Introduction
Précédemment, nous avons vu la première stratégie militaire utilisée par l’Occident en vue d’une guerre éventuelle contre la Russie. C’est l’encerclement; il consiste retourner contre elle ses anciennes républiques soviétiques.
Dans ce volet-ci, nous verrons le deuxième moyen utilisé : c’est l’isolement, c’est-à-dire la privation d’alliés parmi les producteurs de pétrole.
Toujours dans la perspective d’un conflit armé avec la Russie, l’Occident veut lui rendre plus difficile l’accès à des hydrocarbures hors de son territoire.
Au Maghreb, au Proche et au Moyen-Orient, la Russie comptait quatre pays alliés — la Libye, la Syrie, l’Irak et l’Iran — tous, à des degrés divers, producteurs de pétrole.
Le premier à tomber fut l’Irak.
L’Irak
Déclenchée officiellement en mars 2003, la guerre en Irak avait pour but de libérer le pétrole irakien de l’embargo international dont il était l’objet, d’inonder les marchés mondiaux afin d’en faire baisser le prix, et ce au profit des économies énergivores comme l’économie américaine.
L’invasion et l’occupation militaire de l’Irak avaient également pour but de priver la Russie d’un de ses alliés.
Cette guerre éclair débute le 20 mars 2003 et se termine le 1er mai suivant. Recherché, Saddam Hussein est arrêté en décembre 2003 et exécuté trois ans plus tard.
Et de un.
La Libye
Après la Tunisie en décembre 2010 et l’Égypte le mois suivant, le Printemps arabe gagne la Libye (le pays entre les deux) en février 2011.
Mais au lieu d’abandonner le pouvoir comme ses homologues de Tunisie et d’Égypte, le dictateur libyen s’accroche et écrase brutalement les révoltes.
Afin d’aider les insurgés, les chasseurs-bombardiers de l’OTAN entrent en action le 19 mars 2011. Ils détruisent les défenses aériennes du pays, des chars d’assaut et des véhicules blindés, de même que des dépôts de munition.
Dans les régions sous le contrôle des rebelles, la France parachute des lance-roquettes, des fusils d’assaut, des mitrailleuses et missiles antichars Milan.
Le dictateur libyen meurt le 20 octobre 2011. Les opérations de l’OTAN cessent dix jours plus tard. Depuis, le pays est livré au chaos et à l’anarchie.
Et de deux.
La Syrie
Après l’échec du Printemps arabe, la guerre en Syrie s’est transformée en guerre par procuration où des mercenaires étrangers — équipés et financées par l’Arabie saoudite, la Turquie et le Qatar — combattent le régime de Bachar el-Assad en vue de le remplacer par un régime islamiste.
Au début, les pays occidentaux se réjouissaient à l’idée de se débarrasser d’un troisième allié russe en si peu de temps.
Mais dès juillet 2012, les services de renseignements informaient les dirigeants américains des véritables enjeux, refroidissant d’autant leurs ardeurs à renverser le dictateur syrien.
Pendant cinq ans, les 10 600 frappes américaines bombarderont l’État islamique de manière à limiter son expansion territoriale sans toutefois chercher à l’anéantir, et ce de manière à faire perdurer l’insécurité qui amène les pays voisins à multiplier les achats d’armements en Occident.
Mais l’intervention russe à la fin de 2015 marque un tournant dans cette guerre. Pour Poutine, il devenait important de stopper la politique d’isolement de la Russie et de démonter — sur le tard il est vrai — que son pays n’abandonne pas ses amis.
D’autre part, aveuglée par son désir de renverser Bachar el-Assad, la Turquie a longtemps été un lieu de transit et un refuge pour les djihadistes qui voulaient combattre en Syrie. Mais à coucher avec des guêpes, on finit toujours par se faire piquer. À la suite de plusieurs attentats terroristes, Erdoğan a soudainement réalisé le risque sécuritaire que ces barbares comportaient pour son propre pays.
S’il est impossible de prévoir le sort de Bachar el-Assad lui-même, il semble bien son régime brutal sortira victorieux de cette guerre, ce qui maintiendra l’alignement du pays avec la Russie.
Pour l’instant, c’est une victoire militaire occidentale mitigée dans la mesure où la Russie — si elle conserve toutes ses bases militaires en Syrie — n’a toutefois pas accès aux champs pétroliers du pays, sous contrôle de l’État islamique.
Et de deux et demi.
L’Iran
Depuis la fin de l’embargo décrété par l’ONU contre l’Iran (en raison de son programme nucléaire), l’Arabie saoudite est furieuse.
Elle veut le déclenchement d’une guerre ‘préventive’ contre ce pays, c’est-à-dire l’attaquer avant qu’il n’ait eu le temps de se remettre des sanctions internationales.
Mais le président Obama a ordonné à l’Arabie saoudite de s’entendre avec ses voisins (ce qui vise spécifiquement l’Iran).
Ce message a été très mal reçu par la dictature saoudienne.
Conséquemment, l’Arabie saoudite a multiplié les rumeurs d’achats d’équipement militaire français, histoire de dire aux Américains : « Voyez l’argent que vous pourriez perdre si vous ne cédez pas à notre volonté.»
Entretemps, la dictature saoudienne ronge son frein dans l’attente du choix du prochain président américain.
En cas de guerre avec l’Iran, il est certain que la Russie sera derrière ce pays. Si les États-Unis se laissent entrainés dans un conflit déclenché en dépit de leur interdiction formelle, concrètement cela veut dire que l’armée américaine se battra contre l’armée russe au Moyen-Orient. En d’autres mots, c’est le déclenchement de la Troisième Guerre mondiale.
D’autre part, l’Iran étant plus peuplé que la Libye, la Syrie et l’Irak réunis, l’Europe acceptera-t-elle d’être entrainée malgré elle dans un conflit qui créera des millions de réfugiés supplémentaires qui frapperont à ses portes ?
Si ce n’est le souhait d’aucun pays occidental, peut-être serait-il sage de cesser de vendre des armes aux pays qui s’y préparent, notamment l’Arabie saoudite, championne mondiale de l’achat d’armements.
Conclusion
La stratégie occidentale qui consiste à priver la Russie de ses alliés se solde par une réussite partielle; c’est l’effondrement de l’État libyen et l’émergence d’un nouvel État irakien.
Le réveil tardif de la Russie sonne toutefois le glas de la poursuite de cet stratégie d’isolement.
L’affaiblissement stratégique de la Russie s’accompagne de l’affaiblissement politique de l’Union européenne, profondément divisée au sujet de l’attitude à adopter face à la plus importante crise humanitaire depuis la Seconde Guerre mondiale. Une crise qui résulte directement de la stratégie militaire occidentale au Moyen-Orient.
Références :
Comment la géopolitique du pétrole explique la crise en Irak
Contestation en Arabie saoudite en 2011
Declassified Department of Defense Report (2012-07-30)
Économie de l’Irak
Guerre d’Irak
Intervention militaire de 2011 en Libye
L’Arabie saoudite, championne du monde des achats d’armements
L’éclipse russe de la Syrie
Le Rafale a-t-il réellement une chance en Arabie Saoudite ?
Libye: La France a parachiuté des armes aux insurgés
Printemps arabe
Rafale : le contrat avec le Qatar pour la vente de 24 chasseurs est effectif
Relations entre l’Iran et la Russie
Soulèvement bahreïni
The Obama Doctrine
Sapristi, M.Martel, comment pouvez-vous avoir autant de temps pour analyser cet ensemble de faits qu’il est impossible pour le commun des mortels de connaître ou d’assimiler. Sans oublier vos fleurs et les festivals en tout genre ? Je me fais le porte-parole de tous vos fans (recours collectif !) pour exiger les explications qui s’imposent. :o) De la transparence s’il vous plaît ! (o: Un gros MERCI bien cordialement, PP
Presque tous les matins, je lis successivement les versions électroniques du Devoir, de Radio-Canada, de La Presse, du Monde (Paris) et du Guardian de Londres.
En politique internationale, il y a plein de nouvelles contradictoires parce que tous les gouvernements mentent. De plus, beaucoup d’États dissimulent leurs sombres desseins sous de beaux principes trompeurs.
Le truc est de ne retenir que les faits, c’est-à-dire ce que les gouvernements font et non pas ce qu’ils disent. De plus, il faut être à l’affut des demi-vérités utilisées comme écran de fumée pour fausser notre jugement.
Quant aux petits détails, ils sont généralement une distraction mais parfois les révélateurs d’une réalité bien concrète. Il ne faut donc pas les sous-estimer mais savoir les oublier quand ils sont une nuisance, notamment les intrigues de palais et ceux relatifs à la pipolisation des dirigeants politiques.
Une fois qu’on a compris le pourquoi des choses, lorsque tout devient clair, il ne me reste plus qu’à trouver les mots pour le dire.
Ce qui me laisse le temps, en après-midi, de faire une visite au Jardin botanique situé près de chez moi ou, en soirée, d’apprécier des spectacles.
Voilà la belle vie que je mène.
Pour terminer, je tiens à vous remercier, Monsieur Pinsonnault, pour votre aimable commentaire.
Mon commentaire était aimable … parce qu’intéressé (o:
En effet, depuis près d’un mois je suis abonné au magazine Foreign Affairs fondé en 1922. Cette lecture me ravit tout comme celle de vos écrits dans ce domaine qui complètent quelques fois ce que j’ai pu comprendre d’un ou plusieurs articles contenus dans le magazine. Ne nous abandonnez donc pas, s’il vous plaît, car vous êtes très intéressant surtout que vous nous référez à vos sources immédiatement accessibles.
Sur son site, à About Foreign Affairs on lit le but poursuivi par ce magazine.
https://www.foreignaffairs.com/
«.. published by the Council on Foreign Relations (CFR), a non-profit and nonpartisan membership organization dedicated to improving the understanding of U.S. foreign policy and international affairs through the free exchange of ideas…»
Avec toutes ces lectures je commence à mieux comprendre ce qui se passe véritablement sur notre planète Terre.
Bonne fin de journée.
Pour les nouvelles internationales, après le quotidien britannique The Guardian, mon autre source principale d’information est le magazine bimestriel La Revue.
Son site web ne rend pas justice à la richesse de son contenu. On peut en avoir un indice par les nombreuses références à cette revue dans mes articles de faits divers.
Mais plus importante que la variété des sujets est l’intelligence de ses collaborateurs.
Si vous vous intéressez aux affaires du monde autant que je le crois, je vous invite à vous y abonner. Je le suis.
Les numéros individuels — de 150 à 200 pages ! — coutent 8,50$ tandis qu’en aout 2015, mon abonnement pour deux ans m’a couté 101 euros.
Merci beaucoup M. Martel pour La Revue de nov-déc 2015 que vous m’avez transmise par poste terrestre le 26 juillet dernier. Les sujets traités sont assurément fort intéressants et variés en effet. Je n’en finis plus de passer d’un article à un autre. Quelle belle histoire que de savoir qu’il y a autant d’intelligences qui scrutent ce qui se passe dans le monde et savent nous résumer leurs conclusions. Et il me semble que nous pouvons faire confiance aux faits rapportés. Ce n’est pas rien. Cette revue mérite bien son nom : «LA REVUE pour l’intelligence du monde». Merci bien encore !
De rien.
J’attire votre attention sur un tout petit détail : le rédacteur en chef et plusieurs membres du Conseil éditorial ont des noms qui font très ‘arabes’.
Ceux-ci nous donnent du monde musulman, un regard beaucoup plus subtil que les stéréotypes colportés par les agences de presse occidentales.
En lisant cette revue, j’ai l’impression d’entendre discourir, sur une foule de sujets, les plus brillants intellectuels occidentaux francophones.
Les voilà qui m’entretiennent des grands problèmes internationaux, et ce pour beaucoup moins cher que le prix de la collation et des breuvages que j’aurais à leur servir si je les accueillais chez moi.
Au final, c’est en simplifiant leur propos et en vulgarisation leurs concepts que moi-même, en tant que rédacteur d’un blogue, je peux paraitre plus intelligent que je le suis.
Quelle opportunité…