Repenser les tribunaux

Publié le 7 mai 2017 | Temps de lecture : 6 minutes

Introduction

Le 8 juillet 2016, par l’arrêt Jordan, la Cour suprême du Canada a fixé une durée maximale de 18 mois pour les procès devant les cours provinciales et de trente mois pour ceux devant les cours supérieures.

Tout délai au-delà de ces plafonds est présumé contraire au droit constitutionnel d’un citoyen d’être jugé dans un délai raisonnable.

Depuis cette décision, les cours du Québec ont reçu près de mille demandes d’arrêts de procédure, dont la moitié en matière criminelle.

La réponse des gouvernements du Québec et d’Ottawa a été de nommer quelques juges de plus.

Ceci n’est qu’un cataplasme sur une jambe de bois. L’arrêt Jordan est une occasion de repenser les tribunaux.

Étendre le pouvoir d’amendes

Qu’arrive-t-il lorsqu’un automobiliste est arrêté pour excès de vitesse ? Le policier dresse un constat d’infraction et impose une amende.

Qu’arrive-t-il lorsqu’une automobile est mal stationnée ? Un employé municipal — qui n’est même pas policier — rédige une contravention.

Et dans l’immense majorité des cas, l’amende est payée par le contrevenant. Seule une minorité des cas sera portée à l’attention des tribunaux.

Dernièrement en France, un candidat à la présidence a suggéré d’étendre le pouvoir d’amende aux petits méfaits. Et c’est seulement en absence de paiement qu’une véritable procédure pénale serait intentée.

Plus de 80% des vols à l’étalage sont classés sans suite.

Dans le cas d’un vol mineur, quel commerçant voudra se rendre en cour pour témoigner alors que l’accusé — surtout s’il a droit à l’assistance juridique — se fera un plaisir de faire remettre l’audition de sa cause, sachant que de guerre lasse le commerçant finira bien par retirer sa plainte.

Ce candidat présidentiel suggère que dans le cas de vol à l’étalage et de possession simple de drogue, les policiers aient le pouvoir d’imposer une contravention.

Au Québec, on pourrait ajouter les infractions pour tapage nocturne. Puisqu’aucune arrestation n’est nécessaire, un employé de la ville n’appartenant pas à la force policière pourrait à la fois rédiger le constat d’infraction et donner l’amende.

Les tribunaux alternatifs

Il existe déjà un certain nombre de tribunaux administratifs où les sentences sont imposées par des avocats sans que ces derniers aient accédé à la magistrature.

C’est ainsi que le comité de discipline de tous les ordres professionnels est présidé par un avocat assisté de deux membres de l’ordre en question qui, tous trois, font office de juges sans l’être.

Des milliers de sentences sont imposées annuellement par ces comités de discipline, libérant d’autant la magistrature.

Évidemment, on peut en appeler de leurs décisions devant les tribunaux ordinaires, ce qui n’arrive que dans une minorité des cas.

Dans les villages africains, la justice est rendue par un conseil de sages dont l’autorité est reconnue par les villageois. C’est devant eux que les causes sont entendues et les coupables sanctionnés.

Au contraire, dans nos pays, les juges et les avocats forment une caste sociale richissime qui s’autoalimente de procédures et d’appels, et qui font coïncider leur intérêt personnel et l’intérêt des riches clients à étirer les procédures afin de ruiner les plaignants ou les forcer à accepter des règlements hors cour qui sont des dénis de justice.

Il faut casser ce monopole dont l’effet le plus pernicieux est de nuire à l’accessibilité économique aux tribunaux.

La très grande majorité des citoyens n’ont pas les moyens d’intenter une poursuite ou de subir un procès.

Dans les causes civiles, tout l’appareil juridique est essentiellement au service du 1%. Ce 1% dont font partie les juges et les avocats. En somme, la classe juridique tient la justice en otage afin d’en tirer le maximum d’avantages personnels.

Pour 99% des citoyens, intenter des recours juridiques n’est une solution envisageable que lorsque le préjudice subi est tel qu’il est substantiellement au-delà des frais d’avocat que pourrait entrainer un procès. Pour le 1%, c’est un moyen d’assurer sa suprématie sociale et son impunité face aux simples citoyens.

Aux États-Unis, les juges de première instance sont des avocats choisis à l’occasion d’élections auxquels tous les citoyens sont invités à participer.

D’où l’idée de créer des tribunaux populaires sur lesquels des citoyens élus pourraient siéger. Ces citoyens n’auraient pas besoin d’avoir une formation juridique. Ces tribunaux ne pourraient imposer que des amendes inférieures à un plafond relativement bas et conséquemment, régler des conflits mineurs comme des chicanes de clôture.

Le temps consacré à la présentation de la preuve serait limité à quinze minutes par partie et la décision de la cour devrait être rendue sur-le-champ (jamais en délibéré).

Conclusion

La solution retenue pour régler la thrombose judiciaire est une solution à courte vue. Elle ne règle pas le problème fondamental de la justice canadienne qui en est un d’accessibilité économique.

S’il fallait que tous les citoyens aient les moyens d’accéder à la justice, cette thrombose judiciaire reviendrait aussitôt et il faudrait alors nommer des milliers de juges supplémentaires.

Bref, nommer davantage de juges n’est pas la solution. La véritable solution, c’est de réserver la profession juridique aux affaires criminelles, aux délits majeurs et à la défense des droits fondamentaux des citoyens.

Le reste, c’est du gaspillage.

Références :
Tribunaux administratifs au Québec
Que dit exactement l’arrêt Jordan?

Paru depuis :
Plaidoyer contre les dérives des conditions de libération (2018-04-09)
Multiplication des longs délais dans des enquêtes : « On va frapper un mur » – UPAC (2022-12-03)

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