agitateurs à la solde de Moscou. Son budget militaire (2,2%) en est le reflet.

De la troisième place en 2015, le Royaume-Uni occupe maintenant la quatrième en 2016 (avec 2,2%) puisque ce pays n’a plus les moyens de continuer d’être le fidèle accompagnateur des États-Unis dans leurs entreprises guerrières.

De 1990 à 2013, la Pologne a réduit ses dépenses militaires de 2,4% à 1,8%. Elles ont remonté à 2,0% depuis pour une raison précise; ce pays ambitionne de devenir un exportateur d’armement et, entretemps, subventionne massivement le développement d’un complexe militaro-industriel national.

Le cas canadien

Le Canada n’a que quatre voisins : la Russie, les États-Unis, les iles Saint-Pierre et Miquelon, et le Groenland.

La Russie ne se risquerait pas à envahir le Canada puisque cela mettrait en péril l’approvisionnement des États-Unis en matières premières et provoquerait immédiatement l’entrée de ce pays en guerre.

Si devenir un champ de bataille n’est jamais une perspective intéressante pour aucun pays, il est illusoire de penser que doubler nos dépenses militaires changerait l’issue d’un conflit.

Pour ce qui est des Américains, on voit mal pourquoi ils utiliseraient la force afin de s’emparer de ressources qu’ils obtiennent déjà pacifiquement.

Quant à la menace d’une attaque par les milices de Saint-Pierre et Miquelon ou par les Esquimaux du Groenland, notre budget militaire actuel devrait suffire à nos protéger de cette redoutable menace.

La dénaturation du Canada

Ce dont il est question ici, ce n’est pas de hausser de 1% le budget fédéral consacré aux dépenses militaires mais de consacrer à ce poste budgétaire une somme supplémentaire équivalent à 1% du PIB.

Le PIB du Canada est de 1 551 milliards$. Il s’agit donc de dépenser quinze-milliards$ de plus par année à ce sujet.

C’est l’équivalent de l’important contrat de blindés canadiens achetés par l’Arabie saoudite. Sauf qu’il ne s’agira pas d’une dépense étalée sur plus d’une décennie, mais répétée annuellement par le Canada.

De plus, comme le contrat défunt des chasseurs F-35, il est à prévoir qu’il s’agira en bonne partie pour le Canada d’achats d’armements américains pour lesquels notre pays n’obtiendra que très peu de retombées économiques.

Les différents postes budgétaires de l’État sont des vases communicants. Dans la perspective où les États-Unis s’apprêtent à réduire substantiellement l’impôt des entreprises, où donc l’État canadien trouvera-t-il l’argent supplémentaire pour la Défense nationale sinon en diminuant le filet de protection sociale qui constitue une caractéristique fondamentale du pays ?

En somme, que les Canadiens élisent un gouvernement de gauche ou de droite, il suffit de doubler les dépenses militaires canadiennes pour forcer le gouvernement fédéral à virer à Droite, peu importe la volonté exprimée démocratiquement par les citoyens du pays.

Et toute réduction appréciable du taux d’imposition aux entreprises décrété par Washington rendra encore plus inévitable et dramatique le démantèlement du filet de protection sociale canadien, devenu trop onéreux.

Sur les 250 milliards$ de dépenses fédérales, la majorité de cette somme est incompressible. Pour accroitre les dépenses militaires de quinze-milliards$, le choix de l’État fédéral sera entre hausser de beaucoup la fiscalité des particuliers ou effectuer des coupures draconiennes dans les postes budgétaires autres que celui de la Défense nationale.

Sous les motifs obscurs d’engagements internationaux, ce dont il est question est d’obliger le Canada à revêtir volontairement une camisole de force budgétaire qui le condamne à appauvrir son propre peuple pour engraisser le complexe militaro-industriel américain.

Références :
Le Canada prêt à doubler son budget de défense d’ici 2024
Les dépenses de défense des pays de l’OTAN (2009-2016)
Les pays de l’Otan dépensent toujours moins en matière de défense
Les 25 ans de l’OTAN
Ottawa tente de comptabiliser différemment ses dépenses militaires
Sommet de l’OTAN sous pression pour Justin Trudeau
Trump qualifie l’OTAN d’organisation «obsolète»
Quels pays ont le plus augmenté leur budget militaire? La réponse en carte

Parus depuis :
OTAN : Le Canada n’atteindra jamais les cibles de dépenses, a admis Trudeau (2023-04-19)
L’OTAN et le secret canadien : l’argent n’est pas le plus gros problème de notre armée (2024-07-04)

Détails techniques : Olympus OM-D e-m5 mark II, objectif M.Zuiko 75mm F/1,8 — 1/160 sec. — F/1,8 — ISO 6400 — 75 mm

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