L’option alternative d’un pipeline court

Publié le 7 novembre 2015 | Temps de lecture : 6 minutes
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Introduction

‘Énergie Est’ est le nom d’un projet de la compagnie TransCanada visant à construire un pipeline de 4 600 km destiné à transporter quotidiennement 1,1 million de barils de pétrole brut de sites d’extractions situés dans l’Ouest canadien vers un port en eau profonde à construire au Nouveau-Brunswick.

Au cours des dernières décennies, on a beaucoup fermé de raffineries dans l’Est du pays. Conséquemment, cet approvisionnement dépassera de beaucoup la capacité de raffinage au Canada. Une bonne partie du pétrole brut sera donc exporté vers des raffineries américaines et étrangères, créant principalement des emplois à l’Étranger.

Les richesses naturelles enfouies dans le sol du pays étant la propriété du peuple canadien, les pétrolières se voient donc offrir gratuitement cette richesse en contrepartie d’obligations qui — malgré leur importance sur papier — sont une bagatelle en comparaison avec les revenus immenses que se partageront leurs actionnaires une fois le pipeline construit.

Privatiser la richesse, étatiser le risque

En vertu de la Constitution canadienne-anglaise de 1982, le transport interprovincial de marchandise est un domaine de compétence constitutionnelle exclusif du fédéral.

Autrefois, le gouvernement fédéral assumait totalement les conséquences financières des lacunes de sa gestion du risque dans les domaines exclusifs de sa compétence.

Depuis la catastrophe de Lac-Mégantic — la pire catastrophe environnementale de l’histoire du Canada — ce n’est plus vrai; Ottawa ne paie que la moitié de la facture, refilant le reste à la province et aux municipalités affectées.

Puisque le tracé d’Énergie Est (en bleu sur la carte ci-dessus) traverse les trois quarts du Canada, il apparait donc insensé qu’on expose la grande majorité de la population canadienne au risque inévitable d’une autre catastrophe environnementale, sachant que dans l’éventualité de celle-ci, TransCanada filera à l’anglaise (comme l’a fait la MMA à Lac-Mégantic), laissant les Canadiens pleurer leurs morts et payer la facture.

Si on prend pour acquis que l’exploitation et l’acheminement du pétrole albertain est une bonne chose (un prérequis à la discussion auquel de nombreux lecteurs seront en désaccord), j’aimerais proposer une alternative au tracé d’Énergie Est.

Le tracé court : avantages et inconvénients

Ma suggestion est simple : obliger le raffinement du pétrole sur place, en Alberta, et l’acheminer à un port en eau profonde situé dans la baie d’Hudson. De là, le pétrole raffiné serait expédié par bateau aux lieux de sa consommation à travers le monde. C’est le tracé en vert sur la carte ci-dessus.

Pour l’Alberta, cette suggestion permettrait de relancer leur industrie pétrolière, durement touchée par l’effondrement des prix des hydrocarbures, en y augmentant la valeur ajoutée du pétrole, plutôt que d’exporter cette ressource brute à l’Étranger.

Pour les populations du Manitoba, de l’Ontario, et du Québec, on les libère du risque d’une catastrophe.

Les habitants du Nouveau-Brunswick ne perdent rien de ce qu’ils ont déjà. Toutefois, ils sont privés de la création d’emplois reliés à la construction prévue d’un terminal pétrolier et à l’accroissement de la capacité de raffinement dans leur province.

Au premier abord, les peuples autochtones de la baie d’Hudson sont les grands perdants puisqu’on transfère sur leur dos un risque environnemental qu’on soulage ailleurs.

Or leur acceptation au projet du pipeline court est, à mon avis, une condition sine qua non à sa réalisation.

Voilà pourquoi je propose que les peuples autochtones aient priorité à l’embauche et qu’au minimum 80% des emplois leur soient accordés.

D’autre part, la législation québécoise prévoit que dans le cas d’infrastructures (autoroutes, écoles, hôpitaux, etc.), un pour cent du budget soit consacré à la création d’oeuvres artistiques.

Le Grand-Nord canadien a une économie de subsistance et les peuples qui l’habitent sont aux prises avec des problèmes sociaux importants (alcoolisme, abus de drogue, violence conjugale, etc.).

Un pour cent du budget de l’ensemble de ce projet devrait être consacré à la réalisation des priorités sociales et culturelles déterminées par les leaders autochtones.

Énergie Est représente un projet de douze milliards de dollars. Un fonds d’indemnisation d’un milliard de dollars devrait être créé et géré indépendamment du transporteur pétrolier.

Ce fonds serait destiné à dédommager sur-le-champ les victimes de toute catastrophe environnementale qui pourrait résulter de ce projet, sans qu’ils aient besoin de s’adresser aux tribunaux.

Conclusion

La construction d’un pipeline qui expose les deux tiers de la population canadienne au risque d’une défaillance mécanique inévitable est une folie.

Toutefois, c’est la solution la plus économique et il a fallu un gouvernement totalement inféodé à l’industrie pétrolière pour souscrire aveuglément à ce projet.

Le régime Harper était un gouvernement qui jugeait le peuple canadien stupide. Conséquemment, seul un choix simple, binaire, lui était proposé; pour ou contre le projet Énergie Est. En somme, seul le choix maximisant les profits de l’industrie était promu par ce gouvernement.

Je suis convaincu de ne pas être le premier à penser à la solution d’un pipeline court, tellement ses avantages sont évidents. Mais sous ce gouvernement autoritaire, hostile à toute contradiction de la part de ses fonctionnaires, il ne semble pas qu’on ait jugé bon proposer une solution autre que celle décidée d’avance par le bureau du premier ministre.

Maintenant que nous avons un nouveau gouvernement à Ottawa, le temps est venu d’inscrire la politique énergétique canadienne dans le contexte d’une stratégie globale de développement économique du pays.

Le projet que je propose comporte d’autres risques, mais qui affectent beaucoup moins de Canadiens. Voilà pourquoi l’alternative d’un pipeline court devrait être envisagée. Et le choix à faire à ce sujet devrait placer l’intérêt du pays au-dessus de l’intérêt privé des pétrolières et de leurs actionnaires.

Référence : Oléoduc Énergie Est

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4 commentaires à L’option alternative d’un pipeline court

  1. Pierre Pinsonnault dit :

    M. Martel, cette suggestion fort intéressante commanderait beaucoup d’autres études et discussions, j’imagine. N’est-ce pas trop compliqué pour le commun des mortels dont je suis à ce sujet ?

    • Le 21 septembre 2014, les 35 000 citoyens de Sorel-Tracy ont eu la surprise de voir accoster un superpétrolier au quai de leur ville.

      C’est qu’en catimini, le gouvernement Harper a modifié la règlementation qui limitait la taille des navires pouvant naviguer sur le fleuve Saint-Laurent de manière à y permettre la circulation de navires de type Panamax (d’une capacité de 79 millions de litres de pétrole).

      C’est là le volet ultime d’une politique qui vise à utiliser tous les pouvoirs du fédéral afin de transformer l’étroite vallée du Saint-Laurent en autoroute du pétrole albertain.

      En effet, après le blocage du transport du pétrole vers l’océan Pacifique, puis vers les États-Unis en raison du véto du président américain, la vallée du Saint-Laurent — la partie fertile où se concentre essentiellement la population du Québec — est devenue le goulot d’étranglement par lequel toute la production pétrolière canadienne doit passer si on veut l’exporter.

      En Ontario, au contraire, le tracé d’Énergie Est court-circuite presque toutes les zones industrielles et densément peuplées.

      Le fédéral a la responsabilité exclusive du transport ferroviaire ? Il a supprimé tous les obstacles au transport par train du pétrole au Québec (aucune inspection préventive et dérèglementation absolue). Pour le seul mois de janvier 2014, 17 000 wagons de pétrole ont traversé le Québec.

      Il a la responsabilité exclusive du transport des hydrocarbures par oléoduc ? Il a aveuglément fait siens tous les projets de l’industrie dont celui d’Énergie Est. Si ce dernier se réalise, plus d’un million de barils de pétrole traverseront chaque jour le Québec par pipeline.

      Et il a la responsabilité exclusive du transport maritime et fluvial au pays ? Il a permis la navigation des superpétroliers partout où cela est possible (c’est-à-dire au Québec puisque les écluses de la voie maritime du Saint-Laurent ne sont pas conçues pour leur permettre de remonter jusqu’aux Grands-Lacs). De plus, il compte effectuer d’importants travaux de dragage afin de l’accroitre là où cela pose encore des risques dans le fleuve.

      Et pour couronner le tout, il a adopté une législation qui fait en sorte que tout groupe de citoyens (comme Équiterre ou Greenpeace) qui voudrait faire obstacle au passage du pétrole (blocage de routes, sit-in de protestation, etc.) est dorénavant considéré comme un groupe terroriste.

      Nous avons reçu de nos ancêtres un pays à l’air sain, aux rivières claires, aux forêts immenses et giboyeuses.

      Quel jugement porteront sur nous nos enfants alors que nous laisserons un paysage lunaire, conséquence des activités d’industries supranationales dont nous n’avons pas osé limiter la rapacité ?

  2. Jacynthe dit :

    Je trouve ton idée bien intéressante Jean-Pierre mais je pense que la glace limiterait beaucoup les déplacements des bateaux ; que faire alors du pétrole ? L’entreposer pendant de longs mois ? Je suppose que les contrats avec les acheteurs ne peuvent se permettre l’arrêt de l’approvisionnement. De plus, il y a dans cette baie beaucoup d’animaux à ne pas polluer: l’omble chevalier, la morue polaire, des bélugas, des épaulards, des baleines, des narvals, des morses, etc… Qu’en penses-tu ?

    • Il ne fait aucun doute qu’une catastrophe environnementale aurait des effets plus durables dans la baie d’hudson que dans le fleuve Saint-Laurent. Mais beaucoup moins de gens en seraient affectés. Voilà le dilemme.

      Les brise-glaces auraient plus à faire dans le passage du Nord mais je crois savoir que le fleuve Saint-Laurent possède beaucoup plus de récifs susceptibles de faire échouer un navire que la baie d’Hudson.

      De plus, si la baie d’Hudson est plus navigable, elle possède surtout un pouvoir diluant considérablement plus grand puisqu’elle est en réalité une mer intérieure; à l’opposé, un seul Panamax qui s’éventre dans le fleuve et ce dernier est probablement stérilisé de toute vie marine.

      Pas besoin d’attendre un déversement; les travaux de dragage nécessaires à la navigation de ces superpétroliers entraîneront la disparition des bélugas du fleuve.

      Voilà pourquoi le tracé court m’apparait être un moindre mal.

      Si nous voulons diminuer le risque d’une autre ‘Lac-Mégantic’, nous devons limiter le transport pétrolier dans la vallée du Saint-Laurent à ce qui est nécessaire à notre propre approvisionnement et court-circuiter le passage du pétrole à des fins d’exportation (puisque nous n’en tirons aucun bénéfice).

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