À chacun ses tabous

Publié le 20 septembre 2015 | Temps de lecture : 6 minutes

Récemment, une de mes amies me confiait entretenir une relation secrète avec un supérieur hiérarchique marié.

Cette confidence nous a amenés à parler de l’évolution des mentalités à ce sujet.

Au Moyen-âge, le noble possédait un droit de cuissage. Ce droit était le pouvoir discrétionnaire de celui-ci de dépuceler la future épouse d’un de ses sujets. Lorsque le noble se prévalait de ce droit, personne n’était coupable d’une faute; c’était dans l’ordre des choses.

Pendant des siècles, au sein des familles aristocratiques d’Europe, il était normal, voire préférable, de posséder une maitresse.

Puisqu’il était imprudent de critiquer un monarque, c’est à la maitresse qu’on imputait la responsabilité de décisions royales controversées; on avait là la preuve de sa mauvaise influence sur le roi.

Après un certain temps, lorsque le roi la répudiait, celle-ci emportait avec elle la rancœur des sujets lésés par les décisions royales passées tandis que le roi, comme un Born Again Christian, retrouvait une pureté originelle. Et la nouvelle maitresse, à partir de là, devenait le bouc émissaire des malheurs du royaume.

Si l’épouse de Louis XVI, Marie-Antoinette, a tellement été détestée à la fin du règne de son époux, c’est à cause de la fidélité irréprochable de ce dernier; on n’avait personne d’autre à blâmer.

Dans les familles bourgeoises, les parents mariaient leurs enfants — afin de créer des liens financiers entre familles du même rang — en contrepartie de quoi, le jeune concerné trouvait l’amour comme il le pouvait, du moment que cette relation était clandestine.

Il y a cinquante ans au Québec, lorsqu’une aventure extracongugale était révélée — peu importe le rapport entre les conjoints — la concubine avait toujours tort. La maitresse était perçue d’emblée comme une briseuse de famille.

L’animosité publique contre cette séductrice était proportionnelle à la respectabilité de l’époux, entrainé involontairement par elle dans les abimes du péché.

Sans connaître aucun détail de cette affaire, on était formel; la victime était toujours l’homme, un être par nature faible devant la chair et donc vulnérable aux attraits de la tentation.

Un nombre incalculable de scénarios de films et de romans à l’eau de rose étaient basés sur ce cliché.

Et de son côté, l’Église se faisait un devoir de nous rappeler que c’est à cause d’Ève qu’Adam a été chassé du paradis… et que nous vivons depuis dans une vallée de larmes.

De nos jours, c’est l’inverse. Lorsqu’on apprend qu’une personne en position de pouvoir — presque toujours un homme — a développé une relation (extra-conjugale ou non) avec une employée subalterne, notre premier réflexe est de penser que ce supérieur hiérarchique a abusé de son pouvoir et conséquemment, qu’il a eu tort.

Et plus la maitresse est jeune, plus il nous semble évident qu’elle soit la victime d’un prédateur sexuel.

Même si nous savons que l’amour ne se commande pas, même si nous soupçonnons qu’on puisse s’attacher à un collègue de travail en dépit de l’autorité qu’il représente, nous sommes convaincus que le devoir de tout supérieur est de résister à ses pulsions (ce qui est toujours simple pour ceux qui n’en ont pas et qui jugent les autres).

Et devant le tribunal de l’opinion publique, peu importe les preuves démontrant la pureté de la naissance de cet amour et peu importe l’âge des personnes concernées : il s’agit d’un tabou et depuis toujours, quiconque viole un tabou est maudit.

En Inde, s’il est simplement mal vu qu’un homme d’une caste supérieure puisse tomber amoureux d’une femme d’un rang inférieur, il est inacceptable qu’une femme d’une caste supérieure soit amoureuse d’un homme d’un rang inférieur.

Et dans un pareil cas, c’est ce dernier qui a tort. Et s’il s’enfuit avec elle pour vivre leur amour, il est un voleur puisque la femme est un objet familial au même titre que le mobilier.

C’est ainsi que le mois dernier, un conseil de village a condamné deux femmes — respectivement de 15 et 23 ans — à être violées. Pourquoi ? Par représailles pour un crime commis par leur frère. Et quel est ce crime ? Il s’est amouraché d’une femme d’une caste supérieure et s’est enfui avec elle.

Afin de l’obliger à restituer le bien volé, ses sœurs devaient être violées. À la suite d’une pétition d’Amnistie Internationale, la Cour suprême de l’Inde a interdit l’exécution de cette sentence.

Aux États-Unis, on devient majeur à 18 ans. Cormega Copening — un mulâtre de 17 ans habitant l’État américain de la Caroline du Nord — a été inculpé récemment pour possession de pornographie juvénile.

Les policiers ont trouvé sur son téléphone multifonctionnel deux photos illicites; une première qu’il a prise de lui-même, nu, alors que la seconde est une photo de sa compagne (mineure elle aussi) qu’elle a prise d’elle-même, également nue, dont il s’est retrouvé en possession à la suite d’un échange mutuel de photos.

Ce mineur a été condamné pour avoir réalisé de la pornographie juvénile (son égoportrait) et pour possession de pornographie juvénile (son égoportrait et celui de sa copine).

En Caroline du Nord, comme au Canada, pour être considérée comme pornographique, la photo d’un mineur doit le représenter en train d’exercer une activité sexuelle explicite ou doit représenter essentiellement ses organes génitaux.

On estime que 30% des adolescents américains s’échangent privément des photos égoérotiques.

Références :
Droit de cuissage
Deux soeurs condamnées à être violées en Inde
Teen’s probation for nude selfies includes accepting warrantless searches
Teen prosecuted as adult for having naked images – of himself – on phone

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Écrit par Jean-Pierre Martel