Pratiques religieuses et choix de société

2 novembre 2016

En juin 2015, le gouvernement Couillard présentait le projet de loi 62. Celui-ci défend le principe de la neutralité religieuse de l’État.

La neutralité, c’est vivre et laisser vivre. C’est permettre à n’importe qui d’être différent tant qu’il n’essaie pas d’obliger les autres à devenir comme lui.

Le projet de loi libéral va même jusqu’à laisser les représentants de l’État (policiers, juges, et gardiens de prison, entre autres) libres de porter des signes d’appartenance religieuse. Une de ses rares contraintes est l’obligation de donner ou de recevoir des services de l’État à visage découvert.

Farouchement opposé à la défunte Charte de la laïcité du gouvernement Marois, j’appuie le projet de loi libéral.

Alors que la plupart des opposants à ce projet de loi lui reprochent de ne pas aller assez loin, les organismes de défense des droits de l’Homme se sont opposés à ce projet de loi pour des raisons opposées.

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Hier en commission parlementaire, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse a accusé le gouvernement libéral de brimer les droits constitutionnels des femmes niqabées et de celles qui portent la burka.

De son côté, la Ligue des droits et libertés a accusé le gouvernement libéral de permettre le profilage religieux à l’encontre d’une partie des Musulmanes.

Personne ne peut reprocher aux organismes de défense des droits de la personne de défendre les droits individuels; c’est leur rôle.

On doit toutefois réaliser que dans ce bas monde, rien n’est sacré. Toutes les lois et tous les règlements restreignent d’une manière ou d’une autre notre droit de faire ce qu’on veut.

La question est de savoir si ces contraintes sont justifiées. Et dans le cas précis des lois qui vont à l’encontre de dispositions constitutionnelles, on doit se demander si le but recherché est important au point de justifier l’invocation de la clause dérogatoire de la Canadian Constitution.

Le reproche que j’adresserais aux organismes de défense des droits de l’Homme serait de sous-estimer profondément les conséquences de leur prise de position dogmatique.

Les imams qui prêchent l’obligation du port du niqab interdisent également la mixité.

Selon eux, non seulement la femme portant le niqab doit-elle éviter tout contact physique avec des étrangers (donc pas de poignée de main), mais elle doit vivre dans un environnement de travail où hommes et femmes ne se rencontrent pas.

Concrètement, si le gouvernement québécois veut embaucher une femme niqabée, il devra se préparer à aménager des bureaux, des couloirs, des ascenseurs et des aires de repos au sein desquels jamais hommes et femmes ne se côtoient. Sinon l’État obligera cette employée à aller à l’encontre de ses convictions religieuses.

En plaidant le respect absolu des convictions religieuses, la Commission des droits de la personne ne sait pas dans quoi elle s’embarque.

Le Wahhabisme — la religion d’État de l’Arabie saoudite — n’interdit pas seulement la mixité; ses exigences tatillonnes vont aussi loin que d’interdire d’uriner dans la direction de la Mecque. J’espère qu’on n’en viendra pas à modifier l’orientation des toilettes dans tous les édifices publics pour satisfaire les principes naïfs des défenseurs des droits de l’Homme.

Autoriser le port du niqab ou de la burka par les représentants de l’État sur la seule base des droits constitutionnels, cela n’est que le début d’une longue suite d’exigences religieuses qui, en fin de compte, obligeraient le Québec à adopter l’Arabie saoudite comme modèle de société.

Alors où donc tracer la ligne ?

Ma réponse est simple : la ligne est celle déjà tracée par le projet de loi 62.

En somme, la décision d’obliger la prestation de service à visage découvert est un choix de société. Et ce choix, nous le faisons nôtre.

Et si le Canada anglais pense le contraire, c’est son droit. Nous le respectons. Mais il est hors de question que le reste du pays nous dicte comment sera façonnée la société québécoise.

Conséquemment, le gouvernement Couillard devra se résoudre à invoquer la clause dérogatoire de la Canadian Constitution.

C’est la seule solution. Cela est d’autant plus facile que ce n’est pas notre constitution, c’est leur constitution.

Références :
La Charte de la laïcité : un mauvais départ
La Commission des droits de la personne juge le projet de loi 62 discriminatoire
Le projet de loi libéral au sujet de la neutralité de l’État (2e partie : laïcité vs neutralité religieuse)
Port du voile en hausse parmi les musulmanes au Canada

Parus depuis
Le Maroc interdit la fabrication et la vente de la burqa (2017-01-10)
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La CEDH juge «nécessaire» l’interdiction du voile intégral dans l’espace public (2017-07-12)
Le Danemark veut interdire le voile intégral dans les lieux publics (2018-01-06)
Denmark passes law banning burqa and niqab (2018-05-31)
L’Algérie interdit le port du niqab sur le lieu de travail (2018-10-19)
Switzerland to ban wearing of burqa and niqab in public places (2021-03-07)

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Écrit par Jean-Pierre Martel