Un lipogramme est un texte dans lequel l’auteur a choisi de ne pas utiliser spécifiquement une ou plusieurs lettres de l’alphabet. Ou certains mots, comme les pronoms ‘que’ ou ‘qui’. Ou tout adjectif.
C’est ainsi que Georges Perec — un auteur dont la lettre ‘e’ forme à elle seule le tiers du nom — a écrit La Disparition sans que jamais cette voyelle n’apparaisse dans ce roman.
Comment est-ce possible ? En voici un extrait :
« Là où nous vivions jadis, il n’y avait ni autos, ni taxis, ni autobus : nous allions parfois — mon cousin m’accompagnait — voir Linda qui habitait dans un canton voisin. Mais, n’ayant pas d’autos, il nous fallait courir tout au long du parcours; sinon nous arrivions trop tard : Linda avait disparu.
Un jour vint pourtant où Linda partit pour toujours. Nous aurions dû la bannir à jamais; mais voilà, nous l’aimions. Nous aimions tant son parfum, son air rayonnant, son blouson, son pantalon brun trop long; nous aimions tout.
Mais voilà tout finit : trois ans plus tard, Linda mourut; nous l’avions appris par hasard, un soir, au cours d’un lunch.»
Pas un seul ‘e’. Et ce, nulle part dans les 300 pages de ce roman.
Mais ce n’est pas tout.
Le roman a été traduit dans une dizaine de langues. Il l’a été parce que son histoire est intéressante. Toutefois, certains traducteurs ont décidé de se soumettre eux aussi à la contrainte créatrice du romancier.
C’est ainsi que la traduction espagnole, El secuestro — ce qui signifie L’Enlèvement — parue en 1997, n’utilise pas de ‘a’. La version russe Исчезание — ce qui signifie Fade — paru en 2005, omet plutôt le ‘o’.
Si Georges Perec avait fait disparaitre le ‘e’ de son écriture romanesque le temps d’écrire La Disparition en 1969, il fait revenir cette voyelle en force trois ans plus tard puisque c’est la seule utilisée dans Les Revenentes, publié en 1972. Toutefois, il s’agit d’un retour un peu forcé, qui oblige l’auteur à certaines licences orthographiques (comme Revenentes qui devrait s’écrire Revenantes).
Références :
Georges Perec
La Disparition (roman)
Lipogramme
Complément de lecture : Le cadavre exquis